
Le «Mayou» perpétue la tradition multimillénaire de la région du Kef pour la célébration du renouveau printanier. C’est la fête de l’abondance. Les familles sortent à travers champs, les hommes et les enfants bien habillés, les femmes les yeux noircis au khol quittent leurs logis à l’aube pour éviter le «gattous el mayou» qui attirait le mauvais sort.
La Presse —C’est le 14 mai de chaque année que la ville du Kef organise cette fête à laquelle participent bien entendu la population mais aussi les milliers de visiteurs qui la prennent d’assaut. Rien que pour vivre les festivités qui s’y déroulent dans un faste spontané et généreux.
Tout ce beau monde implore, pour que la nouvelle année soit celle de l’abondance, l’aisance et le bonheur. Ils lorgnent du côté des récoltes et des moutons qui devaient être bien gras pour nourrir ceux qui sont là pour cette fête.
Le Kef est une ville du Nord-Est du pays et le chef lieu du gouvernorat, situé à 175 kilomètres à l’Ouest de la capitale Tunis. Elle est à une quarantaine de kilomètres à l’Est de la frontière algérienne.
Le saint patron du Kef est Sidi Boumakhlouf qui a donné son nom à un mausolée de la ville.
Le site de Sidi Zin
Mais le Kef, ce n’est pas seulement ces élans populaires, c’est aussi un des berceaux de l’humanité. Les vestiges que l’on a découverts et que l’on ne semble pas encore bien décidé à mettre véritablement en valeur et que les nouvelles dispositions prises pourraient relancer, nécessitent plus d’une journée.
Le site de Sidi Zin que l’on risquerait de perdre si on ne lui accordait pas l’intérêt souhaité. C’est pourtant un site paléolithique situé à 10 km environ de la ville du Kef. C’est le site tunisien le plus important du point de vue scientifique en rapport avec la période préhistorique.
Découvert au début du 20e siècle, il est actuellement menacé de disparition, par des activités agricoles et par l’érosion des eaux de ruissellement qui le ravinent.
Ces vestiges prouvent l’authenticité de ceux qui l’ont habité. De grandes figures ont marqué son histoire. Dans tous les domaines.
Sicca à l’époque carthaginoise
Le Kef était connue sous le nom de Sicca à l’époque carthaginoise puis Sicca Veneria sous domination romaine. Elle a ensuite porté divers noms tout au long de son histoire : Colonia Julia Cirta, Cirta Nova, Sikka Beneria, Chaqbanariya et enfin Le Kef dès le XVIe siècle. On y retrouve de nombreuses ruines romaines preuves de la richesse historique de cette ville.
Mais c’est également El Kasbah Husseinite, le mausolée Sidi Bou Makhlouf, la Basilique romaine et les différentes composantes du circuit touristique.
Le musée des Arts et Traditions populaires du Kef abrite un mausolée édifié au XVIIIe et présente des collections retraçant les habitudes et coutumes sociales ayant cours avant l’indépendance du pays.
Il était temps
Le Kef aurait dû bénéficier d’une attention bien particulière en tant que région touristique de premier ordre.
Les grottes de Sidi Mansour, faille du synclinal «Dyr el Kef» bordée de cavités alignées majestueuses et profondes, sont ouvertes sur un panorama grandiose: les Ghorfas ou mieux encore en berbère Sakka ou Chokka qui veut dire la même chose en punique, la chambre. Elles sont décorées de peintures rupestres.
Les premiers habitants du Kef ont habité ces refuges dans la protohistoire. Ils ont vécu dans ces abris naturels qui les protégeaient de la chaleur et du froid glacial de l’hiver continental de cette région.
La gastronomie du Kef
Elle se différencie par deux préparations spécifiques à la région. D’une part, un pain typique, le mjamaa ou khobz el aid. On le prépare à l’occasion des fêtes. Il est surmonté d’un œuf et décoré avec de la pâte. D’autre part, le bourzguène qui est un type de couscous légèrement sucré orné en alternance de couches de fruits secs, de dattes et de viande d’agneau.
La fête de Mayou, appelée aussi fête du borzgane, remet au goût du jour le traditionnel couscous keffois. Seule la ville du Kef continue de perpétuer cette tradition dans le respect d’un rituel millénaire.
