La loi N° 41-2024, promulguée le 2 août 2024 et portant principalement sur la nouvelle réglementation des chèques, entrera en vigueur le 2 février 2025. Elle s’inscrit dans le cadre des réformes de rupture, qui impliquent généralement des coûts à court terme, mais génèrent des rendements significatifs à long terme, à condition d’être bien mises en œuvre, a déclaré l’expert bancaire et financier Ahmed El Karm à l’Agence TAP.
« Il s’agit d’une loi novatrice visant à rationaliser l’usage du chèque, un instrument de paiement en déclin dans la plupart des économies développées et même dans de nombreuses économies en développement, où des moyens de paiement alternatifs modernes ont été adoptés. La Tunisie gagnerait à s’inspirer de ces modèles pour réduire le recours aux chèques tout en promouvant des solutions de paiement moins coûteuses, plus sûres et plus pratiques », a affirmé El Karm, également président d’honneur de l’Association tunisienne pour la promotion de la culture financière (ATCF).
Nécessité de développer des instruments de paiement alternatifs
El Karm a souligné que les instruments de paiement alternatifs sont nombreux. En premier lieu, les cartes de paiement, dont l’usage se consolide en Tunisie, mais reste dominé par les retraits d’espèces. En effet, les cartes ne sont utilisées que pour environ 40 % des transactions économiques.
Selon lui, cette situation pourrait s’expliquer par la traçabilité qu’implique le paiement par carte, un facteur susceptible de dissuader certains commerçants. D’où la nécessité d’adopter des mesures fiscales réduisant les taxes sur les transactions par carte par rapport aux paiements en espèces. Il recommande également une refonte du système des commissions bancaires pour pénaliser les retraits en espèces aux guichets et rendre plus avantageux les paiements par carte ou par d’autres moyens électroniques.
« Toute une série de mesures d’accompagnement doit être mise en place pour favoriser l’évolution des paiements par carte en Tunisie », a-t-il insisté.
El Karm a également évoqué les paiements mobiles, largement adoptés en Inde, en Chine et dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, mais encore peu développés en Tunisie. Il estime que l’État, les banques, les opérateurs téléphoniques et les établissements de paiement agréés doivent collaborer pour stimuler ce mode de paiement en le rendant aussi attractif que les espèces.
En outre, le commerce électronique reste marginal en Tunisie, alors qu’il connaît une forte croissance à l’échelle mondiale. « Avec une jeunesse à l’aise avec les technologies modernes, la Tunisie dispose d’un atout majeur pour développer le commerce électronique et accroître la part des paiements digitaux. Cela nécessiterait toutefois une modernisation de la réglementation pour instaurer un climat de confiance entre consommateurs et commerçants et mettre fin aux paiements en espèces à la livraison », a-t-il déclaré.
Les virements bancaires, bien qu’efficaces dans d’autres pays où ils s’exécutent en quelques secondes, souffrent encore de lenteur en Tunisie. El Karm a souligné que leur accélération pourrait encourager leur adoption, en ligne avec les standards internationaux déjà appliqués par de nombreux partenaires européens.
Fin des chèques antidatés
La nouvelle loi interdit également les paiements échelonnés via des chèques antidatés, une pratique largement répandue en Tunisie, malgré son caractère illégal sous l’ancienne législation. Cette interdiction, selon El Karm, affectera les habitudes de consommation des particuliers et les pratiques de gestion de trésorerie des petites et moyennes entreprises (PME). Il estime que des mesures d’accompagnement seront nécessaires pour aider les différents acteurs à s’adapter à ce changement.
Pour les entreprises, il recommande de perfectionner l’offre en matière de crédits d’exploitation en s’appuyant sur des systèmes de notation permettant d’évaluer les risques et de répondre rapidement aux besoins de financement. Il suggère également une modernisation du cadre légal des effets de commerce pour mieux protéger les créanciers et simplifier les procédures.
Concernant les particuliers, El Karm plaide pour le développement de crédits à la consommation. Il insiste sur l’importance de rendre opérationnelles les sociétés d’information sur les crédits (Credit Bureau), dont le cadre légal a été adopté en 2022, mais qui restent inactives.
Il estime que la généralisation des crédits d’exploitation et de consommation, combinée à une meilleure gestion des risques, pourrait élargir la base d’emprunteurs et créer une dynamique favorable à des conditions d’octroi plus avantageuses.
Un tournant vers une économie digitalisée
Pour réussir cette transition, El Karm souligne que les banques tunisiennes, déjà bien équipées, doivent offrir des alternatives modernes aux chèques antidatés. L’État, de son côté, doit ajuster la réglementation, lever les blocages éventuels et accompagner cette dynamique de manière proactive.
« La loi sur les chèques représente une opportunité majeure pour moderniser le système national de paiements, réduire l’usage des espèces, renforcer la politique nationale de decashing et encourager la transition vers une économie plus digitalisée. Cependant, cette transition nécessitera une gestion fine de la période transitoire et une proximité accrue avec les citoyens et les entreprises pour résoudre les éventuels blocages », a conclu El Karm.