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Taux de Fécondité : Maîtrise démographique et vitalité économique, la Tunisie à la croisée des chemins

Le véritable défi consiste à maintenir un équilibre, ni excès ni déclin. Un taux de fécondité situé entre 2 et 2,1 enfants par femme permettrait de préserver une structure démographique jeune, tout en gardant un contrôle raisonnable sur les pressions exercées sur les ressources du pays.

Situé entre 1,6 et 1,7 enfants par femme en 2023, le taux de fécondité en Tunisie reste faible mais demeure relativement « bon » comparé à celui de nombreux pays européens, selon le démographe et expert international Hafedh Chekir. Intervenant lors d’une table ronde organisée récemment à Tunis par l’Office national de la famille et de la population (Onfp), il a estimé que ce taux pourrait légèrement remonter dans les prochaines années, sans toutefois dépasser les 2 %.

Cette tendance à la baisse s’explique par des facteurs multiples, tels que le changement des priorités chez les jeunes, l’allongement des études, la quête d’autonomie, mais aussi par les retards dans l’âge du mariage, l’augmentation des divorces et autres phénomènes migratoires. Un faisceau d’indicateurs sociaux, démographiques et culturels qui témoignent d’une transformation profonde du rapport à la famille, à la parentalité, et plus largement au modèle de société.

Un taux optimal entre stabilité et renouvellement

Pour un pays comme la Tunisie, confronté à des défis de croissance économique, de transition sociale et de vieillissement progressif de la population, le taux de fécondité optimal se situerait autour de 2,1 enfants par femme, soit le seuil de renouvellement des générations. Ce niveau permettrait d’assurer un équilibre démographique, entre éviter une population vieillissante et dépendante, tout en maintenant une pression supportable sur les infrastructures, l’emploi et les ressources naturelles. En deçà de ce seuil, la Tunisie pourrait à terme faire face à une baisse de la population active, un recul du dynamisme économique et une pression accrue sur les systèmes de retraite.

Des modèles inspirants pour un équilibre fécond

Certains pays ont réussi à maintenir cet équilibre fragile entre modernité sociale, dynamisme économique et renouvellement démographique. C’est le cas par exemple de la France, dont le taux de fécondité reste l’un des plus élevés d’Europe (environ 1,8 à 1,9 en 2023), grâce à une politique familiale généreuse (congés parentaux, aides financières, crèches publiques) qui soutient la parentalité sans freiner l’émancipation des femmes. La Suède est un autre exemple qui combine égalité des sexes, forte participation des femmes au marché du travail et politiques sociales favorables aux familles, tout en maintenant un taux de fécondité proche du seuil de renouvellement. Le Maroc, plus proche de nous, tente également de contenir le déclin de sa fécondité tout en soutenant l’autonomisation des femmes et l’investissement dans la jeunesse.

Ces exemples montrent que l’enjeu n’est pas de revenir à des politiques natalistes classiques, mais d’offrir un cadre de vie propice à la construction familiale, tout en respectant les aspirations individuelles.

Pour la chercheuse Dorra Mahfoudh, intervenant dans la même rencontre organisée par l’Onfp, la Tunisie reste un pays pionnier en matière de droits des femmes depuis l’indépendance. Elle rappelle les avancées notables réalisées dans l’accès des femmes à l’emploi et aux sphères décisionnelles. Toutefois, ces progrès n’ont pas encore permis de combler les inégalités structurelles. Les femmes tunisiennes, selon l’experte, restent surreprésentées dans les statistiques de pauvreté et de chômage, freinant ainsi leur pleine participation à la vie économique et sociale.

Quand moins peut être mieux, mais pas toujours

Cette baisse de la fécondité, bien que perçue par certains comme un signe de modernité et de maîtrise démographique, soulève aussi des enjeux d’équilibre. Une population moins nombreuse permet en effet de mieux absorber les chocs économiques et sociaux. En ce sens, le programme de planning familial mis en place après l’indépendance a été salué pour sa clairvoyance, notamment lorsqu’on observe les effets déstabilisants du boom démographique dans d’autres pays de la région, où les infrastructures, les services publics et l’emploi n’ont pu suivre la poussée fulgurante du nombre d’habitants. Le modèle tunisien, souvent discret mais efficace, a inspiré plus d’un pays voisin. Il a permis de contenir l’explosion démographique tout en assurant un meilleur niveau de vie relatif, malgré les crises.

Mais si une population maîtrisée permet d’amortir les crises, une population jeune, dynamique et formée demeure un atout stratégique majeur pour le développement d’un pays. La jeunesse est une richesse, elle incarne le potentiel d’innovation, de travail, de renouvellement des élites et de dynamisme économique.

Préserver une population jeune, un enjeu stratégique

Le véritable défi consiste donc à maintenir un équilibre, ni excès ni déclin. Un taux de fécondité situé entre 2 et 2,1 enfants par femme permettrait de préserver une structure démographique jeune, tout en gardant un contrôle raisonnable sur les pressions exercées sur les ressources du pays. Ainsi, la transition démographique tunisienne ne doit pas se transformer en déclin. Elle doit devenir une opportunité pour repenser le développement, l’égalité et l’inclusion, en construisant un avenir où chaque génération trouvera sa place sans se heurter aux limites d’un modèle épuisé.

La Tunisie ne peut, en effet, se permettre de glisser silencieusement d’une transition démographique réussie vers un déclin démographique subi. Le modèle qui a permis de maîtriser la croissance de la population, d’améliorer le niveau de vie et de garantir un certain équilibre social ne doit pas devenir un frein à l’avenir. Car une population jeune, formée, en bonne santé, ce n’est pas une simple variable statistique, c’est une force vive, un moteur de créativité, une promesse de renouveau.

L’enjeu aujourd’hui n’est pas de faire plus ou moins d’enfants, mais de créer un environnement où celles et ceux qui souhaitent fonder une famille peuvent le faire sans compromis sur leur avenir. Où la jeunesse n’est pas perçue comme un fardeau, mais comme une chance à cultiver. Maintenir un équilibre entre dynamisme démographique et justice sociale, c’est refuser de choisir entre ambition collective et trajectoires individuelles.

Pour des politiques publiques cohérentes

C’est là, dans cette tension féconde entre passé et futur, que la Tunisie peut tracer sa voie. Non pas en revenant en arrière, mais en allant plus loin. En construisant un projet de société où chaque naissance est accueillie non comme un fardeau, mais comme un espoir, un pari sur l’avenir. Où l’on se dit, en regardant ce bébé naître, qu’il trouvera un banc à l’école, un tour dans un dispensaire de santé, un accès à une instruction complète, solide, qui le mènera vers un avenir professionnel à construire ici, chez lui, dans son pays. Un pays qui ne le pousse pas vers l’exil, mais qui lui ouvre des chemins. Un pays où grandir rime avec dignité, et où le potentiel de chacun n’est pas gaspillé mais valorisé.

Car c’est bien là le cœur de l’enjeu ; ne pas laisser le destin se jouer uniquement dans les chiffres, mais dans la réalité concrète des familles, des enfants et des jeunes. Offrir une place à chacun, c’est donner du sens à chaque naissance. C’est refuser que l’ambition individuelle et le projet collectif s’opposent. C’est choisir, résolument, de faire de la jeunesse non un problème à gérer, mais une promesse à tenir. Et pour que cette ambition devienne réalité, ce sont des politiques publiques cohérentes, audacieuses et rigoureusement mises en œuvre qui feront, in fine, toute la différence.

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