Accueil Culture La poète et peintre française Sylvie Forestier à La Presse : Entre peinture et vers

La poète et peintre française Sylvie Forestier à La Presse : Entre peinture et vers

Ancienne enseignante à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs à Paris, artiste ayant plusieurs cordes à son arc (poésie, chanson, peinture, photographie, récital, théâtre, etc.) et autrice notamment  de « Paris aquarellé » et de « Les Pinceaux du Dire » qui vient juste de sortir  aux éditions parisiennes « Voix Tissées » dans la collection « Passage obligé »,  Sylvie Forestier est aujourd’hui l’une des voix  de la postmodernité poétique en France. Petite-fille du peintre français Paul Raymond Forestier (1902-1991), dont elle a publié les aquarelles dans un beau livre d’art, elle semble poursuivre par la plume comme par le pinceau l’œuvre majeure de cet artiste de grande envergure.

La Presse — « Les Pinceaux du Dire » est votre dernier recueil de poèmes. Dès le titre apparaissent vos deux grandes passions : la peinture et la poésie que vous vous appliquez dans ce livre, comme dans d’autres qui l’ont précédé, à faire rencontrer en illustrant la plupart de vos poèmes par vos toiles. Quel serait pour vos lecteurs l’intérêt de cette interaction-Texte-Image ?

Le titre que j’ai choisi Les Pinceaux du Dire pour intituler ce recueil résume à mon sens de façon concise les procédés artistiques par lesquels j’exprime mes pensées, mes réflexions et mes sensations. M’est revenue à l’esprit l’image du calligraphe chinois Shi Bo rencontré dans le 14e arrondissement de Paris à l’occasion d’un entretien pour la revue Migraphonies, revue des littératures et musiques du monde cofondée avec Patrick Navaï. Shi Bo est calligraphe et peintre et il utilise le même médium, à savoir le pinceau pour calligraphier ses lettres ou pour peindre.

En effet, la calligraphie  n’est-elle pas l’art pictural par excellence de l’écriture ? En reproduisant les manuscrits, les copistes médiévaux soignaient particulièrement la calligraphie des lettrines des débuts de paragraphes en s’entourant d’autres artistes pour les enluminer.  Certains manuscrits, accompagnés de très belles miniatures, sont d’ailleurs de purs chefs d’œuvre : citons Les Très Riches Heures du duc de Berry ou encore Les Grandes Heures de Rohan, ouvrages rédigés en unique exemplaire destinés aux riches notables qui les commandaient. Ou  encore Le Livre de la chasse de Gaston Phébus ou Le Livre des merveilles de Marco Polo. En Orient, berceau de l’écriture, calligraphie et miniatures se côtoyaient également dans les manuscrits arabes, persans ou indiens. Avec la découverte de l’imprimerie, l’art de la calligraphie s’est éclipsé en Occident, mais il s’est perpétué et reste très vivant en Orient. Je pense au calligraphe irakien Hassan Massoudy, dont les lettres arabes forment des peintures à elles seules ou encore au calligraphe iranien Abdollah Kiaïe avec ses lettres persanes. En 1918, le poète Guillaume Apollinaire invente le mot-valise Calligrammes, contraction de calligraphie et d’idéogramme, en intitulant ainsi son recueil de poésie, dans lequel il agence les poèmes sur la page de façon à ce que les mots et les phrases reproduisent des images. 

Quand vous mettez dans le même livre poèmes et peintures, lesquels sont nés, chez vous, les poèmes ou les peintures, ou est-ce qu’ils naissent tous simultanément, d’un seul geste créatif ?

Peinture et poésie sont liées dans mon imaginaire. Mon attrait pour la peinture remonte à mon enfance. Mon grand-père paternel était un aquarelliste chevronné et je le voyais animer ses dessins en y apposant avec dextérité ses touches de couleur. Son pinceau coloré glissait sur la feuille, c’était magique. Sur le plan professionnel, je me suis orientée vers des études supérieures de Lettres. J’aimais me plonger dans l’univers des écrivains, aller à la rencontre de leur style et de leur pensée. Dans mes ouvrages, poésie et peinture sont deux  arts qui s’inspirent mutuellement, l’un précédant l’autre à tour de rôle.

Dans la plupart de vos poèmes, vous donnez l’impression d’être complètement détachée de la réalité et que vous n’écrivez que pour donner une forme scripturaire, graphique, verbale, à vos rêves. Écrire serait-il pour vous une espèce de victoire sur la réalité matérielle par la beauté de vos rêves ?

À travers mes poèmes, je peins le monde environnant de façon à ce qu’il soit regardé poétiquement. C’est pourquoi j’utilise des figures de  style très imagées, telles les métaphores pour décrire ce que je vois. Plutôt que d’être en dehors de la réalité, je cherche à renouveler le   regard que l’on porte sur les êtres et les choses pour mieux les ressentir et les apprécier. Ainsi pour le poème intitulé Brouillard d’automne :

« Contemplons

Au point du jour

Cet immense tapis blanc

Recouvrant la vallée

Condensé féerique

Que l’air balaie délicatement

En voilures brumeuses

Jusqu’à l’évanouissement ».

