
Dans un contexte économique marqué par des prévisions de croissance modestes, Anis Ben Saïd, conseiller fiscal agréé et expert judiciaire, met en lumière les réformes nécessaires pour redynamiser l’économie tunisienne. Il évoque les leviers potentiels pour stimuler l’emploi, moderniser les secteurs clés et renforcer la compétitivité du pays, tout en soulignant les opportunités de transformation à travers une gouvernance améliorée et une meilleure gestion des ressources.
La Presse — Quelle lecture faites-vous des projections de croissance limitées à 1,4 % pour la Tunisie à l’horizon 2026, et quels en sont, selon vous, les principaux déterminants ?
La Tunisie a enregistré les taux suivants au cours de la période 2022-2024 : en 2022, l’économie a connu une croissance de 2,6 %, portée par la reprise postpandémique et des exportations relativement solides. En 2023, la croissance a nettement ralenti à 0,4 %, tandis qu’en 2024, un léger rebond à 1,4 % a été observé, principalement grâce à la bonne performance du secteur agricole et à une reprise modérée des industries manufacturières et des services.
Bien que cette progression modeste puisse être interprétée comme un signe de résilience dans un contexte économique mondial incertain, elle traduit davantage une stagnation préoccupante. Le taux de chômage élevé, estimé à 16,4 % en 2024, ainsi qu’une inflation persistante, bien qu’en légère baisse — passant de 7,1 % en 2024 à 6,7 % en 2025 —, témoignent de tensions économiques et sociales profondes.
Quelles réformes économiques la Tunisie devrait-elle prioriser pour sortir durablement de cette croissance atone et relancer son développement?
Selon les observateurs, il est nécessaire d’engager des réformes structurelles pour stimuler la croissance économique. Ces réformes incluent l’amélioration de la gouvernance, la simplification des procédures administratives, le développement du secteur privé et la promotion des exportations. Parallèlement, l’institution insiste sur l’importance de renforcer la protection sociale afin d’atténuer les effets potentiellement négatifs de ces réformes sur les populations les plus vulnérables.
Les prévisions de croissance pour la Tunisie ne traduisent pas une résilience économique, mais plutôt une stagnation préoccupante. Sans la mise en œuvre de réformes structurelles ambitieuses, le pays risque de voir sa situation économique se dégrader davantage. Pour dépasser la croissance modérée actuelle et relancer la dynamique économique, plusieurs réformes profondes s’imposent, selon les analyses du FMI, des économistes tunisiens et des institutions internationales. La réforme de la gouvernance publique et la lutte contre la corruption visent à rétablir la confiance des investisseurs et des citoyens.
Elle passe par la numérisation de l’administration, une plus grande transparence budgétaire, la réforme des marchés publics et le renforcement de l’indépendance de la justice. L’impact attendu est une amélioration notable du climat des affaires, accompagnée d’une hausse des investissements, tant étrangers que locaux. L’allègement de la bureaucratie et la réforme du cadre réglementaire figurent également parmi les priorités fondamentales. L’objectif est de stimuler l’entrepreneuriat et l’investissement privé, grâce à des mesures telles que la simplification des procédures de création d’entreprise, l’unification des régimes fiscaux et la réduction des autorisations administratives. Cela devrait favoriser la croissance des PME et la formalisation de l’économie informelle. La réforme des entreprises publiques a pour but de réduire la charge qu’elles représentent pour les finances publiques, tout en améliorant leur efficacité économique.
Les mesures préconisées incluent des audits, des restructurations, des partenariats public-privé et des privatisations ciblées, avec pour résultat attendu une diminution du déficit public, des services plus performants et un effet d’entraînement pour l’investissement privé. La refonte du système fiscal a pour objectif d’accroître les recettes de l’Etat de manière équitable et durable. Cela implique l’élargissement de l’assiette fiscale, la lutte contre l’évasion fiscale et la mise en place d’une fiscalité plus progressive. L’impact attendu est un meilleur financement des services publics et une réduction des inégalités sociales. La modernisation du secteur agricole et le soutien à l’économie verte visent à valoriser les ressources naturelles du pays tout en diversifiant l’économie. Cela passe par des investissements dans l’irrigation intelligente, l’agro-industrie et les énergies renouvelables. Ces actions devraient permettre la création d’emplois en milieu rural et favoriser une croissance durable et résiliente. La réforme du marché du travail a pour ambition de réduire le chômage des jeunes et de mieux aligner la formation sur les besoins du marché.
Elle repose sur le développement de la formation professionnelle, une révision du code du travail et des incitations à l’embauche. L’objectif est d’améliorer l’employabilité et de renforcer l’inclusion économique. Enfin, le renforcement du secteur financier vise à améliorer l’accès au financement pour les entreprises et les ménages. Les leviers identifiés incluent le développement de la microfinance, la digitalisation des services bancaires et la réforme des banques publiques. L’effet attendu est une dynamisation de l’investissement privé et un soutien accru à l’activité économique.
Dans quelle mesure les prévisions de croissance économique influencent-elles les perspectives d’emploi et d’insertion professionnelle des jeunes diplômés ?
La prévision économique joue un rôle déterminant dans la confiance des investisseurs étrangers et dans la capacité de la Tunisie à créer des emplois, notamment pour les jeunes diplômés. En 2024, le pays a enregistré une augmentation significative des investissements étrangers, avec une hausse de 16,7 % par rapport à l’année précédente, atteignant 2.956,6 millions de dinars.
Cette progression, principalement portée par les investissements directs étrangers (IDE) dans les secteurs manufacturier et énergétique, témoigne de l’attractivité croissante de la Tunisie aux yeux des investisseurs internationaux. Cependant, malgré cette dynamique positive, le marché du travail tunisien continue de faire face à des défis structurels. Le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur a atteint 25 % au troisième trimestre 2024, mettant en lumière une inadéquation persistante entre les compétences acquises et les besoins réels du marché. Cette situation est aggravée par la rigidité du marché de l’emploi et par la fuite des talents, de nombreux jeunes diplômés choisissant d’émigrer à la recherche de meilleures perspectives de carrière et de conditions de vie plus attractives.
Pour répondre à ces défis, plusieurs initiatives ont été lancées. Le programme de renforcement de l’enseignement supérieur pour l’employabilité, l’innovation et la résilience (Steeir), financé par la Banque mondiale, vise à moderniser les cursus universitaires et à renforcer les liens entre le monde académique et le secteur privé. Par ailleurs, le programme « CAP Emplois », mis en œuvre en collaboration avec la Banque africaine de développement, ambitionne de créer des emplois décents pour les jeunes, en particulier pour les femmes et les diplômés de l’enseignement supérieur. En conclusion, bien que les prévisions économiques favorables aient contribué à renforcer la confiance des investisseurs étrangers, la Tunisie doit poursuivre ses efforts pour adapter son système éducatif et améliorer la flexibilité de son marché du travail afin de maximiser les retombées positives sur l’emploi des jeunes diplômés.