
Pour une surprise, c’en était bien une. Le chef de rayon s’adressait à une dame qui hésitait entre un bidon de cinq litres d’eau de Javel et un autre d’un litre. Patiemment, pédagogue, il essayait de lui expliquer que cela est plus rentable d’acheter celui de cinq litres.
«Je ne m’en sers plus beaucoup ces derniers temps. Je préfère acheter quelque chose d’autre».
Et elle finit par mettre dans son caddie celui d’un litre.
Le chef de rayon m’expliqua qu’elle n’était pas la seule à avoir ce réflexe ces derniers temps.
«Nous avons remarqué que les produits d’entretien ne se vendent plus avec autant de facilité qu’avant. La clientèle était le plus souvent portée sur ces articles et cela tournait bien». Ce n’est point une question de propreté, mais une question de pouvoir d’achat. Les bidons ou paquets de grandes quantités sont actuellement boudés par les consommateurs.
En effet, considérant les difficultés à joindre les deux bouts, on ne fait plus tourner une machine à laver deux ou trois fois par semaine. L’eau, l’électricité et le gaz coûtent de plus en plus cher et on se suffit de laver le linge une ou deux fois au maximum.
Ceux qui sont habitués à changer de chemise tous les jours ou deux fois par jour en été se contentent de le faire tous les deux jours.
Cela se répercute sur les choix et introduit de nouvelles habitudes.
«Il ne faudrait pas quand même généraliser.
Ce sont les jeunes qui vivent seuls pour des raisons d’affectation administrative ou pour d’autres raisons familiales qui sont les plus portés sur ces calculs. Les mères de familles font également partie de cette frange de la population qui a adopté de nouvelles façons de répartir son budget».
Cela confirme ce qui se passe dans d’autres pays pourtant nantis, où le consommateur rogne sur les dépenses qui étaient allouées aux produits d’hygiène pour pouvoir acheter ce dont il a besoin pour vivre. Les produits alimentaires, à part ceux qui sont subventionnés, au vu des prix qui augmentent, ne laissent que ce choix.
Le responsable de la grande surface, qui a sans doute remarqué le manège, il y a des caméras partout — surgit et prend part à la discussion.
«Il y a, précise-t-il, les produits de maquillage et de coloration pour les cheveux qui ne figurent plus dans les préoccupations, les priorités de la gent féminine. Nous vendons par exemple moins de brosses à dents, de gel, de shampooing, de dentifrice. Ce sont des choix qui ne trompent pas. On s’évertue à acheter utile.
On guette les promotions et on est à l’affût des produits vendus moins cher, en raison de la date de péremption proche, etc. Ces gens-là se pointent tôt le matin à l’ouverture. Ils ne laissent rien».
Tout en parlant, il nous accompagne du côté de la boucherie.
Le chef de rayon, informé de ce que nous voulions savoir, a été clair : «Contrairement à ce qu’on laisse entendre, ni le bœuf, ni l’agneau n’ont été très demandés lors du mois de Ramadan. Le consommateur, quoique disent les «influenceurs», est conscient que protester ou faire la tête ne sert à rien. Il faut s’adapter. Et en s’adaptant il y a moins de stress et de regrets.
Allez voir du côté du café, du lait, du thé. Il y en a de toutes les marques.
En fin de compte, le consommateur s’est non pas résigné, mais a adopté un train de vie autre que celui qui était le sien il y a quelques années».
Logique ? Peut-être. Mais il faudrait pousser les investigations pour aller plus loin dans ce raisonnement. Le premier constat permet d’espérer qu’il y aura moins de gaspillage. Mais c’est là un tout autre sujet.