Accueil Economie Fonction publique : Réformer pour améliorer la productivité de l’administration

Fonction publique : Réformer pour améliorer la productivité de l’administration

Face à une crise économique persistante, la réforme de la fonction publique tunisienne s’impose comme un enjeu majeur. La digitalisation et la mise en place d’un système de rémunération basé sur la performance apparaissent comme des solutions prometteuses. Ces réformes visent à rationaliser les dépenses tout en transformant l’administration en un véritable moteur de développement économique.

La Presse — Depuis plus d’une décennie, la réforme de la fonction publique tunisienne s’impose comme une urgence politique et économique. Lotfi Khaldi, expert en droit et vice-président de l’ODC, chargé des services bancaires et d’assurances, met le doigt sur la réforme de la fonction publique qui est devenue une priorité en Tunisie face à la crise budgétaire aggravée par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine depuis 2020. Khaldi a rappelé que la fonction publique souffre d’un surdimensionnement, avec 850.000 agents en 2015, souvent recrutés pour des raisons politiques ou sociales, sans évaluation des besoins réels. « Ce gonflement, accompagné de promotions automatiques et d’un faible rendement, a conduit à une inefficacité croissante malgré un taux d’encadrement élevé. La réforme proposée s’articule autour de trois axes : redéfinir les missions de l’administration pour répondre aux priorités nationales, optimiser la gestion des ressources humaines et instaurer une relation contractuelle basée sur des objectifs clairs et une évaluation des performances liée à la rémunération ».

Une réforme efficace

Il a, par ailleurs, insisté sur la fait que la réforme de la fonction publique en Tunisie doit être au centre des débats. « On parle d’une réforme urgente, incontournable, ou globale. Cette nécessité s’est accentuée depuis 2013, lors des négociations avec le Fonds Monétaire International, qui ont conduit à l’accord du 20 mai 2016, appelé « Mécanisme élargi de crédit». Cet accord a instauré plusieurs réformes structurelles, dont la réforme de la fonction publique, avec pour objectif principal la réduction de la masse salariale dans les dépenses de l’Etat ».

Les experts du FMI ont proposé, durant ces négociations, une série de réformes touchant les secteurs représentant un fardeau budgétaire : la masse salariale, qui consomme plus de 15 % du budget de l’Etat, la compensation des produits alimentaires et pétroliers, et les entreprises publiques, qui reçoivent des subventions budgétaires croissantes, devenant une charge au lieu d’être une source de revenus. Ainsi, depuis 2016, le gel des recrutements a permis de réduire, bien que partiellement, la masse salariale. Toutefois, dès 2020, des besoins pressants en recrutement ont émergé dans des secteurs essentiels tels que la Santé publique et l’Education, malgré une nette expansion du secteur privé dans ces domaines, a expliqué l’expert.

« Pour limiter la masse salariale, le gouvernement tunisien a instauré, depuis 2016, un processus de recrutement interdépartemental. Cependant, ce système n’a pas su résoudre les problèmes liés au manque de compétences dans les administrations. De plus, les disparités dans les régimes de rémunération entre administrations ont créé des cloisonnements, empêchant toute réelle mobilité dans la fonction publique », a fait savoir Khaldi.

Muter vers d’autres postes… !

D’après lui, cette mobilité, motivée uniquement par des intérêts personnels des agents souhaitant améliorer leur salaire, ne répond pas aux objectifs d’optimisation des ressources humaines. Pour rendre ce processus efficace, il est impératif de mettre en place un système d’incitation encourageant les agents et cadres jugés non indispensables dans leurs administrations d’origine à occuper d’autres postes, tout en maintenant leurs droits acquis. Un système temporaire de compensation pourrait être instauré pour accompagner les agents mutés, en attendant une refonte globale du système de rémunération.

Par ailleurs, « les concours internes de recrutement doivent permettre de redistribuer environ 40 % des agents publics entre les administrations et les entreprises publiques, en fonction des besoins réels. Quant aux 20 % d’agents dont les compétences ne sont pas essentielles dans leurs administrations d’origine, ils devraient suivre un programme de formation spécifique pour améliorer leur efficacité et leur intégration », a affirmé l’expert.

La digitalisation comme solution

La digitalisation de l’administration tunisienne représente une solution à la plupart des problèmes rencontrés par les citoyens : manque de transparence, lenteur, discrimination et inefficacité. « Malgré quelques tentatives timides pour la digitalisation de certains services, aucune amélioration n’est vraiment ressentie. Ce ne sont pas les moyens techniques ni humains qui manquent mais plutôt  la volonté et la détermination politique, face à une résistance tenace de l’administration profonde, alimentée par des intérêts liés à la corruption et une réticence au changement », a assuré Khaldi.

Aujourd’hui, l’administration devrait se concentrer sur les tâches accomplies par chaque agent public plutôt que sur leur présence physique dans les bureaux. La masse salariale inscrite dans le budget de l’Etat doit correspondre à une production mesurable de services rendus aux citoyens, aux investisseurs et aux autres institutions. L’expert a également  noté que pour assurer un suivi et un contrôle de rendement, chaque administration doit formuler ses demandes de travail quotidien via des emails, auxquelles les agents répondent en envoyant leurs rapports ou études. « Grâce à ce système, il serait possible de mesurer le rendement des agents, de planifier les besoins en personnel en fonction des projets et de contrôler l’efficacité des services fournis », a-t-il mentionné.

Une rémunération basée sur la performance

La réforme inclut également un régime de rémunération basé sur la performance. « Actuellement, les salaires dépendent uniquement du grade, de l’ancienneté et des postes fonctionnels, qui se sont multipliés de manière abusive au fil des années, souvent sans rôle  réel de commandement. Le nouveau système introduit une partie variable du salaire, liée aux résultats », a expliqué Khaldi. Selon lui, la mise en œuvre de cette réforme devrait se faire progressivement. Dans un premier temps, une prime de rendement trimestrielle variable serait introduite, basée sur les rapports d’activité. Ensuite, les augmentations salariales futures seraient exclusivement liées à la performance. Après dix ans, les salaires comprendraient une partie fixe et une partie variable, favorisant les agents les plus efficaces.

« Pour réussir ces réformes, il est impératif de surmonter les résistances culturelles, syndicales et administratives, en introduisant les changements par étapes et en garantissant un impact social minimal sur les régions et les emplois dépendant de l’administration publique », a conclu Lotfi Khaldi.

Charger plus d'articles
Charger plus par Sabrine AHMED
Charger plus dans Economie

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *