Entre douleur et mélancolie, le film aborde l’échec d’un pays qui n’a pas donné sa chance à une génération idéaliste qui avait soif de changement.
Couronné du prix du meilleur film documentaire au Festival international du film du Caire 2024, « Abo Zaâbel 89 » du réalisateur Bassem Mortadha a été présenté hors compétition à la 35e édition des JCC. Entre douleur et mélancolie, le film aborde l’échec d’un pays qui n’a pas donné sa chance à une génération idéaliste qui avait soif de changement. Bassem Mortadha enquête dans « Abo Zaâbel 89 » (nom d’une prison) sur l’arrestation en 1989 de son père.
Comment les enfants des militants syndicalistes de gauche gèrent l’héritage de leurs parents et la crise politique dont ils subissent les conséquences depuis leur tendre enfance. Bassem est le personnage central dont la démarche qu’il aborde dans le film est une sorte de thérapie pour mieux se reconstruire et aller de l’avant. Il essaie, sans doute, de mieux comprendre son identité en fouillant dans le passé de son père dont la vie a été brisée au fin fond d’une cellule de prison, tandis que la mère a porté le poids lourd du fardeau de la famille.
Le père de Bassem, Mahmoud Mortadha, est un militant révolutionnaire et syndicaliste ouvrier. Il appartient à une génération de militants qui a connu la défaite non par faiblesse mais à cause de la répression du régime en place qui était plus fort que leur résistance. A travers l’histoire de son père, Bassem archive l’histoire de la génération de militants égyptiens des années 80.
Le documentaire démarre avec la grève des ouvriers d’une fabrique de fer qui réclament leurs droits, à leur tête Mahmoud Mortadha. Les autorités interviennent avec toute leur force pour sévir contre les participants à cette grève et, notamment, ceux qui l’ont organisée ainsi que leurs familles. C’est à l’issue de décisions sévères concernant les conditions de travail que les ouvriers ont décidé d’un commun accord l’arrêt du travail. Les forces sécuritaires s’y mêlent en s’introduisant dans l’usine et arrêtent plusieurs ouvriers.
Un groupe d’ouvriers est accusé de création d’une organisation secrète d’obédience communiste qui incite les ouvriers de l’usine à la désobéissance civile. Parmi les inculpés de ce complot, le père de Bassem. Après des années de détention, Mahmoud s’exile en Europe mais de retour au pays, la prison « Abo Zaâbal » continue à le hanter et à se hisser comme un mur entre lui et son fils. Le témoignage du père à son fils est poignant. Il raconte que le jour où il a quitté la prison, il a trouvé sur son chemin un bassin rempli d’eau sale dans lequel il a plongé pour se décrasser de la saleté au sens propre et symbolique du camp de détention. Pour vivre l’expérience de son père, Bassem reconstitue la scène en s’allongeant dans une bassine d’eau crasseuse pour mesurer le degré de souffrance qu’a vécu son père autrefois.
« Abo Zaâbal 89 » situe les événements sur plusieurs niveaux. La répression du passé où Mahmoud est arrêté fait écho avec celle vécue par Bassem aujourd’hui. Le film montre comment une famille entière a été détruite et abimée par la dictature. La mère âgée souffre d’une paralysie des cordes vocales, le fils cassé de l’intérieur. La prison est le symbole qui habite encore la famille. Personne ne sort indemne de cette malheureuse aventure qu’expose l’auteur du film avec un regard introspectif. Des photos de la famille, des vidéos des répressions et de l’usine aujourd’hui démolie et des témoignages des collègues de Mahmoud ont servi à réaliser l’abnégation et le militantisme de ces militants qui ont eu le courage de s’opposer au régime en place.