Afin de continuer à exister et à intéresser le lecteur, la poésie aurait-elle nécessairement besoin de la peinture ou de la musique ou pensez-vous qu’elle peut perdurer en tant qu’un art autonome ?

Bien évidemment, la poésie n’a aucunement besoin de la peinture pour exister et être appréciée, d’autant moins que les images métaphoriques font partie intégrante de son langage.

La nature est fortement présente dans votre poésie qui serait peut-être une sorte d’hommage permanent à la nature-même. Cette présence si intense pourrait-elle s’expliquer par quelque tendance écologique chez vous ?

Peut-être mon patronyme Sylvie Forestier m’a-t-il prédestinée à regarder et aimer la nature. Il est un fait que je me nomme deux fois la forêt, bien que le mot sylve ne soit plus usité qu’en poésie. En outre, ma mère me disait que, toute petite, j’avais une prédilection pour la couleur verte.

De nos jours, la question écologique interpelle l’humanité tout entière. Etant donné que nous sommes par essence tous et toutes des êtres biologiques, notre existence dépend intrinsèquement de la bonne santé de notre planète Terre.

L’écriture semble être  pour vous, comme vous l’écrivez vous-même à la page 79 de votre recueil, une « fabuleuse aventure ».Pourquoi serait-elle une « aventure » et en quoi serait-elle « fabuleuse » ?

La fabuleuse aventure de l’écriture remonte aux tablettes d’argile datant du 3e millénaire avant Jésus-Christ, retrouvées en Mésopotamie. En déchiffrant ces tablettes, des chercheurs ont ainsi réussi à nous transmettre le plus ancien récit de l’humanité, à savoir L’Épopée de Gilgamesh, roi sumérien d’Uruk, en quête de la plante d’immortalité. L’un des questionnements fondamentaux sur notre condition humaine écrit il y a cinq mille ans et qui se perpétue de nos jours à travers les récits, essais, thèses, etc., n’est-ce pas fascinant ?

Dans votre poème « Propos sur le livre », vous dites que dans  le livre, celui de la poésie surtout, « le contenant et le contenu ne font qu’un » (p. 77). De quel contenant s’agit-il, celui qui correspond au support-papier, à l’impression et aux peintures, ou celui correspondant à la langue elle-même, les signifiants qui sont indissociables des signifiés ?

Mon Propos sur le livre n’aborde pas ici directement le point de vue du linguiste, mais concerne plutôt le livre en tant qu’objet détenteur d’une pensée. La pensée qui l’habite ne peut lui être ôtée. Voila pourquoi je dis :

« Ouvrir un livre

Lire feuille à feuille jusqu’à la dernière page

Refermer le livre

Il reste intact, prêt  pour une prochaine lecture

Et pourtant le lecteur lui a ravi ses pensées. »

Et c’est la raison pour laquelle autodafé et censure sévissent dans les régimes totalitaires : le livre est potentiellement subversif.

Par ailleurs, dans Propos sur le livre,  j’utilise volontairement le champ lexical du végétal, de la feuille, cette matière en cellulose dont il est fait. Ne dit-on pas que l’on feuillette un livre ? 

Vous avez quelquefois tendance à transformer le poème en un conte d’enfants (exemple p. 83). A quel besoin ou à quelle formation ou activité devez-vous cette tendance ?

Il me plaît que vous assimiliez ce poème du paon qui, ayant attrapé le croissant de lune, se désole de voir sa clarté s’évanouir. Développée, cette image symbolique pourrait effectivement faire l’objet d’un conte traitant des méfaits de l’avidité.

S’il est vrai qu’à certaines périodes de ma vie, j’ai pratiqué l’enseignement du français dans les collèges, s’il est vrai également que ce genre littéraire est souvent l’apanage du monde de l’enfance, car il y correspond particulièrement bien de par sa concision, ainsi que par la description imagée de la vie, il n’en demeure pas moins vrai que de nombreux contes ont été écrits aussi bien pour les enfants que pour les adultes. Ainsi, dans son ouvrage intitulé «Interprétation des contes de fées», l’auteure Marie-Louise von Franz, disciple de Carl Gustav Jung, analyse les contes de Grimm, lesquels, issus de l’inconscient collectif, peuvent intéresser aussi bien les enfants que les adultes. Le recueil de Flaubert, intitulé «Trois contes», est, quant à lui, essentiellement destiné aux adultes.

Pour ma part, j’ai adopté cette forme littéraire pour écrire deux de mes récits : «Le Songe d’Ifar» et «Le Fil bleu de l’horizon». Ce sont des contes qui peuvent être lus à tout âge.

