
Cette édition du Festival de Cannes reflète toute la complexité d’une sélection officielle à double tranchant. Thriller politique bouleversant, comédie d’espionnage trop cérébrale ou body horror déroutant : les cinéastes en lice ne laissent pas indifférents.
La Presse — Au fil des projections, les films en compétition officielle suscitent autant de moments de grâce que de vives déceptions.
Parmi les temps forts : «The Secret Agent» (l’Agent Secret) du Brésilien Kleber Mendoça Filho. Du genre thriller politique et personnel, l’opus se déroule en 1977 à Recife en pleine dictature militaire. La caméra suit Marcelo, un professeur d’université (Wagner Moura) contraint de fuir la répression du régime. Il se cache avec d’autres dissidents pour obtenir une nouvelle identité, tandis que la police et un homme d’affaire impitoyable sont à ses trousses.
Le film explore la mémoire, l’identité et la transmission intergénérationnelle dans une forme mêlant plusieurs genres entre drame, thriller et suspense, ce qui est d’ailleurs la marque de fabrique du réalisateur. Mendoça déroule à travers la trajectoire du personnage central une réflexion sur la mémoire historique et collective. Et c’est l’utilisation de techniques variées, notamment une cinématographie vintage, qui crée une atmosphère immersive renforçant la force du propos et la profondeur du sens. La qualité du jeu de Wagner Moura donne encore plus de hauteur à l’ensemble, cette performance remarquable pourrait valoir à l’acteur le prix d’interprétation masculine.
De son côté le réalisateur américain Wes Anderson, un habitué du festival, n’a pas réussi à créer l’unanimité autour de son film, une comédie d’espionnage intitulée «The Phoenician sheme».La fable se situe dans les années 1950 et se focalise sur Zsa-Zsa Korda (Benicio del Toro), un milliardaire corrompu qui tente de léguer son empire à sa fille Lies ( Mia Threapleton), une novice dévouée.
Accompagné de Bjorn (Michael Cera), un spécialiste des insectes, ils se lancent dans une série de manœuvres douteuses à travers l’Europe. Explorant le thème de la famille, la foi et l’héritage moral et financier, les excès de pouvoir et la quête de la simplicité, ce long métrage pèche par une narration très complexe qui a créé une certaine distance empêchant l’adhésion, objet du désir de tout créateur. Idem sur le plan de l’esthétique visuelle, car, quoique le ton soit plus sobre, le réalisateur demeure fidèle à son style visuel, dont notamment la composition et les plans symétriques, les couleurs atténuées et la narration en chapitres.
« Body Horror »
« Alpha » de Julie Ducournau se range dans la catégorie des films décevants tant il verse dans la surcharge et l’excès, fond et forme confondus.
Situé dans les années 1980 au Havre, l’opus met en scène un drame familial avec au centre une ado franco-marocaine de 13 ans(Mélissa Boros), confrontée à une mystérieuse maladie transformant le corps en statue de marbre. Comme dans son premier long métrage, «Titane», détenteur d’une Palme d’Or remportée en 2021, la réalisatrice française traite de la métamorphose physique et psychologique suite à des traumatismes de tous genres et elle aborde, ainsi, plusieurs problèmes sociaux tels la marginalisation, la peur de l’autre, par allusion à la pandémie du Covid-19 et à la maladie du sida.
Tout est décliné, encore une fois dans des scènes horribles façon «Body Horror» (horreur corporelle) générant l’étouffement et l’oppression.
Ce parti pris de l’excès, afin d’explorer les limites entre l’humain, l’animal et la mécanique, a justement des limites et quand il se répète à l’infini de manière confuse, le récit étant truffé d’abstractions, il perd tout sens et tout intérêt cinématographiques. D’autant que la forme, alliant réalisme et éléments fantastiques, manque de créativité. Cependant, pour un premier rôle, Mélissa Boros a pleinement assuré, Taher Rahim, dans le rôle d’Amine, s’est contenté de voir son corps se dégrader alors que l’actrice d’origine iranienne, Golshifteh Farahani, dans le rôle de médecin et sœur d’Amine, s’acharnait à le maintenir en vie pour accentuer davantage l’horreur de cette descente aux enfers.