Entre les faux guides, les locations de locaux meublés non homologués, le transport informel, les organisateurs informels de voyages, on ne sait plus sur quel pied danser ! Il s’agit là de quelques métiers qui prolifèrent grâce aux tricheurs qui cherchent des gains faciles et rapides au détriment de la qualité du tourisme tunisien. Il s’agit d’un phénomène de plus en plus grandissant qui laisse les autorités perplexes quant à l’attitude à emprunter. Malheureusement, l’économie touristique informelle est bien là ! Faut-il donc combattre ce fléau ? Ou faut-il au contraire profiter de cette opportunité ?
Dans plusieurs pays, comme en Tunisie d’ailleurs, le tourisme est un secteur au centre des activités informelles : faux guides, locations de locaux meublés non homologués, transport informel, organisateurs informels de voyages… Le phénomène en accélération de jour en jour mérite un sérieux éclairage sur ses facettes, ses facteurs déterminants et ses conséquences économiques.
Le combat contre l’informel vise à la fois à bannir les activités illicites et à intégrer et contrôler toutes les activités qui génèrent une valeur marchande pour augmenter les recettes fiscales et le PIB. Néanmoins, les problèmes sous-jacents à son développement sont profonds.
Eviter les impôts et les cotisations sociales
D’après les spécialistes et selon certaines études, dans les économies émergentes, l’informel est souvent présenté comme un obstacle à la croissance et au développement durable. « Les acteurs informels y ont recours pour éviter les impôts et les cotisations sociales, se dérober aux normes et aux exigences en matière de licences », expliquent les experts du domaine.
Dans une perception générale, cette économie informelle utilise un marché du travail où les travailleurs informels n’ont pas de contrats, ni de protections sociales, ne sont pas instruits, sont sous-payés et sont plus susceptibles d’être pauvres. L’informel est nourri par la « triche » ! Les gens y recourent pour éviter de payer leurs impôts.
Le secteur touristique ne déroge pas à ce schéma général. En tant que secteur de services, l’activité informelle dans le domaine touristique attire beaucoup d’investisseurs, de toutes les tailles, qui échappent aux cadres légaux, et qui ne déclarent ni leurs revenus ni leurs salariés.
Pour toutes les autres structures formelles, ce fléau impose une concurrence déloyale qui les prive de leur droit en tant qu’organisations enregistrées auprès de l’administration et qui s’acquittent de leurs obligations en termes de licence et d’autorisations (cautions, assurances, fiscalité…).
Dans une tribune consacrée au tourisme informel, l’ancien ambassadeur, Elyès Kasri, a mentionné que « la décision d’exiger à l’arrivée de chaque touriste étranger sur le territoire national une réservation d’hôtel payée en devises étrangères et l’obligation de procéder au change dans des institutions autorisées nous évitera un faux tourisme qui ne fait qu’encombrer nos routes, alimenter le marché parallèle de la location immobilière et la consommation de produits subventionnés au prix de sacrifices considérables pour le contribuable et le trésor tunisiens ». Selon lui, les activités informelles privent l’Etat de recettes dont il a grandement besoin. Ces pratiques ne font qu’alimenter la fraude, la corruption et les trafics. Cette situation est tout aussi problématique puisqu’elle nuit, aussi bien à la destination qu’au secteur privé formel et aux touristes qui se trouvent, parfois, piégés et arnaqués. Néanmoins, l’informel peut, aussi, pallier l’absence de structures touristiques, surtout dans des zones reculées loin des pôles touristiques traditionnels. Ce qui nous pousse à nous interroger: est-ce que l’élimination de l’informel est une nécessité ?
Devant le fait accompli !
Il est important de rappeler que le secteur emploie une grande part de la population active et génère de la valeur. L’informel dans le domaine touristique apparaît comme une chance pour les territoires et les populations. Ce qui pousse les décideurs, et même les entreprises formelles, à le tolérer, et même à le soutenir, pour ce qu’il apporte comme innovation pour le produit de la destination d’une part, et comme revenu pour la population locale d’autre part (tourisme solidaire, volontourisme — une forme de tourisme conjuguant voyage et engagement volontaire —, tourisme humanitaire…).
A le voir sous cet angle, le tourisme informel peut parfois apporter des bouts de réponses et satisfaire des besoins devant l’incapacité structurelle des politiques d’inclusion, d’autonomisation, d’accès inégalitaires aux financements, de liberté d’entreprendre, et des différents dispositifs réglementaires mis en place.
Cette réalité permet à un grand nombre de ménages de survivre, bien que la précarité soit leur quotidien. Par-delà les revenus qu’il offre, l’emploi informel assure une certaine paix sociale, voire publique, dans des pays où l’informel représente l’essentiel de l’emploi disponible. Dans ce cadre, ne faudrait-il pas changer le regard porté sur cette énergie déployée au quotidien ? En effet, les entreprises et les emplois liés sont une véritable dynamique, mal comptabilisée mais réelle. Alors plutôt que de le combattre ne faudrait-il pas davantage tendre à l’intégrer ?
Dans cette perspective, le tourisme et particulièrement le tourisme durable peuvent jouer un rôle moteur. Leur dynamique est essentielle, puisqu’ils génèrent des flux financiers conséquents.
Le 1er mai 2020, dans un message adressé aux dirigeants politiques de ce monde, le secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), Zurab Pololikashvili, rappelle que «pour des millions de personnes dans le monde, le tourisme est bien plus qu’une activité de loisir. Il leur permet de vivre et de gagner non seulement un salaire, mais aussi la dignité et l’égalité. Les emplois dans le tourisme donnent, également, aux gens la possibilité de s’émanciper et d’être partie prenante de leur propre société, souvent pour la première fois».
A cette époque, l’Organisation internationale du travail a tiré la sonnette d’alarme : «Pas moins de 1,6 milliard de personnes dans le monde pourraient perdre des heures de travail en conséquence directe de la pandémie du Covid-19. On trouve, parmi ceux-ci, les membres les plus vulnérables de nos sociétés, ceux qui travaillent dans l’économie informelle. Nombre d’entre eux ont contribué à faire du tourisme une force au service du bien pendant très longtemps, en partageant leur maison, en proposant des services aux touristes et en leur offrant un accueil chaleureux».
Tout pour des services de qualité
Ainsi, l’amélioration de la qualité des emplois dans la chaîne de valeur touristique et la valorisation du capital humain revêtent une importance stratégique pour le développement à long terme du secteur du tourisme en adéquation avec les nouvelles tendances mondiales.
Il est important de signaler que la transversalité du secteur, la mobilité des voyageurs, l’émergence de nouveaux marchés, les TIC et la concurrence accrue entre les destinations constituent les principaux déterminants des besoins en compétence touristique. La productivité du travail est un indicateur majeur de la compétitivité qui a un impact direct sur la capacité d’une destination à proposer des services touristiques de qualité et devenir plus compétitive. La promotion du capital humain permet de stimuler une croissance durable et inclusive, tout en luttant contre la prolifération des emplois précaires, de l’informel et des dérives du tourisme de masse.