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Les fausses nouvelles, ou fake news, représentent une menace grandissante pour la cohésion sociale et les valeurs sociétales. Tous les observateurs s’accordent à dire que ce phénomène constitue un danger tangible.
“En désinformant le grand public, les fake news peuvent porter atteinte à la paix sociale, provoquer des divisions et des conflits entre différentes catégories de la population et régions, pénétrant ainsi tous les domaines sans exception”, explique Sabeur Ayari, journaliste et fact-checker au sein de la plateforme TuniFact, dans une déclaration à l’agence TAP. Il n’écarte pas l’existence de “chambres noires”, où ces informations seraient fabriquées dans le but d’atteindre des objectifs précis.
Il souligne que les fausses nouvelles sont souvent exploitées pour manipuler l’opinion publique, notamment lors des périodes électorales et des crises, à l’instar de la pandémie de Covid-19, où des rumeurs ont circulé sur les vaccins.
Des études, notamment celles du Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont démontré que les fake news se propagent sur les réseaux sociaux à une vitesse bien supérieure à celle des informations vérifiées, en raison des partages massifs par les internautes.
La migration irrégulière, un exemple révélateur
Sabeur Ayari cite en exemple le traitement médiatique de la migration irrégulière. Il rappelle que le ministère des Affaires étrangères a publié, en février 2025, un communiqué pour démentir “les allégations malveillantes et les fausses informations relayées, qui ne reflètent aucunement la position de la Tunisie sur cette question”.
Une étude menée par des chercheurs de l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI), dans le cadre du projet LABTRACK sur la désinformation politique en Tunisie, a cartographié les méthodes et tactiques employées pour propager de fausses nouvelles. Elle révèle notamment l’existence de réseaux organisés, l’utilisation de pages administrées depuis l’étranger pour contourner les législations locales et le financement de contenus par des tiers à des fins politiques.
Le rôle du numérique dans la désinformation
Selon Sabeur Ayari, la propagation des fake news est largement facilitée par les plateformes numériques, où l’information échappe au contrôle, au suivi et à la vérification. Contrairement aux médias traditionnels, qui sont soumis à une éthique et une déontologie journalistiques, ces plateformes permettent la diffusion rapide et massive d’informations trompeuses.
Aroua Kooli, enseignante en fact-checking à l’IPSI et chercheure en sciences de la communication, estime que l’ère numérique a engendré un “désordre informationnel”, où des contenus véridiques coexistent avec des allégations infondées. Elle souligne que la prolifération de ces fausses nouvelles est amplifiée par la facilité de production et de diffusion à moindre coût.
Elle met également en garde contre la désinformation Deep Fake, qui repose sur des techniques avancées d’intelligence artificielle, et souligne que la création de pages anonymes à bas coût accentue la menace, rendant la désinformation plus méthodique et organisée.
Le cadre législatif face aux fausses nouvelles
Le professeur de droit public, Aymen Zaghdoudi, rappelle que la Tunisie dispose de deux textes de loi sanctionnant la publication et la diffusion de fausses nouvelles :
• Le décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011 sur la liberté de la presse, qui prévoit une amende allant de 2 000 à 5 000 dinars pour quiconque publie sciemment de fausses informations portant atteinte à l’ordre public.
• Le décret-loi n°2022-54 du 13 septembre 2022 sur les infractions liées au système d’information et de communication, qui punit de 5 à 10 ans de prison et d’une amende de 50 000 à 100 000 dinars la diffusion de fausses nouvelles portant préjudice à la sécurité publique ou nationale.
La Cour de cassation a récemment statué que le décret-loi 115 s’applique aux journalistes et aux médias traditionnels, tandis que le décret-loi 54 concerne toute publication diffusée sur l’espace numérique.
En juillet 2023, le ministère de la Justice a annoncé son intention de poursuivre ceux qui mènent des campagnes malveillantes contre les institutions de l’État ou propagent des rumeurs de manière méthodique. En août de la même année, des poursuites judiciaires ont été engagées pour identifier les administrateurs de pages et comptes diffusant de fausses informations, portant atteinte à l’honneur d’autrui et menaçant la sécurité publique.
Le rôle des médias dans la lutte contre la désinformation
Sadok Hammami, chercheur en sciences de l’information et de la communication, estime que le journalisme doit réaffirmer son rôle de vérification des faits pour rivaliser avec les réseaux sociaux. Il insiste sur la nécessité pour les médias tunisiens de protéger l’opinion publique contre la désinformation et d’inciter les citoyens à vérifier les informations avant de les partager.
Le président de la République, Kaïs Saïed, a également souligné, lors d’une réunion avec les responsables des médias publics le 11 février 2025, la responsabilité de ces derniers dans la lutte contre la prolifération des rumeurs et des campagnes de désinformation orchestrées par des acteurs en Tunisie et à l’étranger.
Aroua Kooli explique que la désinformation peut aussi être involontaire : une simple image mal interprétée ou une vidéo manipulée peuvent induire le public en erreur. Elle insiste sur le rôle essentiel des plateformes de fact-checking, qui doivent non seulement vérifier les faits, mais aussi encourager l’esprit critique chez les internautes.
Toutefois, elle avertit que la seule vérification des informations ne suffit pas à endiguer la désinformation, car des intérêts financiers peuvent être en jeu. Elle plaide pour une information crédible et accessible, afin de contrer les fake news qui envahissent les réseaux sociaux.
Face à cette menace croissante, les médias, notamment les médias publics, ont un rôle clé à jouer pour garantir une information vérifiée et combattre la prolifération des fausses nouvelles.