Accueil Culture « Silentium » de Nidhal Chatta dans nos salles de cinéma : Dire les choses sans concession

« Silentium » de Nidhal Chatta dans nos salles de cinéma : Dire les choses sans concession

Il était une fois une vieille bâtisse isolée en bord de mer, dont les murs défraîchis, vestiges d’un éclat révolu, abritent des personnages cabossés par la vie.

Après son dernier long métrage « Mustafa Z » sorti en 2017, le réalisateur Nidhal Chatta revient avec un nouvel opus intitulé « Silentium » (Qalb h’jar). Tourné en novembre 2021, ce film s’inspire d’un fait réel survenu en 1991, scénarisé par Sophia Haouas.

À l’écran, on retrouve Rym Hayouni, Mohamed Dahech, Abdelmonem Chouayet, Lamine Belkhodja, Besma El Euchi, Oumaima Bahri, Fatma Felhi et Lotfi Abdelli. «Silentium» vient de faire sa sortie dans nos salles le 23 avril dernier.  

Il était une fois une vieille bâtisse isolée en bord de mer, dont les murs défraîchis, vestiges d’un éclat révolu, abritent des personnages cabossés par la vie, tous porteurs de blessures profondes. Il était une fois une maison qui a du vécu et qui, comme une matriarche, tend les bras pour accueillir une «part maudite» d’une société. 

Au cœur de ce microcosme, Mounir, le concierge (campé par un excellent Mohamed Dahech), traîne son mal-être dans les couloirs, exécutant mécaniquement ses tâches tout en observant les résidents avec une attention glaçante. Son regard vide s’éclaire à la vue de Malek (la sublime Rym Hayouni), une belle et jeune restauratrice en archéologie, brisée par un viol et rejetée par sa famille. 

Petit à petit, la caméra s’immisce discrètement entre les parois de l’habitation-mère, nous dévoilant les autres âmes qui hantent les lieux, occupant chacun un appartement : Khaled, un jeune banquier homosexuel, méfiant et protecteur, très proche de Malek ; Mouna (Maya Oueslati), une femme divorcée, maman d’une fillette (Lili), qui est obligée de se prostituer pour pouvoir compenser les manquements du père qui ne paie pas la pension alimentaire ; Jihen, une belle jeune femme de couleur (jouée par la magnifique Oumaima Bahri), qui vient de débarquer de son Sud natal. Rejetée par la famille de son bien-aimé à cause de la couleur de sa peau, elle vit dans l’attente d’un dénouement heureux. Et le terrible Lotfi (Abdelmonem Chouayet, acteur fétiche de Chatta), l’archétype du mec mal dans sa peau, lâche, grossier et violent, qui noie ses névroses dans l’alcool et bat sa femme Fatma, un être fragile et traumatisé (admirablement interprété par Basma El Euchi).

D’autres personnages, tels qu’Azza (Fatma Felhi), amie chaleureuse de Malek, ou encore un agent de police silencieux mais bienveillant (Lotfi Abdelli), enrichissent l’univers du film.

Dans l’étroitesse des couloirs de ce lieu rempli d’histoires et de douleurs, dans cette proximité toxique, grandit tranquillement un cumulus émotionnel et affectif. Violente et dure sera l’explosion…

Le réalisateur voulait distiller ce devenir intense et violent et des choses doucement, comme une pernicieuse moisissure qui viendrait infester en silence nos murs. Et pour ce faire, il devait miser sur les bons interprètes, ceux et celles qui peuvent donner écho et forme (sans surjeu) à cette violence vicieuse qui les entoure, qu’ils portent aussi en eux, et l’interpréter (dans l’idéal) d’une manière organique.

Crédit photos : Ahmed Ouertani

«Ça a été dur de trouver l’interprète de Malek, on a eu beaucoup de refus, les gens ont eu peur. Rym s’est présentée au casting alors qu’on était déjà au 9e jour de tournage. J’ai vu en elle beaucoup de potentiel. Elle a une petite expérience dans le théâtre et est une artiste performeuse. Je l’ai dirigée en lui proposant de faire les choses à l’instinct, sans faire attention aux failles, aux moments de silence et autres fractures dans le jeu, qui, pour moi, donnent une vérité et une justesse au moment. Je trouve qu’elle s’en est bien tirée», note Chatta. 