On a l’impression que dans votre philosophie qui sous-tend vos poèmes, la mort découle de la vie et l’obscurité de la lumière (p. 59). La poésie, la vôtre, serait-elle le moyen d’inverser l’ordre des choses et de tirer le jour de la nuit ?

Je suis plutôt optimiste dans la vie. L’observation des cycles naturels nous rappelle qu’au repos hivernal succède le renouveau printanier. « Voilà pourquoi sans nature nous perdons pied ». Il est significatif que toutes les civilisations ont toujours fêté cette renaissance de la nature : citons le Norouz célébré le 21 mars en Orient, ou encore Pâques célébrant la résurrection du Christ le 1er dimanche après la pleine Lune qui suit le 21 mars. Ce qui ne m’empêche pas, bien sûr, d’être lucide sur les problèmes sociétaux, politiques et environnementaux auxquels nous sommes tous confrontés et qui nous concernent tous; les guerres ravageuses en sont les expressions les plus cuisantes.

Quelquefois les vers dans vos poèmes se réduisent à de simples vocables ou phrases particulièrement courtes et ramassées (p. 31). Cette économie verbale cherche t-elle à pousser le lecteur à trouver le sens dans le non-dit, dans  le silence  (éloquent) ou dans les lignes et formes informes de vos peintures accompagnant les poèmes ?

Mes poèmes sont courts, à l’instar des haïkus ou des maximes. Ils sont conçus comme de petits tableaux que sous-tendent une idée, une réflexion, un geste. Ils occupent peu de place sur la page blanche. À l’opposé des peintures qui elles occupent toute la page. Peut-être le lecteur plongera-t-il dans l’imaginaire de mes peintures ! Et peut-être plongera-t-il dans son propre imaginaire en lisant mes écrits !

On sait que vous avez un fils musicien de très haut niveau, Yvan Navaï. Avez-vous pensé à faire transformer par lui-même vos poèmes en des chants rythmés et musicalisés qu’il jouerait comme des symphonies ?

Mon fils Yvan Navaï a toute liberté pour mettre en musique mes poèmes. Je lui laisse le choix de décider.

Je lui rends hommage dans l’un de mes poèmes à travers cette métaphore filée :

« Fils aimé

Tes doigts sont les fils

De ton âme tisseuse

D’un flamboyant tapis

De sons cristallins »

Vous êtes la petite-fille du peintre français Paul Raymond Forestier (1902-1991) dont vous avez publié, en 2016, aux éditions  « Carnets-Livres », les aquarelles dans un livre. Qu’est-ce qui a motivé le long travail de recherche et de reproduction que vous avez dû accomplir pour publier ce livre : le besoin de sauvegarder la mémoire de votre grand-père ou le besoin de rendre hommage à la Ville de Paris qu’il a longtemps aimée et peinte et à laquelle vous êtes vous-même si attachée ?

Le goût pour la peinture, comme le sens des couleurs me viennent en grande partie de mon grand-père Paul Raymond Forestier. L’hommage que je lui ai rendu en publiant Paris aquarellé aux éditions Carnets-Livres découlait donc de source pour moi. D’autant plus que ses aquarelles savamment agencées et lumineuses magnifient Paris, le Paris qu’il arpenta tout au long du vingtième siècle. Parti tôt le matin le premier jour, muni de sa sacoche contenant son attirail de peintre, il choisissait un endroit à peindre. Puis se donnait alors une heure avant d’aller à son travail pour dessiner le site choisi sur sa feuille de papier Canson. Le jour suivant, il revenait au même endroit pour y apposer sa peinture en une heure aussi. Ses lieux de prédilection : le Quartier latin, les quais de la Seine, le jardin du Luxembourg, le parc Montsouris.

Comment était la réception de ce livre d’aquarelle par les peintres, les amateurs de ce genre de peinture et les lecteurs en général ? En êtes-vous satisfaite après tant d’efforts ?

Oui ce livre est apprécié, car il témoigne avec une grande sensibilité du Paris du XXe siècle, Paris dont certains lieux restent d’ailleurs inchangés aujourd’hui. J’ai, pour ma part, légendé ses peintures dans le but d’attirer l’attention du lecteur sur l’originalité de l’œuvre de Paul Raymond Forestier. Certains monuments ont disparu physiquement, telle la copie du palais du Bey de Tunis, monument anciennement situé dans le parc Montsouris et qui a brûlé dans les années 90. Toutefois ils perdurent à travers les tableaux de mon grand-père.

Une dernière question : en tant que poète et peintre, comment trouvez-vous la place qu’occupent aujourd’hui en France la poésie et la peinture ? Pourrait-on penser qu’on ne doit avoir rien à craindre pour l’avenir de ces deux arts majeurs ?

Les arts sont primordiaux dans nos vies. Ce sont des enchanteurs qui apportent le soleil dans les cœurs. Sans leurs présences, nous risquons la dépression. Je souhaite que l’intelligence artificielle ne les assèche pas en leur faisant perdre leur âme d’exception.

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