
Au cœur des débats politiques à l’Assemblée des représentants du peuple, un projet de loi sur la régulation des contrats de travail et l’interdiction de la sous-traitance suscite un vif enjeu économique. Cette réforme vise à lutter contre la précarité tout en rééquilibrant les relations employeurs-employés, dans un contexte où la Tunisie cherche à renforcer sa stabilité sociale et à relancer sa croissance.
La Presse — Tout se jouera demain à l’Assemblée des représentants du peuple. Le Parlement tunisien s’apprête à examiner, lors de sa séance plénière du 20 mai 2025, un projet de loi clé qui pourrait profondément transformer le marché du travail. Ce texte vise à interdire le recours abusif aux contrats à durée déterminée (CDD) et à prohiber la sous-traitance de la main-d’œuvre, deux pratiques aujourd’hui largement répandues dans le tissu économique national.
Cette réforme s’inscrit dans un contexte où les défis liés à l’emploi restent importants, entre persistance du chômage, recours fréquent à des formes de travail flexibles et attentes croissantes en matière de justice sociale. Elle ambitionne de rééquilibrer les rapports entre employeurs et salariés, tout en améliorant la qualité de l’emploi et en assurant une meilleure protection des travailleurs. Entre exigences économiques et choix politiques, la Tunisie engage une bataille sérieuse pour redéfinir les contours à la fois de sa justice sociale et de sa compétitivité.
Un projet de loi qui cible la précarité
Le recours aux contrats à durée déterminée en Tunisie a connu une augmentation significative ces dernières années, notamment dans certains secteurs comme l’industrie, les services et la construction. Selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), environ 11,4 % des travailleurs sont employés sous contrat à durée déterminée, tandis que 44 % travaillent sans contrat formel, ce qui reflète une précarisation croissante du marché de l’emploi. Souvent critiqué pour générer de la précarité et limiter les droits des salariés, le CDD est devenu, selon plusieurs syndicats, un outil de contournement du Code du travail. De même, la sous-traitance de la main-d’œuvre — qui permet à des entreprises d’externaliser une partie de leur personnel via des prestataires — est accusée d’affaiblir la protection sociale des travailleurs et de compliquer le contrôle des conditions de travail.
Le projet de loi vise à interdire ces pratiques, sauf dans des cas exceptionnels justifiés par la nature temporaire ou saisonnière du travail. La démarche vise à la fois à réduire la précarité et à assurer un meilleur respect des droits sociaux, tout en responsabilisant les employeurs sur leurs engagements directs envers leurs salariés.
Un enjeu économique et social
Cette réforme intervient à un moment où la Tunisie fait face à des défis économiques importants, notamment un taux de chômage qui dépasse encore les 15 % (soit 15,7 % au premier trimestre 2025), avec une jeunesse particulièrement touchée. Le marché de l’emploi tunisien est caractérisé par une forte segmentation et un important secteur informel. Pour les autorités, il s’agit donc d’encourager un marché du travail plus structuré et plus équitable, capable d’offrir des emplois durables et de qualité.
Les partisans du projet insistent sur le fait qu’un encadrement strict des contrats et de la sous-traitance est aussi un levier pour favoriser la formation professionnelle, la montée en compétences et l’investissement dans le capital humain. En limitant les pratiques jugées abusives, les entreprises seront incitées à développer des relations contractuelles plus stables et à miser sur la fidélisation de leurs salariés.
Des réactions contrastées
Cette réforme fait toutefois débat. Les organisations patronales mettent en garde contre un risque d’alourdissement des coûts pour les entreprises, notamment les petites et moyennes structures, qui recourent souvent à la flexibilité offerte par les CDD et la sous-traitance pour gérer leurs cycles d’activité. Elles craignent aussi que ces mesures ne freinent la création d’emplois dans un contexte économique déjà fragile.
De leur côté, les syndicats et les défenseurs des droits des travailleurs saluent une avancée nécessaire vers une meilleure protection sociale et un marché de travail plus juste. Ils appellent cependant à une mise en œuvre rigoureuse, accompagnée de mécanismes de contrôle efficaces pour éviter les contournements.
Le vote de ce projet de loi par l’ARP le 20 mai s’annonce comme un moment clé dans la réforme du droit du travail tunisien. Il s’inscrit dans un processus plus large visant à moderniser le cadre légal, à renforcer les institutions de dialogue social et à améliorer la compétitivité économique du pays.
Si ce texte est adopté, il ouvrira la voie à une révision des pratiques RH dans les entreprises tunisiennes, avec des effets potentiels sur la qualité de l’emploi, la sécurité juridique et la performance économique.