Accueil Economie Skander Sallemi, conseiller fiscal et ancien président de l’association tunisienne pour la gouvernance fiscale à La Presse: « Une assurance pour les travailleurs licenciés contribuera à la stabilité économique »

Skander Sallemi, conseiller fiscal et ancien président de l’association tunisienne pour la gouvernance fiscale à La Presse: « Une assurance pour les travailleurs licenciés contribuera à la stabilité économique »

Dans le cadre de la loi de finances 2025, l’Etat tunisien a annoncé la création d’un fonds spécial du Trésor pour financer un système d’assurance contre la perte d’emploi pour des raisons économiques. Pour mieux comprendre cette initiative, nous avons interrogé Skander Sallemi, conseiller fiscal et ancien président de l’Association tunisienne pour la gouvernance fiscale. Entretien.

La Presse — Pourquoi le recours à une assurance contre la perte d’emploi est-il, aujourd’hui, essentiel?

La Tunisie traverse, depuis des années, une période économique critique. Le secteur privé fait face à des fermetures d’entreprises, des licenciements collectifs et une réduction de l’activité économique, conséquences intriquées à la pandémie du Covid-19 et aux tensions géopolitiques internationales. Ces événements ont perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, augmenté les coûts des matières premières et réduit les capacités des entreprises locales.

Sur le plan national, l’écosystème des affaires est, également, mis à mal par une bureaucratie lourde et un système financier souvent absent. Dans ce contexte, l’Etat a un rôle social primordial à jouer. Créer une assurance pour les travailleurs licenciés leur permet de bénéficier d’un soutien financier temporaire tout en facilitant leur réinsertion professionnelle. Cela permettra de réduire les tensions sociales et contribuera à la stabilité de l’économie.

Beaucoup d’entreprises ont dû réduire leurs activités ou fermer en raison de la hausse des coûts, des blocages administratifs et des problèmes de financement. Pour les employés, perdre leur emploi signifie souvent une chute brutale de leur niveau de vie. Cette assurance est donc cruciale pour offrir une sécurité minimale aux salariés. Elle montre, également, que l’Etat est prêt à accompagner le secteur privé dans ces temps difficiles, même si des éclaircissements seront nécessaires pour en assurer la viabilité.

Quelles sont les conséquences économiques et financières de cette décision ?

Le premier risque est d’ordre budgétaire. La loi de finances 2025 manque de précisions sur les moyens de financement et les prévisions de dépenses corollaires à cette assurance. Si le nombre de bénéficiaires augmente fortement en raison d’une crise économique majeure, le fonds pourrait rapidement se retrouver en difficulté, obligeant l’Etat à intervenir. Il est également prévu que le financement repose sur des contributions des employeurs et des salariés, ce qui pourrait augmenter les coûts pour les deux parties, déjà sous pression.De plus, sans stratégie claire pour la réinsertion des travailleurs, cette assurance ne pourrait être qu’une solution temporaire sans impact durable. Les abus potentiels, comme les licenciements frauduleux, sont également à craindre si des mécanismes de contrôle ne sont pas prévus.

L’augmentation des charges sociales pourrait peser lourdement sur les entreprises déjà en difficulté, en plus du risque d’insolvabilité du fonds en cas de crise prolongée. Cependant, si cette mesure est bien gérée, elle pourrait contribuer à une stabilisation économique en évitant des conflits sociaux majeurs.

Pour réduire ces risques, l’Etat devrait publier des prévisions claires sur les coûts et les bénéficiaires prévus. Il faut, par ailleurs, envisager des financements alternatifs et renforcer les programmes de réinsertion professionnelle pour maximiser l’impact social et économique de cette assurance.

Les entreprises doivent être incluses dans la conception et la mise en œuvre du système pour que ce dernier soit adapté à leurs besoins et ne nuise pas à leur compétitivité. Avec une bonne gestion, ce projet peut devenir une bouée de sauvetage pour les familles touchées par les pertes d’emploi pour des raisons économiques.

Une économie robuste facilite la mise en place et la pérennité d’un tel système. Cependant, même dans un contexte économique fragile comme celui de la Tunisie, il est possible d’instaurer cette assurance, à condition de bien planifier son financement et sa gestion. L’Etat pourrait, aussi, chercher des partenariats internationaux ou des aides financières pour soutenir ce projet. Sans un cadre économique solide, il existe un risque que le système devienne insoutenable à long terme, mais avec une bonne gouvernance, ce défi peut être surmonté.

Une économie forte permet de collecter des contributions suffisantes et d’éviter les déficits du fonds. Cela dit, l’introduction d’une telle assurance dans une économie en difficulté pourrait accentuer la pression sur les entreprises et les salariés. Pour minimiser cet impact, il est essentiel que le système soit flexible, avec des contributions adaptées à la situation économique et un soutien aux entreprises en difficulté pour maintenir leur compétitivité.

Quelle serait la réaction des PME, face à l’impact financier d’une telle assurance sur leurs coûts ?

Les PME sont particulièrement vulnérables à toute augmentation de leurs charges, et chaque coût additionnel représente pour elles un défi majeur. Bien qu’elles puissent être convaincues de l’importance sociale de cette assurance, beaucoup d’entre elles pourraient percevoir cette mesure comme une contrainte supplémentaire, surtout dans un contexte où elles peinent déjà à équilibrer leurs finances. Il est essentiel que l’Etat accompagne les entreprises pour qu’elles puissent faire face aux difficultés économiques, par exemple en leur offrant des incitations ou des subventions pour moderniser ou restructurer leurs activités.Cependant, si cette mesure est couplée à des efforts pour améliorer l’environnement des affaires, tels que la modernisation des administrations et l’instauration d’un meilleur accès au financement, elle pourrait être mieux acceptée. L’enjeu est de trouver un équilibre entre protection sociale et compétitivité économique.

Ce système peut-il renforcer la résilience économique de la Tunisie ?

Malgré le manque d’informations, un tel système peut devenir un pilier de la résilience économique à long terme. En prenant en charge des employés licenciés en les aidant à surmonter des crises, il limite les impacts négatifs des difficultés économiques. De plus, s’il est bien articulé avec des politiques actives de l’emploi, comme la formation professionnelle et l’accompagnement vers de nouveaux secteurs, il peut améliorer l’adaptabilité de la main-d’œuvre tunisienne aux évolutions du marché. Ce système d’assurance peut également envoyer un signal positif aux investisseurs internationaux en montrant que la Tunisie dispose de mécanismes pour gérer les crises sociales et économiques. Cependant, tout dépendra de la capacité de l’Etat à financer durablement le système et de sa volonté d’associer les entreprises à son élaboration. Une mauvaise gestion pourrait rapidement transformer cet outil en un fardeau économique supplémentaire.

 

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