Mme Najet Ghariani, lors d’une conférence organisée l’année passée «Tous ceux qui y ont vécu, depuis la nuit des temps, portent en eux une histoire, un souvenir, que l’on transmet à travers les siècles. La fête de Mayou ce n’est pas seulement le bourzguène qui est important, mais bien ce printemps annonciateur d’été après les rigueurs de l’hiver souvent enneigé. Nos ancêtres rendaient hommage à Maya d’où est venue «mayou», en préparant bien sûr le couscous à l’agneau avec le romarin, seul condiment qu’ils avaient, buvaient du petit lait qui servait aussi de remède et immolaient des moutons.
Le Kef, c’est aussi la visite qu’effectuent les jeunes filles à «la falaise de la Chegaga» que la docteure L.M. Ben Youssef avait dépeinte avec précision «la falaise de la Chgaga», littéralement la falaise de la fente. Un véritable sanctuaire, un lieu comblé par l’histoire, un lieu béni de Dieu depuis la nuit des temps, un lieu de culte préhistorique devenu lieu de culte antique et dédié à Vénus, culte préhistorique de la déesse terre, mère féconde devenu Lella Chgiga.
Une structure naturelle dédiée à la fécondité, une structure inaccessible au commun des mortels, accrochée dans la montagne où venaient des femmes puniques en procession non loin des vestiges de la Basilique de Ksar el Ghoul, pour prier afin que soient exaucés leurs vœux de maternité.
Ils ont marqué leur époque
C’est aussi les itinéraires des hommes de lettres, des musiciens, des hommes et femmes du théâtre originaires du Kef qui ont marqué de leur empreinte la littérature, la musique et le 4e art tunisiens.
Depuis l’ère romaine, Le Kef était reconnu comme une citadelle littéraire. Arnoubis au 3e siècle enseignait le grec et le latin et était un féru de théâtre.
Ou encore Fortunacianus, né au Kef au 4e siècle qui était aussi un homme de lettres reconnu de l’époque.
Abou El Abbes Ahmed Zarrouk El Keffi,Abou Abdellah Ben Ahmed El Ouerghi, Mohamed Essenoussi, Mohamed El Kaouech, Zinelabidine Essenoussi, et la liste est bien longue, ont marqué la littérature et les arts Tunisiens.
Le Kef c’est aussi l’inoubliable Saliha et son œuvre qui a transporté, bercé au gré des paroles et des airs des générations et des générations de Tunisiens.
Une œuvre médicale monumentale
Sans oublier l’œuvre de Caelius Aurelianus Siccencis, rappelé par le Dr Ben Youssef.
Nous rejoignons ainsi l’étymologie de Sicca Veneria.
C’est Caelius, le premier, qui parle de la psychose maniaco-dépressive, de l’intervalle libre et qui écrit, dans le «Caelii aureliani de morbis acutis et chronicis» : «La manie, quand elle s’empare d’un esprit, se manifeste par la colère, par la gaieté, par la tristesse, par la futilité. La manie est parfois continue, parfois elle est allégée par des intervalles libres…». C’est-à-dire des périodes de rémissions
Il faut admirer à coup sûr en Caelius Aurelianus «le seul psychiatre cohérent de l’Antiquité» (J. Pigeaud) et saluer en lui, le précurseur de la psychiatrie moderne.
La plus grande personnalité
Caelius a régné en maître sur la psychiatrie :
«Cælius Aurelianus n’a jamais été contredit, au point de vue de l’aliénation mentale et c’est incontestablement la plus grande personnalité de la médecine antique».
Il a traité du délire, de la frénésie, de la manie, de la mélancolie, de l’épilepsie, de l’hystérie. Il s’est prononcé nettement pour la séparation entre maladies du corps et maladies de l’âme : «Ceux qui estiment que la manie est essentiellement une maladie de l’âme, et une maladie du corps en second lieu, ceux-là sont dans l’erreur, vu que jamais un philosophe n’en a obtenu la guérison, et que, avant l’atteinte de l’esprit, le corps est manifestement atteint de troubles dans sa substance même».
Un précurseur
C’est également l’histoire d’un médecin originaire du Kef en Numidie, dont le siècle de naissance est inconnu, qui choisit de rédiger pour la première fois en latin ses nombreux ouvrages de médecine. Il est africain, écrit et parle le latin d’Afrique. C’est un précurseur mondial de la psychiatrie, non contesté, de plus en plus reconnu, l’œuvre parle d’elle-même.
Il est un des piliers de la Gynécologie, des gynécées africaines. Rôle controversé par les chercheurs occidentaux, qui ont simplement plagié et traduit du latin au grec, ses ouvrages de gynécologie et ceux de son compatriote Moschion.
C’est également la Table de Jugurtha à Kelaât Snène.
Le Kef, c’est tout cela et nous en avons certainement oublié des choses.
A la prochaine.