Contrairement à ses débuts, la friperie n’intéresse plus uniquement les démunis qui n’ont pas assez de moyens pour acheter des vêtements neufs. Elle représente, de plus en plus, le choix pertinent ! Reportage.
«Il n’y a rien à dire à propos de la friperie, madame ! ». C’est en ces termes, et en nous regardant de travers, le sourcil tiré vers le haut, que l’un des commerçants de sacs à main et de chaussures de seconde-main, à la fripe de la Cité Ibn Khaldoun, décline toute conversation.
Et il n’est pas le seul à faire la moue. Il semble, en effet, que certains préfèrent garder pour eux toute information sur leur domaine d’activité. Pourtant, ce dernier ne passe aucunement inaperçu. La friperie s’avère être incontournable, dans une société de consommation qui peine à subvenir à ses besoins et ses envies d’achat. Trouver des vêtements, des chaussures, des accessoires et même des linges de maison de qualité et à des prix nettement moindres, en comparaison avec ceux du prêt-à-porter neuf : voici l’alternative qui permettrait d’équilibrer la balance des ménages et faire plaisir aux férus de fashion et de marques.
C’est que, contrairement à ses débuts, la friperie n’intéresse plus uniquement les démunis qui n’ont pas assez de moyens pour acheter des vêtements neufs. Elle représente, de plus en plus, le choix pertinent !
Il est midi en ce vendredi 22 novembre 2024. Le souk de fripe, situé à la Cité Ibn Khaldoun, connaît une activité normale. Les commerçants ne vantent pas leurs marchandises, puisque les intéressés y affluent sans invitation. Mme Kerkni, enseignante, se presse de payer les vêtements qu’elle vient de dénicher dans un tas de fripe. Cette mère de famille fréquente le souk deux fois par mois. «C’est un rendez-vous immanquable ! C’est ici que je trouve des vêtements d’une qualité à la fois bonne et durable. D’ailleurs, je préfère acheter une ou deux pièces à soixante dinars et qui ne seront pas désuètes après quelques semaines d’utilisation plutôt que d’acheter des vêtements neufs qui seront méconnaissables après deux lavages», explique-t-elle.
Acheter intelligemment !
Un peu plus loin, Oumaima, avocate, jette un œil sur les tas de fripe. Plutôt sélective, elle prend soin de choisir ce qui manque à sa garde-robe, en prenant en considération deux critères fondamentaux : le prix et la qualité. «A quoi bon payer 200 ou 400 D le prix d’un manteau neuf, alors que l’on peut l’avoir à seulement 50 D? D’ailleurs, argumente-t-elle, acheter un manteau utilisé à 50 D est plus intéressant que d’acheter de la camelote neuve à 120 D, par exemple !». Oumaima préfère, de surcroît, payer moins cher les vêtements qu’elle ne portera qu’occasionnellement, comme les robes par exemple, et qu’elle trouve à gogo à la fripe.
La grisaille prend de l’ampleur, et la pluie commence à tomber. Cependant, les clients et les clientes de la fripe ne lâchent pas prise ! Salma Rabti, femme active et étudiante, sursaute sous l’effet de la concentration interrompue, absorbée qu’elle était par l’envie de trouver un vêtement qui lui conviendrait. Habitant dans les parages, elle fréquente souvent le souk, surtout le samedi, le jour des nouveaux arrivages. «L’an dernier, j’ai acheté une jacket neuve à 225 D. Elle n’a pas tenu longtemps. En revanche, j’ai fait l’acquisition d’un manteau utilisé que j’ai payé à quinze dinars. Il demeure intact jusqu’à nos jours.
C’est dire que tout est question de qualité. D’ailleurs, un manteau qui coûte 50 D à la fripe coûterait pas moins de 300 D dans les boutiques», fait-elle remarquer. Pour Kmar Boulifa, en revanche, la fripe est une passion. Elle s’y rend presque quotidiennement. «Ce commerçant-là propose des vêtements pas chers, soit à un ou deux dinars la pièce. Il y a toujours quelque chose à acheter. Certes, je ne consacre pas un budget spécial fripe, mais j’y dépense beaucoup», indique-t-elle.
Plus cher qu’auparavant !
Hassen Ouerfelli est actif au souk, depuis plus de dix ans. Prenant place sur une chaise, sous l’immense tente, il supervise ses étals, répartis selon l’âge et le sexe. Pour lui, l’activité connaît un sensible ralentissement, depuis quelques années. «Le prix du stock «bala» a augmenté. Le stock qui se vendait à 400 D coûte désormais pas moins de mille dinars. Du coup, le prix unitaire a, lui aussi, connu un saut notable, au détriment du pouvoir d’achat du client. Ce dernier endure grandement les répercussions de la crise économique. Toutes ses préoccupations et inquiétudes tournent autour des prix des denrées de base. Aussi, au lieu de miser sur l’apparence, sur le vestimentaire, préfère-t-il se serrer la ceinture, minimiser ses dépenses et se contenter du nécessaire», analyse-t-il.
Et pour assurer la pérennité de son activité et garantir la bonne qualité à ses clients, Hassen paie pas moins de mille dinars le pack de fripe. Encore faut-il faire la distinction entre le stock «bala», et le pack «chkara». Ce dernier ne compte pas plus d’une quarantaine de pièces de bonne qualité. «Il existe plusieurs catégories de fripe, soit l’extra, en premier lieu la crème, en deuxième lieu et la super, en troisième lieu.
Ce sont généralement les catégories qu’achètent les boutiques de fripe de luxe. Puis, nous avons les qualités, première, deuxième, etc. Certains misent sur les stocks pas chers, qui leur coûtent entre 300 et 400 D. Sauf que ces commerçants se déplacent d’un souk à un autre pour vendre leurs marchandises, ce qui n’est pas mon cas», renchérit-il.
Le risque de la confiscation !
Hassen attire l’attention sur l’un des problèmes qu’endurent les commerçants de fripe : la confiscation de la marchandise. En effet, il indique que les fournisseurs ne livrent pas de factures contre les petits stocks, dont le coût est moindre. «Les factures sont octroyées aux commerçants à partir du moment où le montant est considérable, soit cinquante ou soixante mille dinars. Or, à défaut de factures, les marchandises peuvent être saisies par les agents relevant de la Douane. Pour les commerçants spécialisés dans la vente des chaussures et des sacs de seconde-main, poursuit-il, la confiscation rime avec faillite, car il s’agit d’un capital au vrai sens du terme». La conversation est interrompue par une dame qui vient de dénicher des vêtements pour bébé. Le prix est de 12 dinars, mais elle ne dispose que d’un billet de dix. «Pas de souci», répond Hassen en lui tendant un sachet. Ravie, la dame confie que ces vêtements sont pour l’aumône : «Je connais une femme qui a un bébé et dont les revenus sont rudimentaires. Je l’aide pour le bébé en lui achetant des vêtements une fois par semaine. Il faut bien que nous nous entraidons tous. La vie devient dure…». «Vous n’êtes pas la seule à penser aux autres. J’ai des clientes qui viennent dénicher beaucoup de vêtements qu’elles donneront aux orphelins», lui répond-il. Acheter intelligemment, se faire plaisir, renforcer sa garde-robe et aider autrui à avoir des vêtements pour l’hiver, quoi de plus beau, de plus utile et de plus généreux ! C’est la solidarité sociale qui prend le dessus dans ce commerce pas comme les autres ! Et dire qu’il n’y a rien à dire sur la fripe !