Accueil A la une Petites et moyennes industries cosmétiques : Un secteur à sauver

Petites et moyennes industries cosmétiques : Un secteur à sauver

Le secteur industriel cosmétique tunisien, qui a toujours été sous la tutelle des ministères du Commerce et de l’Industrie, se trouve actuellement confronté à une crise majeure. La décision de transférer sa gestion au ministère de la Santé, via l’Agence nationale des médicaments créée en 2023, pourrait avoir des répercussions profondes et multiples. En effet, cette réorganisation administrative, qui semble répondre à une pression de certains lobbies, risque de compromettre l’équilibre d’un secteur clé pour l’économie nationale.

Le modèle international

Dans les pays européens, l’industrie cosmétique ne dépend pas du ministère de la Santé. Cette décision vise à éviter que la rigueur pharmaceutique, jugée sans pertinence pour ce secteur, n’entrave son essor et sa compétitivité. Ainsi, les industries cosmétiques européennes relèvent principalement des ministères de l’Industrie et du Commerce. Ce modèle assure une gestion plus souple et mieux adaptée aux spécificités de ce domaine, permettant un développement harmonieux et une meilleure compétitivité internationale.

Impacts sur l’emploi et l’investissement

Le secteur cosmétique représente plus de 1.000 usines, majoritairement des petites et moyennes entreprises, qui emploient actuellement plus de 10.000 personnes en Tunisie. Une telle réforme pourrait entraîner la perte d’au moins 30% de ces emplois. Cette situation met en péril des milliers de familles qui dépendent directement ou indirectement de cette industrie. De plus, la baisse attendue des investissements, combinée à un ralentissement de la production et des exportations, menace non seulement la viabilité des petites et moyennes industries locales, mais également leur compétitivité sur les marchés internationaux.

Un secteur historiquement bien encadré

Depuis des décennies, les ministères du Commerce et de l’Industrie ont joué un rôle fondamental dans le développement du secteur cosmétique tunisien. Ils ont assuré :

1. Un contrôle sanitaire rigoureux à travers leurs laboratoires d’analyse spécialisés.

2. Une assistance technique et financière gratuite permettant aux petites industries de se moderniser et de respecter les normes internationales.

3. Des subventions dans le cadre du programme de mise à niveau instauré en 1995, qui a permis aux produits tunisiens de se distinguer par un rapport qualité-prix imbattable.

Ces efforts ont permis à la cosmétique «made in Tunisia» de s’imposer non seulement sur le marché local, mais également à l’exportation, notamment en Libye, en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. Cette réussite a contribué à réduire la dépendance aux importations et à offrir aux consommateurs des produits plus accessibles et sûrs.

Une réforme mal adaptée et mal orientée

Contrairement aux ministères du Commerce et de l’Industrie, le ministère de la Santé, via l’Agence nationale des médicaments, n’a ni l’expérience ni les outils nécessaires pour encadrer efficacement l’industrie cosmétique (1.000 usines). Selon les professionnels de la cosmétique  interrogés, cette agence, spécialisée dans les médicaments, semble vouloir appliquer des normes médicales strictes qui ne sont pas adaptées à la spécificité des produits cosmétiques. Ce durcissement réglementaire pourrait entraîner :

– La fermeture de nombreuses petites entreprises incapables de se conformer aux nouvelles exigences. 

– Une hausse des coûts de production, rendant les produits locaux moins compétitifs face aux importations. 

– Une augmentation des prix pour le consommateur tunisien, qui devra se tourner vers des produits importés souvent plus chers. 

Un lobbying menaçant

On  croit savoir que ce transfert de compétences semble être le résultat d’une campagne orchestrée par certains lobbies, notamment ceux des importateurs de produits cosmétiques. Ces derniers, au lieu de promouvoir une concurrence loyale, ont choisi de discréditer les produits locaux, les accusant à tort de ne pas respecter les normes sanitaires. Ironie du sort, ce sont souvent les produits importés qui posent de réels problèmes de sécurité, comme l’a récemment démontré l’affaire de la crème de lissage capillaire importée, reconnue cancérigène par le ministère de la Santé. 

Une alternative logique et viable

La question qui se se pose alors : pourquoi ne pas confier le secteur à l’Agence nationale de la sécurité des produits industriels et de la surveillance du marché, créée en 2022 par décret présidentiel ? Cette agence, relevant des ministères du Commerce et de l’Industrie, dispose d’une expertise avérée dans le domaine des produits industriels, y compris cosmétiques. De plus, elle détient déjà un projet de loi sur les cosmétiques, élaboré par le Centre technique de la chimie en concertation avec tous les acteurs concernés, y compris le ministère de la Santé et les professionnels. 

À qui profite cette réforme ?

Cette réforme semble clairement désavantager les industriels locaux et les consommateurs tunisiens, tout en favorisant les grandes marques internationales et les importateurs. De même elle favoriserait principalement les laboratoires pharmaceutiques mieux équipés pour la fabrication de médicaments pour répondre à ces exigences rigoureuses. À terme, elle risque d’entraîner une dépendance accrue aux produits étrangers, la destruction d’emplois locaux et une augmentation des coûts pour les consommateurs. Il est donc impératif de reconsidérer cette décision et de privilégier un modèle de gestion qui préserve l’équilibre du secteur, protège les emplois et garantit la sécurité des produits tout en soutenant la compétitivité des industries locales.

Charger plus d'articles
Charger plus par Salem Trabelsi
Charger plus dans A la une

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *