Accueil A la une Dessalement et énergie solaire : Quand le soleil alimente l’espoir d’une eau durable

Dessalement et énergie solaire : Quand le soleil alimente l’espoir d’une eau durable

Face à la crise de l’eau, la Tunisie explore des solutions innovantes pour répondre à ses besoins. Le dessalement par l’énergie solaire, combiné à l’osmose inverse, émerge comme une réponse viable, mais de nombreux obstacles freinent son déploiement. À travers le parcours de Riadh Ben Khalifa, directeur de Solartech-Sud, nous explorons les promesses et les défis d’une technologie locale qui pourrait transformer le paysage de l’eau en Tunisie.

La Presse — Et si la solution à la pénurie d’eau en Tunisie se trouvait dans l’alliance entre le soleil et l’ingéniosité locale ? Longtemps écarté à cause de son coût énergétique, le dessalement de l’eau connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, porté par deux révolutions technologiques: l’osmose inverse et l’énergie solaire. Pourtant, malgré un fort potentiel, les initiatives locales peinent à se concrétiser. Le parcours de Riadh Ben Khalifa, ingénieur et directeur général de Solartech-Sud, illustre les promesses d’une transition et les blocages d’un système qui peine à s’adapter. « Ce projet de technopole spécialisé dans les énergies renouvelables, les technologies de dessalement et les Cleantech, en cours de développement dans le cadre d’un partenariat public-privé régi par la loi 50-2001, peine à se concrétiser malgré plus de 14 ans de procédures et de discussions avec l’administration», déplore-t-il.

L’innovation ne suffit pas !

Et pourtant, la technologie est aujourd’hui bien maîtrisée. L’osmose inverse, largement utilisée à l’échelle mondiale, a permis de diviser par trois l’énergie nécessaire à la production d’un mètre cube d’eau douce. Le dessalement à l’énergie solaire, autre levier de transformation, bénéficie de la baisse spectaculaire du coût des énergies renouvelables. En Tunisie comme dans d’autres pays du Sud, le kilowattheure solaire est désormais plus compétitif que celui issu des sources fossiles. Certes, l’intermittence de la production solaire et les difficultés de stockage subsistent, mais les économies générées — même en cas d’utilisation partielle — sont significatives. « Les avancées dans les technologies solaires, combinées aux économies d’échelle, ont permis une baisse du coût de production de l’eau dessalée. Aujourd’hui, cette solution devient non seulement viable, mais stratégiquement incontournable », affirme Riadh Ben Khalifa. La Banque mondiale estime d’ailleurs que dans les stations les plus optimisées, le coût peut atteindre 0,5 dollar par mètre cube, avec des perspectives de baisse à 0,3 dollar d’ici quelques années. Des chiffres qui rendent cette solution particulièrement attractive pour les pays soumis à un stress hydrique chronique. Mais sur le terrain, l’innovation ne suffit pas. En 2017, Solartech-Sud tente de développer un premier projet de dessalement thermique à énergie solaire concentrée, entièrement autofinancé. Le projet est abandonné, faute de soutien, de moyens publics et d’appui en recherche.

Cinq ans plus tard, Riadh Ben Khalifa et son équipe relancent une nouvelle version, cette fois basée sur l’osmose inverse. L’objectif est clair: proposer une solution commercialisable, adaptée aux besoins des agriculteurs et des industriels, tout en étant autonome, intelligente et 100 % tunisienne. La technologie fonctionne. Elle est déployée sur plusieurs sites. Mais elle a dû franchir de nombreux obstacles: pénurie de profils qualifiés, équipements indisponibles localement, lourdeurs à l’importation de composants spécifiques. « Nous avons dû former nous-mêmes de jeunes diplômés, car il n’existe pas de filière nationale spécialisée dans le traitement avancé de l’eau », explique-t-il.

