Le concept de «souveraineté numérique» renvoie à la capacité d’un Etat à contrôler ses infrastructures technologiques, ses données et à réguler de manière autonome le cyberespace. A l’ère du numérique et de la quatrième révolution technologique, la notion de souveraineté a évolué. Elle est désormais façonnée par la transformation digitale et des technologies telles que l’intelligence artificielle (IA), la cybersécurité et l’Internet des objets (IoT), marquant une rupture avec la définition classique de la souveraineté. Plus d’informations avec Sami Ayari, directeur de projet et expert tech-nique Senior en Organisation IT et transformation des données chez «BNP Paribas».
La Tunisie est reliée au monde numérique via Internet, où les citoyens interagissent avec les multinationales, souvent en exposant leurs données personnelles. De même, les administrations publiques, l’économie et la sécurité se retrouvent fortement exposées, ce qui appelle à une réponse adaptée face à ces vulnérabilités.
A ce titre, Sami Ayari, directeur de projet et expert technique Senior en Organisation IT et transformation des données chez «BNP Paribas» a affirmé que «la Tunisie doit impérativement accélérer sa transformation digitale pour adopter pleinement l’économie numérique, un impératif plutôt qu’un choix. Cette transition requiert un contrôle strict des infrastructures numériques et des services gouvernementaux conformes aux normes internationales, ainsi qu’une gestion et une protection optimales des données (collecte, traitement, stockage), afin d’assurer la souveraineté des données. Elle s’appuie également sur la promotion de l’innovation technologique et le renforcement d’une industrie nationale solide, intégrée dans un écosystème technologique dynamique, soutenu par des investissements stratégiques dans des domaines clés tels que l’intelligence artificielle, la cybersécurité, l’Internet des objets et la blockchain».
Manque de Datacenters nationaux
Ayari a ajouté que les défis sont majeurs et nombreux, les enjeux sont cruciaux. Les infrastructures numériques sont insuffisantes, avec des disparités régionales et un manque de Datacenters nationaux pour sécuriser les informations critiques. La cybersécurité est un autre point faible, exposant les systèmes et les données à des risques croissants, le classement de la Tunisie a reculé dans ce domaine dans le Global Cybersécurité index 2024.
D’après lui, la fuite des talents qualifiés vers l’étranger aggrave le déficit de compétences dans des domaines stratégiques comme l’IA et la cybersécurité, en raison de conditions de travail et de rémunération peu attractives. Le startupper doit être soutenu et au cœur des stratégies, la multiplication des incubateurs et accélérateurs n’est pas un signe de développement de l’écosystème, faute de transparence de ces derniers. «Le cadre réglementaire doit accompagner rapidement l’innovation et les investissements technologiques. Enfin, des stratégies tuniso-tunisiennes doivent être établies dans ces domaines, avec des objectifs clairs, des indicateurs, des échéances, ainsi qu’une roadmap réalisable, atteignable, chiffrée avec les moyens financiers nécessaires, accompagnées d’un suivi et d’un contrôle au plus haut sommet, indépendamment des ministres» a-t-il fait savoir.
Il a mentionné, qu’aujourd’hui, la Tunisie n’a pas encore publié sa stratégie nationale en matière d’intelligence artificielle (IA), et il n’existe aucune visibilité sur la réglementation associée.
En ce qui concerne la gestion des données, la Tunisie ne dispose pas d’un Règlement général de protection des données (Rgpd) moderne, conforme aux exigences internationales, et elle reste encore régie par une loi datant de 2004. Le projet de loi de 2018, qui visait à mettre à jour cette législation, n’a pas été adopté pour diverses raisons. De plus, la Tunisie manque d’une stratégie claire pour la gouvernance de ses données, ainsi que des réglementations qui en découlent. Il est important de rappeler que les données sont considérées comme «le carburant» de l’IA, et leur gestion adéquate est essentielle pour permettre le développement de cette technologie.
Une stratégie nationale en matière de cybersécurité
Sami Ayari a expliqué, par ailleurs, que la Tunisie a déployé sa stratégie nationale en matière de cybersécurité sous l’égide du Conseil de sécurité nationale. Cependant, il est essentiel de renforcer cette stratégie en intensifiant l’acculturation tant dans le secteur public que privé. Il devient crucial d’obliger les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, ainsi que les ministères, à déployer des programmes de cybersécurité, en durcissant les sanctions en cas de non-conformité. Par ailleurs, il est important d’encourager et d’inciter nos jeunes à créer leurs propres start-up dans le domaine de la cybersécurité, afin de stimuler l’innovation et de renforcer la résilience numérique du pays.
Le spécialiste a, d’autre part, cité de multiples exemples pour illustrer l’importance des technologies modernes dans des secteurs comme la santé, la finance…
«La télémédecine représente une solution efficace pour les patients résidant dans des zones rurales ou mal desservies, leur offrant la possibilité de consulter des médecins à distance via des plateformes numériques. Parallèlement, l’intelligence artificielle (IA) facilite l’automatisation des diagnostics en analysant des données médicales, telles que les images radiologiques et les résultats de tests. Ces systèmes permettent d’obtenir des diagnostics rapides et précis, comblant ainsi le manque de spécialistes dans les déserts médicaux et soutenant les professionnels de santé locaux. Le secteur bancaire et des assurances, en s’appuyant sur la fintech, permet de renforcer la détection des fraudes et d’améliorer l’efficacité des services. Cela contribue à augmenter le taux de bancarisation tout en réduisant les coûts des services financiers, facilite la mise en place de nouvelles réglementations comme les chèques sans provision. L’Agritech représente une véritable révolution technologique qui, malgré certains défis, offre de grandes opportunités pour moderniser notre agriculture et réduire les prix», a expliqué Ayari.
Pour devenir un hub technologique entre le nord et le sud de la Méditerranée, la Tunisie doit impérativement renforcer sa souveraineté numérique. Cela passera par des investissements stratégiques, des réformes réglementaires rapides, un soutien accru aux start-up locales et une meilleure gouvernance des données, a-t-il conclu.