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Migration irrégulière : La Tunisie trace ses lignes rouges

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Face aux flux migratoires croissants et aux critiques venues de l’étranger, la Tunisie affirme une ligne claire : elle ne sera ni une terre d’installation ni une voie de transit pour les migrants irréguliers. À l’épreuve des faits, le pays veut conjuguer fermeté et humanité.

La Presse — Dans une déclaration officielle donnée jeudi 24 avril, le général de brigade, Houssem Eddine Jbebli, porte-parole de la Direction générale de la Garde nationale, a affirmé que la Tunisie « ne sera plus jamais une terre d’installation ou de transit pour les migrants irréguliers ». Un message clair qui intervient alors que les opérations de démantèlement des camps de migrants subsahariens se poursuivent, notamment dans les régions de Sfax, à El Amra et Jebeniana, devenues des zones de fixation pour des milliers de personnes en situation irrégulière.

Selon les chiffres communiqués, le camp de Henchir El Karkeni, à El Amra, abritait plus de 2 500 migrants, tandis que celui de Henchir Ouled Hmed à Jebeniana comptait entre 800 et 1 000 personnes. Depuis le début du mois d’avril, six camps regroupant environ 9 000 migrants ont été démantelés, et d’autres opérations sont en cours.

Un dispositif multidisciplinaire mobilisé sur le terrain

Le porte-parole de la Garde nationale a salué l’action conjointe des forces de sécurité, des services de santé, de la Protection civile et du Croissant-Rouge tunisien, évoquant une coordination « exemplaire » et un « professionnalisme » qui, selon lui, témoignent du respect des droits de l’homme dans la gestion de ce dossier complexe.

Il a notamment cité la prise en charge des femmes enceintes, transférées vers les hôpitaux, comme illustration du traitement humanitaire dont ont bénéficié certains migrants lors des opérations. La présence du secrétaire d’État chargé de la sûreté nationale, Sofiene Bessadok, et de hauts responsables du ministère de l’Intérieur  souligne l’importance stratégique que le gouvernement tunisien accorde à cette question.

La parole aux migrants

Plusieurs migrants subsahariens ont exprimé leur volonté de retourner volontairement dans leur pays d’origine, face aux conditions de vie devenues insoutenables. Beaucoup ont expliqué leur présence par le rêve de rejoindre l’Europe, de travailler et de subvenir aux besoins de leurs familles. Ce rêve, aujourd’hui brisé, les confronte à une réalité sans issue.

Les autorités tunisiennes affirment, de leur côté, avoir facilité l’accès à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), basée à Tunis, afin d’encadrer ces retours volontaires.

À Henchir El Karkeni, le propriétaire du terrain, Chafik Jamoussi, a salué le démantèlement du camp érigé sur ses terres, affirmant que celles-ci étaient destinées à la production agricole et animale. Il dit avoir multiplié les plaintes pour récupérer cette propriété de plus de cinq hectares, occupée « depuis plusieurs années » par des migrants.

Entre xénophobie supposée et réalités économiques

Alors que certains médias étrangers dénoncent une politique xénophobe ou un durcissement de la Tunisie vis-à-vis des migrants, les autorités locales insistent sur une gestion « souveraine » de la question migratoire, une position d’autant plus légitime qu’en Europe, les démantèlements de camps et les dispositifs de rétention sont non seulement monnaie courante, mais se déroulent parfois de manière violente, sans grand égard pour les normes humanitaires qu’on n’hésite pourtant pas à brandir à tout bout de champ dès qu’il s’agit de faire la leçon à un pays comme la Tunisie.

Le contraste est saisissant. Ceux-là mêmes qui pointent du doigt la Tunisie pour sa fermeté ferment eux-mêmes leurs frontières, dressent des barbelés, créent des centres de rétention dans des conditions souvent déplorables, et organisent des expulsions massives. La critique, dans ce contexte, ne peut qu’apparaître sélective, et, à bien des égards, profondément hypocrite.

Quelle politique migratoire pour la Tunisie ?

La vraie question est ailleurs : la Tunisie a-t-elle, aujourd’hui, les capacités financières, humaines et institutionnelles pour intégrer de tels flux migratoires ? Avec une population d’un peu plus de 12 millions d’habitants et une économie en crise, la réponse est, objectivement, non.

Le pays fait face à des défis colossaux comme une  inflation galopante, un chômage persistant, des services publics en souffrance et une pression sur les ressources naturelles. Dans ce contexte, imposer à la Tunisie un rôle de pays d’accueil ou de transit « par défaut » est irréaliste et injuste. Cela revient à faire peser sur elle une charge que même des pays bien plus riches peinent à assumer.

Mais cela ne saurait justifier un traitement dégradant ou arbitraire des migrants. La dignité humaine, le droit à la protection, l’accès aux soins et le respect des normes internationales doivent rester la boussole morale de notre politique migratoire. L’enjeu, pour la Tunisie, est donc de conjuguer souveraineté et humanité, fermeté et décence, dans un équilibre aussi fragile que nécessaire.

Souveraineté ne doit pas rimer avec brutalité

La Tunisie a le droit, et même le devoir, de protéger son territoire, d’organiser son espace, de refuser l’anarchie migratoire. Mais elle a aussi la responsabilité, au nom de son histoire, de ses principes et de sa crédibilité internationale, de ne pas céder à la brutalité ou à l’indifférence.

Refuser de devenir un pays de transit ou d’installation n’a rien de honteux. Ce qui compte, c’est la manière dont cette position est traduite dans les faits. La souveraineté ne s’oppose pas à l’humanité ; elle peut, au contraire, en être le prolongement lorsque les principes sont appliqués avec justice, respect et dignité. Si notre pays veut réellement « donner une leçon » en matière de droits de l’homme — comme l’affirme avec fierté une partie des autorités — alors cette leçon doit être cohérente, constante et profondément humaine. Elle ne peut pas être à géométrie variable, selon les regards tournés vers nous ou les circonstances politiques du moment. C’est dans la façon dont nous traitons les plus vulnérables, même dans un contexte difficile, que se mesure notre véritable stature morale. Et c’est à cet endroit précis, entre fermeté et humanité, que la Tunisie peut choisir de se tenir debout, fièrement, et durablement.

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