
Si vous avez assisté à l’un des concerts de l’Orchestre Symphonique Tunisien, vous avez certainement remarqué le percussionniste Mohamed Hatem Hamila. Souvent au cœur des performances musicales, quel que soit le genre du concert, il apporte rythme, texture et dynamisme aux compositions en manipulant différents instruments de percussion tunisiens ou étrangers. Frappés ou secoués, ses outils sont le témoin d’une complexité musicale accrue qui se dévoile à travers son jeu au sein de l’orchestre, ses solos virtuoses et ses improvisations fulgurantes. Mohamed Hatem Hamila aspire à faire évoluer la façon par laquelle on manipule et on voit ces outils rythmiques comme objet de recherche et d’innovation, et non comme un moyen pour donner du tempo. Il nous en dira plus dans cet entretien.
Dans quels genres musicaux peut-on utiliser les instruments de percussion ?
Il existe plusieurs types d’instruments de percussion, chacun ayant sa sonorité unique, et qui jouent un rôle clé dans la création du rythme et de la mélodie. Vous savez, les fouilles ont montré que les premières percussions datent de la Préhistoire puis chaque culture a développé ses propres instruments, tous cruciaux pour la musique et les rituels. On a le bendir, le tbal et la darbouka, mais aussi les castagnettes, les tambourins, les clochettes et plein d’autres outils…Ils sont aujourd’hui utilisés dans une variété de genres. Musique tunisienne, sonorités orientales, jazz, musique symphonique, musique électronique et underground…
D’ailleurs, j’ai moi-même collaboré avec Ahmed Achour, Mohamed Garfi, Choubaila Rached, Sabeur Rebai, Lotfi Bouchnak.. En parallèle, j’ai aussi joué dans l’Opéra Carmen avec des instruments particuliers pour ajouter des effets dramatiques à la musique orchestrale et à accentuer des moments clés. J’ai accompagné Aytaç Dogan, Tarek El Arabi Tarkane.. Mais, avant ces expériences relativement récentes, j’ai monté un groupe, Sousse Jazz band, et nous avons donné des concerts de 2007 à 2011. Ces influences culturelles et styles très divers vous donnent une idée sur le potentiel expressif des instruments de percussion.
Vous utilisez les instruments traditionnels connus ainsi que d’autres plus innovants. Comment faites-vous le choix ?
Pour un percussionniste, d’une manière générale, le choix d’un instrument dépend d’abord du style de musique. Les percussions jouent un rôle fondamental dans la structuration des morceaux et leur rythmique. Ils aident à varier les ambiances des notes émouvantes à un son puissant et entraînant, qui fait danser les foules. J’ai essayé d’être polyvalent. Plusieurs instruments sont alors alternés lors d’un même spectacle, des fois même un seul morceau.
De plus, ça dépend également du niveau de compétence et des préférences personnelles en termes de sonorité et de technique. Je suis aussi violoniste. Je m’y connais aux instruments à cordes. Il y a une sorte de feeling qui fait toute la différence entre jouer et percuter.
Dans quelle mesure la formation académique est-elle importante pour un percussionniste ?
Contrairement à ce que l’on peut croire, ces instruments sont d’une grande complexité technique. Il faut suivre les notes écrites spécialement pour les percussions.La formation académique est importante à côté du talent car les répétitions ne reposent pas uniquement sur l’oralité. Sinon, ça prendrait des mois pour préparer un concert. Nous avons des établissements d’enseignements supérieurs de bon niveau, de véritables pépinières, et il y a des promotions de musiciens excellents diplômés.
Mais comment les faire connaître après et commercialiser leurs productions artistiques ? Il faut toute une stratégie dans ce sens.
Comment voyez-vous l’importance des instruments de percussion tunisiens dans le paysage musical actuel ?
Dans le monde entier, la musique se reconnaît au rythme. C’est un pont culturel qui relie les gens, l’histoire et la tradition. La percussion est plus qu’un simple rythme.Ces outils créent des ponts entre les différentes sections instrumentales et guident les mouvements musicaux. Ils sont fortement présents dans la musique classique tunisienne, le malouf, la musique soufie, le mezwed… Leur rôle dans la transmission de l’héritage culturel est alors crucial comme ils montrent la richesse de chaque région, englobant divers styles et pratiques. Même le tbal est très différent entre le Grand Tunis, Msaken, Djerba, Kerkena..
L’emplacement stratégique de notre pays fait également que les musiciens tunisiens soient ouverts aux musiques du monde. Les outils de percussion sont inclus dans plusieurs expériences de métissage musical. Ce fruit du mélange culturel permet de créer des passerelles entre les peuples, tout en donnant une nouvelle perception de la musique.
Est-ce que les instruments de percussion tunisiens sont attirants pour la nouvelle génération ?
Évidemment. On voit le tbal aujourd’hui même avec le rap. Le rythme est le miroir d’une société. C’est inné, on l’a dans la peau. C’est une question d’identité, des fois aussi de nostalgie.
Aujourd’hui, le domaine des percussions est représenté par une nouvelle génération de musiciens talentueux qui perpétuent l’héritage des légendes du passé et méritent une reconnaissance internationale grâce à leur maîtrise technique et leur créativité. Ils contribuent à maintenir les traditions vivantes et ont su adapter ces outils aux réalités musicales contemporaines, aux goûts et aux attentes du public actuel.
Peut-on dire qu’il y a un problème de statut, un manque de reconnaissance concernant les musiciens percussionnistes professionnels ?
Dans notre pays, on n’a pas cherché à faire connaître les instrumentistes d’une manière générale. L’attention et les applaudissements sont centrés autour du chanteur, qui est souvent la «star» du groupe. Les instrumentistes, bien qu’ils soient parfois très connus dans des genres spécifiques, sont souvent moins mis en avant. Or, quand on pense à Carmen par exemple, c’est plus de deux heures de concentration totale. C’est bien de voir que les concerts mettent en vedette récemment des icônes dans le domaine musical comme Hassine Ben Miloud et Bechir Selmi. Nous avons de nombreux autres noms mythiques ayant donné des prestations inoubliables. Ce n’est pas donné à tout le monde de jouer, même de reprendre certains morceaux difficiles. Il faut donc présenter les instrumentistes de près comme ils sont au centre d’une industrie culturelle. On doit célébrer en continu leur talent, leur innovation et leur contribution à l’univers de la musique.