Les laboratoires de recherche International finance group Tunisia (Ifgt), finance, comptabilité, fiscalité (FCF) et prospective, stratégies et développement durable (Ps2d) ont récemment organisé une table ronde à Tunis autour de « la loi de finances 2025 : dispositions clés, impacts et perspectives économiques ».
La Presse — Dans un contexte macroéconomique tendu, marqué par des contraintes budgétaires, la loi de finances 2025 suscite un large débat parmi les experts économiques tunisiens. Cette loi parvient-elle réellement à concilier assainissement des finances publiques et relance économique ? Lors d’une table ronde organisée à Tunis sur « la loi de finances 2025 : dispositions clés, impacts et perspectives économiques », des spécialistes en finance et en comptabilité ont analysé les principales dispositions de ce texte, ses impacts et les perspectives économiques qu’il dessine pour le pays.
Des mesures phares
Mohamed Fessi, expert-comptable, conférencier, consultant en entreprises et membre du conseil scientifique de la Faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis, a déclaré que « parmi les mesures phares de la loi de finances 2025 figurent la promulgation d’une nouvelle amnistie fiscale portant sur les impôts, taxes, pénalités douanières et taxes locales, l’augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés de 5 %, l’instauration d’une contribution conjoncturelle de 2 % due par les entreprises ayant réalisé un chiffre d’affaires hors taxes supérieur ou égal à 20 millions de dinars en 2023. Ces dernières sont soumises à l’impôt sur les sociétés au taux de 15 %. Il y a également l’ajout d’une contribution sociale de solidarité à hauteur de 3 % pour l’exercice 2024, en plus de la modification du barème de l’Irpp avec l’instauration de trois nouvelles tranches, visant à alléger la charge fiscale des revenus faibles et moyens. On note également la création d’un fonds d’assurance des pertes d’emplois pour raisons économiques, financé par une dotation budgétaire annuelle de 5 millions de dinars et une cotisation sociale de 1 %, partagée entre l’employeur (+0,5 %) et l’employé (+0,5 %) ». Selon lui il y a une mesure controversée en matière de TVA, celle de l’augmentation à 19% du taux sur les ventes de logements dépassant 400.000 dinars hors TVA par les promoteurs immobiliers, tandis que les logements inférieurs à ce seuil bénéficient d’une TVA réduite à 7 %.
Pas de mesures pour résoudre les problèmes structurels
Fessi a souligné que la compétitivité des entreprises est une question cruciale, d’autant plus que la baisse de la productivité et de l’investissement public et privé a affaibli le potentiel de croissance. Bien que la loi de finances prévoie des mesures pour encourager l’investissement, elle ne peut à elle seule résoudre les problèmes structurels du pays. « Parmi ces mesures figurent un mécanisme de garantie des financements accordés en 2025 et 2026 dans le cadre du programme de restructuration des PME, à hauteur de 20 millions de dinars, la création de plusieurs lignes de financement destinées aux PME, startup, sociétés communautaires, aux autoentrepreneurs et secteurs de l’économie verte, bleue et circulaire. Il y a également l’incitation à la création d’entreprises en 2024 et 2025, avec une exonération totale de l’Irpp ou de l’IS pendant quatre ans », a-t-il mentionné. Fessi a rappelé que la loi de finances 2025 a été élaborée dans un contexte macroéconomique difficile, marqué par la sécheresse persistante, une demande limitée et des contraintes de financement. « Depuis 2020, l’économie tunisienne subit les effets des chocs exogènes, tels que la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine. Toutefois, l’Etat s’efforce de réduire le déficit budgétaire, qui passera à 6,1 % du PIB en 2025, contre 9,4 % en 2020. Le budget de l’Etat n’augmente que de 0,5 %, ce qui signifie qu’en dinars constants, il diminue, compte tenu de l’inflation », a-t-il encore précisé.
Malgré ces contraintes, la loi de finances 2025 comporte plusieurs mesures sociales, notamment l’exonération de l’Irpp pour les revenus des travailleuses agricoles bénéficiaires du fonds de protection sociale, l’allégement de la charge fiscale pour les pensions d’orphelins et d’invalidité, le renforcement du rôle social de l’Etat pour le financement du premier logement et la baisse de la TVA sur l’électricité basse tension pour la consommation domestique, de 13 % à 7 %.
Revoir le modèle économique
Concernant les perspectives économiques, Fessi a expliqué que la relance de la croissance est essentielle. En 2024, le taux de croissance était de 1,2 %, insuffisant pour résorber le chômage et augmenter les recettes fiscales sans accroître la pression fiscale, déjà élevée à 25 % en 2024. L’économie tunisienne est particulièrement vulnérable, étant dépendante de la consommation et de secteurs cycliques comme l’agriculture (9 % du PIB) et le tourisme (5 %, plus de 10 % avec les effets indirects). Il a insisté sur l’urgence de revoir le modèle économique tunisien, qui repose encore sur des investissements étrangers attirés par une main-d’œuvre à bas coûts. Le secteur manufacturier exportateur, qui n’a pas suffi à rééquilibrer le déficit commercial (18.927 millions de dinars en 2024 contre 17.069 millions en 2023), demeure exposé aux crises européennes. Pour monter en gamme, la Tunisie doit investir dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme l’informatique, les finances, la médecine, le tourisme culturel haut de gamme… et moderniser son cadre réglementaire et son système de formation professionnelle. De son côté, Wassim Turki, expert-comptable et consultant international en gestion des projets de développement, a souligné que le projet de loi de finances 2025 fixe des objectifs ambitieux, mais souffre d’un manque de cohérence en raison de l’absence d’un plan de développement stratégique, mais auusi de contraintes budgétaires limitant la marge de manœuvre (recettes fiscales déjà très élevées et dépenses rigides) et d’une pression politique pour répondre aux attentes des électeurs en matière de pouvoir d’achat et de réforme économique. Turki a critiqué l’augmentation des impôts sur les sociétés avec effet rétroactif sur 2024, « une mesure nuisant à la confiance des investisseurs », a-t-il regretté. Enfin, il a noté que la dette étrangère mobilisée en 2024 (4,9 milliards de dinars sur les 16,4 prévus) a contraint l’Etat à privilégier la dette locale en 2025, avec des effets incertains sur l’inflation et l’accès au crédit.