Une sortie de la crise du week-end n’est pas très compliquée. La balle est aussi bien dans le camp du comité de normalisation que dans celui des arbitres grognards.
Des arbitres qui ne sont pas au rendez-vous d’un match pour lequel ils sont désignés en championnat seniors des Ligues 1 et 2, cela n’est jamais arrivé en Tunisie. La grève du week-end dernier de nos arbitres est donc une première. « Nous avons toujours été le train qui arrive à l’heure», raconte l’un de ceux qui ont boycotté la première journée de la Ligue 2. « C’était plutôt le contraire qui se produisait parfois, ajoute-t-il, avec des forfaits non déclarés à l’avance par les équipes. Nous constations le fait sur la feuille de match et nous rentrions sans que la partie se joue. Alors qu’on arrête de nous faire la morale et ce mauvais procès. Le boycott de la première journée du championnat de deuxième division est le résultat d’un ras-le-bol général du corps arbitral en raison de nombreuses promesses de régularisation de nos arriérés de rémunérations datant de plusieurs années. L’arbitre tunisien, contrairement aux arbitres du monde entier, est las de mettre la main à la poche, de piocher dans son salaire s’il a un autre job pour assurer les frais de ses déplacements parfois longs et coûteux, ainsi que d’attendre qu’on le rembourse avec des sommes dérisoires. À ceux qui tirent à boulets rouges sur nous en ce moment, nous leur répondons par cette réplique bien connue : sois arbitre et tais-toi.»
Dialogue de sourds à distance
Le Comité de normalisation provisoire a eu tort de prendre cet avertissement des hommes en noir à la légère. Il avait cru qu’en désignant de nouveaux locataires de la DNA et à leur tête Mourad Dâami à la place de l’équipe de Néji Jouini, le problème serait résolu. Il a fait fausse route. Il a uni les arbitres autour de ce qu’ils considèrent comme une « juste cause» et n’a pas réussi à les diviser. « C’est quand même un peu bizarre ce dialogue de sourds à distance, avoue un autre arbitre soucieux de garder l’anonymat. Cela aurait pu se régler autour d’une table en un quart d’heure tout au plus. Nous connaissons les difficultés actuelles de la Fédération et la crise financière qu’elle traverse. Il aurait suffi d’un engagement clair et sincère, avec une avance sur les arriérés et un calendrier de rééchelonnement du montant restant des dettes qui serait respecté dans ses délais. On aurait pu désamorcer cette crise qui couvait depuis plusieurs années». Force est de constater qu’au lieu de cela, on est resté au stade des communiqués et des contre-communiqués sur fond d’un bras de fer à peine voilé entre les deux parties. Les clubs, qui ont consenti de grands frais de déplacement la veille de leurs matches et qui sont rentrés « bredouilles» en raison de l’absence des arbitres, sont entrés en ligne pour jouer les victimes, soufflant sur les braises. Du côté du Comité de normalisation provisoire de la FTF, on n’est pas resté silencieux et on a aussi haussé le ton. Comme par hasard, c’est toujours le bureau assez contesté de la Ligue nationale de football professionnel qui met le feu aux poudres en persistant à maintenir la date de la première journée malgré cette menace de grève alors qu’il aurait été plus sage de garder la tête froide et de reporter les matches d’une semaine, le temps d’arriver à un consensus. Il faut reconnaître que d’autres raisons non avouées publiquement sont derrière cette colère du corps arbitral. Néji Jouini a ses partisans dans la jeune génération montante d’arbitres. Il s’est présenté comme un défenseur acharné de leur indépendance et de leurs sorties et prestations dans les matches, même si elles ne sont pas toujours très convaincantes et exemptes de tous reproches. La démission collégiale mise sur la table n’était, en réalité, pour lui qu’un ballon d’essai avec l’espoir d’être reconduit puis renforcé. Un coup d’épée dans l’eau, puisque, contre toute attente, la démission a été illico-presto acceptée. Parti à contrecœur, Néji Jouini garde encore derrière lui et avec lui la toute puissante Association des arbitres tunisiens dont le chef de file, Amine Barkallah, n’a pas mâché ses mots envers le Comité de direction provisoire et a commenté sur un ton ironique la nomination de Mourad Dâami et des membres de son équipe. On parle en privé, contrairement aux déclarations publiques de soutien à ce changement, d’un pas en arrière et du retour de la «vieille garde la plus contestée des années écoulées alors que l’assainissement du corps arbitral et de la DNA nécessite du sang neuf». Qu’on ne se trompe pas. On finira par trouver une solution mais la seule résolution du litige des arriérés de rémunérations des arbitres ne résoudra pas tous les problèmes et ne guérira pas tous les maux de l’arbitrage tunisien.
Pour la création d’un fonds de solidarité
Il est temps de rompre avec l’amateurisme et ses dérives. Nos arbitres doivent être mieux rémunérés pour être les parfaits « juges» des rencontres, bien à l’abri des pressions et des tentations de toutes sortes pour que leur autonomie, leur impartialité et leur compétence ne soient plus remises en question. C’est leur droit. Leur devoir, en contrepartie, c’est d’être astreints à des exigences rigoureuses de bon rendement et de meilleures performances sur le terrain. Ce sera donc du donnant-donnant à l’avenir avec la création d’un fonds de solidarité. Mais où trouver les fonds nécessaires pour la mise en œuvre d’un tel projet? Eh bien, ce n’est pas difficile pour celui qui réfléchit bien et vite. Le Comité de normalisation provisoire ou le prochain Bureau Fédéral élu auraient tort de continuer à solliciter l’aide de la Fifa, de la CAF ou même du ministère des Sports. Aide qui doit être consacrée aux infrastructures et aux stages de formation et de recyclage. Le football professionnel a ses propres ressources. Les recettes des matches sont importantes et c’est là qu’intervient le rôle des clubs pour avoir les arbitres qu’ils méritent. Un fonds de rémunération et de promotion de l’arbitrage doit donc voir le jour. Ses revenus doivent provenir des redevances forfaitaires que tout club doit payer, selon l’importance de son public et le volume des recettes des matches. Actuellement, les clubs ne sont pas mis devant l’obligation de payer ces redevances séance tenante, c’est- à-dire après chaque match. Elles sont payées à la fin de la phase aller et parfois en fin de saison sans sanctions mais assorties de simples pénalités de retard. C’est cela qui doit changer. Aucun club ne doit plus être désigné pour le match qui suit qu’après s’être acquitté des redevances du match précédent. On peut ajouter à ce fonds de l’arbitrage les diverses amendes infligées aux clubs, suite aux infractions de leur public, de leurs responsables et aux sanctions de leurs joueurs fautifs par la Ligue à chaque réunion de la semaine (une moyenne hebdomadaire de plus de 25 000 dinars). Ce faisant, ces montants devront être régularisés dans les 7 jours, avant le prochain match sous peine de le perdre par pénalité.
Tous ces montants réunis entre redevances forfaitaires et amendes doivent être réservés à ce fonds et il n’y aura plus ce cumul de retard immense dans le paiement et le remboursement des frais de déplacements des arbitres qui seront dorénavant honorés selon un barème bien établi et assez transparent. En outre, il n’est pas difficile de leur trouver des sponsors et des revenus de publicité pour leur assurer les équipements sportifs indispensables. Quant à la VAR, aujourd’hui technique indispensable pour une meilleure qualité d’arbitrage, la Fédération doit faire un effort budgétaire exceptionnel avec l’aide de l’État pour équiper sinon la totalité du moins la majorité des stades abritant les compétitions par un matériel fiable pour cette technique. A présent donc, il est grand temps de consentir ces sacrifices pour sortir définitivement l’arbitrage tunisien de la crise.