Pour un changement profond des politiques publiques

À cela s’ajoute une problématique de fiscalité qui pénalise la fabrication locale. « Un équipement de dessalement fabriqué en Tunisie coûte plus cher qu’un appareil importé, parfois de qualité inférieure, en raison des taxes et droits de douane sur les composants. Il est paradoxalement plus avantageux de produire à l’étranger et d’exporter vers la Tunisie que de créer de la valeur localement », déplore-t-il.

Une autre difficulté majeure réside dans l’éparpillement des efforts de recherche. Les compétences sont dispersées entre plusieurs universités et centres, sans coordination suffisante pour aboutir à des résultats concrets à l’échelle industrielle. Face à ces blocages, Riadh Ben Khalifa plaide pour un changement profond des politiques publiques. Selon lui, la Tunisie doit bâtir une stratégie ambitieuse fondée sur la formation, la recherche appliquée, une politique fiscale incitative, ainsi que des dispositifs de soutien à l’investissement et à l’acquisition d’équipements. Il insiste également sur l’urgence de clarifier la gestion des saumures — ces rejets d’eau concentrée issus du processus de dessalement. « Il n’existe aucune réglementation claire en la matière. Il est impératif de définir des normes, des zones de rejet autorisées et de simplifier les procédures», ajoute-t-il.Au-delà du cas tunisien, la question de l’eau est en train de s’imposer comme un enjeu global. Lors de l’une des plus grandes rencontres mondiales du secteur, organisée à Francfort, Riadh Ben Khalifa a constaté un virage majeur dans les discours et les priorités. «La question de l’eau revient en force dans les négociations internationales. Elle n’est plus reléguée à une problématique locale, elle devient centrale dans la lutte contre le changement climatique », observe-t-il.

Lors de la COP29, une déclaration conjointe sur l’eau et le climat a été adoptée. La Banque mondiale a annoncé un renforcement de ses investissements dans ce domaine, et l’ONU prévoit une nouvelle conférence mondiale sur l’eau en 2026. Objectif : accélérer la réalisation de l’ODD n°6 — garantir l’accès à une eau propre et à l’assainissement pour tous d’ici 2030. Un objectif hors de portée sans accélération majeure.

La crise peut devenir un levier

Le dessalement à l’énergie solaire apparaît donc comme une solution naturelle dans les pays du Sud, confrontés à la fois à la rareté de l’eau et à l’insuffisance énergétique. En zones rurales, de petites stations autonomes peuvent fournir une eau potable fiable sans dépendre des réseaux, souvent défaillants. En milieu urbain, elles permettent de soulager les infrastructures énergétiques en coïncidant avec les pics de consommation. Plusieurs agences bilatérales, notamment européennes, financent déjà ce type de projets au Kenya, au Sénégal, en Tanzanie ou encore au Sahel. Les banques multilatérales, elles, commencent à envisager des projets de plus grande ampleur, reposant sur la même approche.

Riadh Ben Khalifa est convaincu que la Tunisie peut tirer parti de ses contraintes pour se transformer. « Ce que nous vivons est une épreuve vitale, un moment critique. Mais nous avons les ressources et la motivation. Si nous parvenons à organiser nos forces, cette crise peut devenir un levier ».

Il compare le cas tunisien à celui des Pays-Bas. Confrontés à une forte vulnérabilité face à la mer, les Néerlandais ont dû développer des solutions agricoles hors sol. Aujourd’hui, ils sont leaders mondiaux dans ce domaine. « De la même manière, notre contrainte hydrique peut devenir un levier de spécialisation. » Le marché mondial du dessalement devrait dépasser les 10 milliards de dollars d’ici 2030. En se positionnant maintenant, la Tunisie peut créer une filière exportable, génératrice d’emplois, de compétences et de souveraineté. « Soit nous construisons un véritable plan Marshall national pour surmonter cette crise, soit nous poursuivons dans l’inaction et risquons de compromettre l’avenir de la nation », conclut-il.

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