Des moments de vérité

Autre parti pris de Chatta : montrer les choses sans concession. Et c’est plus que louable de sa part, car on avait besoin de ces instants cinématographiques rejetés par la sacro-sainte doxa, qui les juge provocateurs, immoraux, non conformes à nos sociétés… Mais quand on veut secouer un peu la fourmilière et mettre au jour (même si ici cela prend les allures d’un inventaire clinique, voire d’un échantillonnage, mais ça ne dérange pas trop…) les complexes de notre société tunisienne (poids du patriarcat et des traditions, racisme, intolérance…), on ne peut et ne doit pas faire ça à demi-mesure. On ne peut souligner les non-dits en misant uniquement sur les filtres, les allusions et les suggestions. On n’a plus le droit de le faire aujourd’hui, et surtout pas quand on est faiseur d’images.

Chatta a représenté cela dans une narration fluide et rythmée. On a eu droit à une belle séquence en montage alterné, figurant instantanément la vie dans chaque appartement sur fond d’un acte sexuel entre Lotfi (le mari violent de Fatma) et Mouna (la maman divorcée), distillée par une musique d’opéra avec un climax suggestif.

Et puis il y a eu la scène de viol… confisquée malheureusement (censurée), fruit des frustrations et de l’amour obsessionnel de Mounir pour Malek. Une scène pourtant nodale, d’une grande intensité, qui va justifier la tournure des choses. Elle a été tournée en trois jours, nécessitant beaucoup de préparations avec ses protagonistes, comme le souligne le réalisateur. De figurée, elle devient suggérée, en hors champ, surtout à travers les cris de la victime et la réaction du voisin voyeur (Lotfi).

Le drame va aboutir à une vendetta silencieuse, justifiée par la saloperie machiste de policiers, dont se démarquera néanmoins un gentil et discret agent (lui-même victime), qui va aider à deux reprises Malek.

En parlant de silence justement, on notera que Chatta en a fait, avec le suggestif et le hors champ, des matériaux de construction de base, au risque d’en abuser par moments et de manquer de justifier certaines choses ou de leur donner de l’intensité. On en sort parfois avec un sentiment d’inachevé, voire d’incompréhension (que même la narration sonore n’atténue pas). Il y a eu aussi le jeu parfois statique, un peu figé de la jeune Rym qui débute dans le cinéma (premier long métrage) et qui a porté un personnage très complexe (pas évident pour un premier vrai rôle), manquant parfois, malgré une grande présence à l’écran, de donner du crédit à certains échanges (surtout dans la scène avec les policiers). On a noté aussi des situations un peu précipitées qui n’ont pas pris le temps de bien s’installer dans le film et dont on ne justifiait pas toujours l’aboutissement, comme si les pierres semées en route pour nous guider ont été dispersées… 

Un beau récit musical

On a noté aussi quelques problèmes de dosage du son par moments, mais qui, heureusement, n’ont rien enlevé de l’éloquence de la musique du film, signée Selim Arjoun. Une musique que l’artiste, en concertation avec le réalisateur, a puisée dans l’esthétique classique et baroque : « Pour poser une base musicale riche et solennelle, tout en y insufflant une touche contemporaine subtile, presque organique, permettant de faire dialoguer passé et présent », comme il le note.

On a eu droit à des œuvres d’opéra, telles que Alto Giove et Di Provenza il mar, il suol, toutes deux réenregistrées spécialement pour le film. Des morceaux qui ont pris une dimension nouvelle grâce à l’interprétation du contre-ténor tunisien Baha Ben Fadhel, dont les performances vocales ont été accompagnées par un quatuor à cordes du Budapest Symphony Orchestra.

La chanson du générique du film a été écrite par Leila Jalel et interprétée par Noor Arjoun, qui en signe aussi la composition musicale. Silentium incarne les aspirations de son réalisateur, ainsi que de toute l’équipe (mention spéciale pour l’image et le décor) qui a persévéré avec détermination, malgré les obstacles, afin de pouvoir enfin le présenter au grand public. Et même si la narration n’a pas toujours su porter ce délicat mélange de solennité et de violence, on retient la sincérité du propos, cette belle écriture faite de mots, de silence et de musique, des moments de vérité qu’on aurait voulu voir dans leur intégralité, des acteurs challengés et d’autres en devenir.

Charger plus d'articles
Charger plus par Meysem MARROUKI
Charger plus dans Culture

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *