Accueil Culture « Frantz Fanon », film de Abdenour Zahzah : Le parcours d’un psychiatre militant

« Frantz Fanon », film de Abdenour Zahzah : Le parcours d’un psychiatre militant

Fanon, qui porte sur son corps les marques de la Guerre Mondiale, s’est montré particulièrement sensible aux horreurs du déferlement colonialiste. Il a déjà  établi sa réputation en tant que penseur et écrivain engagé à travers son premier livre, « Peau noire, masques blancs », publié en 1952, portant sur les effets psychologiques de la colonisation sur les populations colonisées.

La Presse — L’année 2025 correspond au centenaire de la naissance de Frantz Fanon (1925-1961). Psychiatre, écrivain et militant d’origine martiniquaise, il a décroché son diplôme de médecin en France avant de s’installer en Algérie, alors sous domination française puis en Tunisie.

Une série d’événements est organisée pour lui rendre hommage dans différents établissements, dont les facultés de médecine de Tunis et de Sousse ainsi que la Cité de la culture de Tunis. Le cinéma Le Rio assure, à cette occasion, une série de projections du film franco-algérien « Frantz Fanon » de Abdenour Zahzah sorti en 2024. Avec une pléiade d’acteurs français et algériens en tête d’affiche, notamment Alexandre Desane pour le rôle principal, le film reprend un fragment court, mais dense de la vie de l’intellectuel quand il était médecin chef à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville entre 1953 et 1956. Le long métrage de 90 minutes est fait entièrement en noir et blanc avec des dialogues en dialecte algérien et en français. Dès les premières scènes, le décor est installé : un asile psychiatrique à Blida et des malades souffrant tant de leur pathologie que des conditions de séjour dans un environnement assimilable à un milieu carcéral. C’est dans cette atmosphère morose que le jeune Frantz Fanon entame sa carrière professionnelle au poste de médecin chef, nommé par décret ministériel. S’écartant des pratiques archaïques en psychiatrie, fondées sur  la maltraitance et la suprématie de la race blanche, il introduit la psychiatrie institutionnelle qui transforme le quotidien, mais aussi le destin des patients. Cette approche innovante repose sur des activités pour reconnecter les patients avec leur environnement affectif et assurer leur réinsertion professionnelle : sport, ateliers d’art, recrutement d’un chanteur pour des cours de musique et de théâtre. Même le café édifié par les patients eux-mêmes devient un acte thérapeutique.

Fanon, qui porte sur son corps les marques de la Guerre Mondiale, s’est montré particulièrement sensible aux horreurs du déferlement colonialiste. Il a déjà  établi sa réputation en tant que penseur et écrivain engagé à travers son premier livre, « Peau noire, masques blancs », publié en 1952, portant sur les effets psychologiques de la colonisation sur les populations colonisées. Son contact particulièrement rapproché  avec ses patients lui a révélé la réalité d’une « population essorée, sans rêves », comme il l’a qualifiée dans le film, subissant une violence inouïe. Son impact se traduit par des manifestations psychiatriques sévères chez les rescapés qu’il suit à son service.

Des événements historiques en toile de fond expliquent alors la vocation du psychiatre qui ne tarde pas à prendre part à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Se trouvant menacé, il a été contraint de quitter Blida dans les plus brefs délais.

Le réalisateur algérien Abdenour Zahzah a été présent au débat après la première projection de son long métrage au Rio. Il a indiqué que le film a été tourné dans l’endroit où Fanon a réellement exercé et qui porte aujourd’hui son nom et dans la villa qu’il a habitée, devenue  un musée. Originaire lui-même de Blida, c’est en découvrant une bobine archivée à la cinémathèque de sa ville montrant des scènes de l’enterrement de Fanon qu’il a commencé à s’intéresser particulièrement au parcours du médecin militant. Décédé à seulement 36 ans aux Etats-Unis, il a été inhumé en  Algérie en 1961. Le metteur en scène a recueilli les témoignages du personnel soignant ayant connu Fanon pour créer d’abord un film documentaire sorti en 2002 et projeté aux JCC en Tunisie. Le film est en noir et blanc puisque « l’histoire ne se raconte pas en couleurs », dixit Abdenour Zahzah qui a d’ailleurs souligné que nous ne connaissons Frantz Fanon qu’en noir et blanc. Partant de sa vision de documentariste, il tenait à aligner l’esprit du film tourné avec les séquences d’archives qu’il contient. Ce choix de couleurs traduit également la dichotomie colon-colonisé sur laquelle reposent les événements. Comme le scénario porte davantage sur l’apport de Fanon dans le domaine de la psychiatrie, le réalisateur a expliqué cette orientation du film en répondant aux questions. « Fanon était d’abord médecin. Il fallait aborder sa biographie de ce côté. Il a bâti sa réflexion à partir de sa pratique de la psychiatrie et a compris que la guérison est liée à l’indépendance ». Abdenour Zahzah a également indiqué qu’il  y a beaucoup de films sur la révolution algérienne qui montrent les atrocités commises par les forces coloniales et qu’il a préféré aborder ce thème d’un autre angle. « Le film est toujours d’actualité », insiste-t-il comme « la suprématie d’un monde sur l’autre persiste ».

D’autres longs métrages se sont inspirés de la vie de Frantz Fanon, dont celui réalisé par Jean-Claude Barny et dont la sortie est prévue en avril 2025. Plus de 60 ans après son décès, l’héritage de sa pensée garde toute sa valeur alors que de nombreux pays continuent de lutter contre les vestiges du colonialisme et de l’impérialisme. Notons qu’après avoir quitté l’Algérie,  il se réfugie en Tunisie où il vit près de cinq ans. Il exercé dans les hôpitaux Razi de La Manouba puis à Charles Nicolle, en maintenant en parallèle son engagement actif au sein du FLN. Son séjour est particulièrement inspirant sur le plan scientifique, social et politique. Il serait intéressant que des productions tunisiennes reprennent ce fragment de sa vie, sous forme documentaire ou autres. D’ailleurs, de nombreuses études sont centrées sur les traces de son passage à Tunis, dont notamment les travaux de l’historienne Kmar Bendana.

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