«Quels sont les mûrs sur lesquels nous butons, les impasses réelles, trop réelles, dans lesquelles nous nous sommes fourvoyés ?», se serait encore une fois demandé l’éminent sociologue Abdelwahab Bouhdiba, s’il était encore parmi nous.
Il se serait posé plein d’interrogations sur ce qui se passe à Kairouan. Cette ville au riche patrimoine historique et civilisationnel fait toutefois face à des défis croissants en matière de sécurité publique. Si la criminalité y demeure, dans l’ensemble, à des niveaux relativement modérés par rapport à d’autres régions urbaines, certains phénomènes préoccupants, tels que la violence en milieu scolaire, les vols, la violence urbaine et la marginalisation sociale, menacent la paix sociale.
La Presse — Ces deux dernières semaines, la ville a enregistré une série d’actes de violence et de vandalisme qui interpellent et intriguent. En plein centre-ville, des délinquants aux antécédents judiciaires ont balafré le visage d’un restaurateur qui a essayé de secourir une femme faisant l’objet d’une tentative de braquage sur la place. Successivement, un autre citoyen a été attaqué par des braqueurs à l’aide d’une machette, lui causant des dommages corporels non des moindres. On n’a pas pu avoir le son de cloche de l’autorité de tutelle à ce sujet.
Puis, à Kairouan, les actes de violence se propagent jusque dans le milieu scolaire. Il y a deux jours, la surveillante générale du lycée Chadli-Attalah ainsi que trois enseignants ont été victimes de violences physiques et verbales de la part de deux élèves. Les trois victimes souffrent encore de traumatismes physiques et psychiques considérables. Selon l’enseignante Yosra Khechana, témoin oculaire de la scène d’agression, une des deux sœurs agresseuses inscrite en 3e année secondaire aurait dû être renvoyée dès le collège n’eussent été «les interventions».
«Certains élèves issus d’un milieu familial peu stable et de quartiers populaires où prolifère le trafic de stupéfiants en tous genres s’adonnent à des comportements étranges, sèment la pagaille et freinent toute transmission de savoir au sein de la classe. Pourtant, les enseignants sont livrés à eux-mêmes face à des énergumènes et des élèves délinquants», se désole la professeure dans une déclaration à La Presse.
Force est de constater que le phénomène s’étend aussi bien dans les écoles primaires que secondaires, ne se limite pas aux agressions physiques, mais englobe également la violence verbale, psychologique et parfois même institutionnelle (surcharge des classes et infrastructures inadéquates).
Causes profondes du crime à Kairouan
La montée de certains crimes à Kairouan peut être attribuée à des facteurs socioéconomiques et structurels. Figure en tête le chômage. Un taux de chômage élevé (plus de 20%), en particulier chez les jeunes, contribue à la marginalisation et à l’adoption de comportements délinquants. S’y ajoute la disparité entre les quartiers urbains et les zones rurales qui favorise le sentiment d’exclusion, notamment chez les populations les plus vulnérables. Le manque d’infrastructures et l’absence d’espaces de loisirs et d’activités encadrées pour les jeunes accentuent aussi l’exposition des jeunes à la rue et aux comportements à risque.
Il va sans dire que la crise des valeurs communautaires et familiales, associée à l’influence négative des réseaux sociaux, contribue à une montée de la violence verbale et physique. Certains observateurs mettent également en cause « une impunité » qui ne fait qu’encourager certains parias à récidiver.
Impacts sur la paix sociale et solutions pour renforcer la sécurité
La montée de l’insécurité a des répercussions directes sur la cohésion sociale à Kairouan. D’abord, elle instaure un climat de méfiance, d’autant que la peur des crimes entraîne un repli sur soi, fragilise les relations entre les habitants et engendre une baisse de l’attractivité économique. D’ailleurs, les entreprises locales hésitent à investir davantage dans un environnement perçu comme instable. La fragilisation des institutions avec une gestion inefficace des questions de sécurité alimente, de surcroît, un sentiment de défiance envers les autorités locales.
Pour faire face à ces défis, une approche globale et inclusive est nécessaire. Elle comprend un renforcement de la présence policière, notamment une augmentation des patrouilles, particulièrement dans les zones sensibles, pour dissuader les actes criminels.
Il faut également développer les opportunités économiques en vue de créer des emplois, en particulier pour les jeunes, afin de réduire les motivations à commettre des crimes.
Les autorités de tutelle sont quant à elles appelées à conjuguer les efforts pour ainsi investir dans l’éducation et la sensibilisation. Des campagnes éducatives axées sur la prévention de la violence et la promotion de la citoyenneté active peuvent, en effet, jouer un rôle clé.
De ce point de vue, la création de centres culturels, sportifs et sociaux peut offrir des alternatives positives aux comportements à risque.
Dans la même perspective, le renforcement de la justice locale pour allier rapidité et équité garantira une réponse adéquate aux crimes commis.
Solutions pour endiguer le phénomène de la violence en milieu scolaire
Pour lutter contre la violence scolaire, plusieurs actions peuvent être mises en œuvre.
Le renforcement de l’éducation civique avec l’intégration de cours axés sur la tolérance, la communication et la gestion des conflits dès le jeune âge sera d’une grande utilité.
La formation des enseignants en vue de leur offrir des outils pratiques pour identifier et gérer les comportements violents en classe n’est pas non plus à négliger.
La création de cellules d’écoute et de médiation peut offrir un espace sécurisé où les élèves peuvent exprimer leurs problèmes et trouver du soutien. L’implication des parents en organisant des ateliers pour sensibiliser les familles à leur rôle dans la prévention de la violence peut s’avérer efficace. La modernisation des infrastructures scolaires, la réduction de la surcharge des classes, l’amélioration des espaces récréatifs pour canaliser l’énergie des élèves de manière constructive et la collaboration avec la société civile sont toutes des solutions à adopter pour un milieu social sain et une paix sociale durable.
Avec son héritage de ville spirituelle et historique, le legs de ses éminents penseurs, Kairouan peut relever les défis sécuritaires auxquels elle est confrontée en adoptant une approche proactive et inclusive. En investissant dans le développement humain et en renforçant les mécanismes de prévention, la ville peut non seulement réduire la criminalité, mais également restaurer la paix sociale qui constitue le fondement de son identité.