
La Tunisie peine à sortir d’un modèle de développement hérité d’une autre époque, inadapté aux défis d’aujourd’hui. Pour Ridha Gouia, universitaire, il est urgent d’opérer une refondation profonde, en misant sur une stratégie inclusive, résiliente et durable.
Investissement équitable, transition énergétique, réforme de l’éducation, valorisation des ressources locales… Autant d’alternatives à activer pour bâtir une économie plus juste et compétitive.
La Presse — Enfermée dans un cycle d’ajustements sans transformation, la Tunisie peine à retrouver une trajectoire de croissance durable. La faiblesse du rythme économique, le chômage endémique des jeunes, les inégalités sociales et régionales et la dépendance des secteurs vulnérables comme le tourisme ou l’agriculture, dressent le portrait d’un modèle économique à bout de souffle. Face a ce constat, Ridha Gouia, universitaire, appelle à une refondation profonde et lucide. Pour lui, il est temps de reconstruire une vision capable de répondre aux réalités du pays et aux transformations mondiales.
Avant de proposer des solutions, Ridha Gouia insiste sur l’importance de clarifier les termes. Le modèle de développement désigne, selon lui, une grille de lecture permettant de comprendre comment une économie se transforme et évolue dans le temps. Le mot « développement », souvent galvaudé, a lui-même changé de sens à la lumière des crises successives — crise financière de 2008, pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine — qui ont bouleversé les priorités, en particulier dans les pays du Sud.
« En Tunisie, ce modèle est aujourd’hui dépassé. Il ne répond plus aux exigences d’un pays confronté à de profonds bouleversements sociaux, économiques et environnementaux. Un nouveau cadre de référence est indispensable, un cadre qui ne se contente pas de corriger les fragilités, mais qui offre une vision claire, inclusive et tournée vers l’avenir ».
Repenser les priorités
Le nouveau modèle doit s’appuyer sur plusieurs piliers. La première condition, pour Ridha Gouia, est de réduire les disparités entre les régions. L’investissement doit être réorienté de manière équitable, pour donner à chaque territoire les moyens de se développer et d’absorber ses jeunes actifs. L’équité territoriale n’est pas qu’un enjeu économique : c’est un préalable à la paix sociale.
Deuxième priorité : inscrire la croissance dans une logique de durabilité. La Tunisie doit investir dans l’économie verte, protéger ses ressources et accélérer la transition vers les énergies renouvelables, dont le solaire, où elle bénéficie d’un potentiel immense.
Troisièmement, les infrastructures doivent être renforcées. Routes, télécommunications, services publics de base : tout ce qui facilite la circulation des biens, des idées et des talents est à revoir. Cette modernisation doit aller de pair avec la digitalisation de l’administration, une simplification des procédures et la création d’un environnement propice à l’investissement local comme étranger.
Enfin, il est impératif d’impliquer pleinement la jeunesse. Que ce soit en Tunisie ou au sein de la diaspora, les jeunes doivent être associés aux réformes, entendus dans leurs attentes et responsabilisés dans la conduite du changement.
« Le modèle économique tunisien reste trop dépendant de secteurs à la fois traditionnels et vulnérables. L’agriculture, fragilisée par les changements climatiques et les importations massives, ne représente que 11 % du PIB. Le tourisme, soumis aux aléas sécuritaires et géopolitiques, plafonne à 9 %. Quant à l’industrie, elle subit de plein fouet la révolution numérique et voit sa compétitivité s’éroder », fait savoir l’universitaire.
Libérer l’initiative, valoriser les ressources
Pour Ridha Gouia, il faut non seulement moderniser ces secteurs, mais surtout diversifier les moteurs de croissance. Cela passe par une réforme du système éducatif et de la formation professionnelle, afin d’adapter les compétences aux besoins du marché du travail. Cela implique aussi de faire de la transition numérique une priorité nationale, en renforçant les capacités scientifiques et en stimulant l’innovation à travers la recherche universitaire.
Un autre levier majeur est la libération de l’initiative entrepreneuriale. Cela suppose un cadre juridique et administratif plus agile, une meilleure valorisation des régions de l’intérieur et un soutien accru à l’économie sociale. Il s’agit aussi d’exploiter intelligemment les ressources naturelles, à commencer par le solaire. Gouia souligne qu’une filière industrielle dédiée – de la fabrication à l’entretien des panneaux solaires – pourrait constituer un nouveau gisement d’emplois.
Mais rien de tout cela ne sera possible sans un rôle clair et renforcé de l’Etat. Non pas un Etat omniprésent, mais un Etat stratège, catalyseur du changement. Il doit soutenir la création de richesses, accompagner les investisseurs, garantir les droits sociaux et environnementaux et offrir à chaque citoyen les outils pour participer pleinement au développement du pays.
Vers un nouveau pacte national
Ce nouveau modèle ne peut réussir que s’il est porté par une vision collective. Il faut, selon Gouia, « un pacte national réunissant les acteurs politiques, économiques, sociaux et culturels autour d’une ambition partagée. Les grandes transformations doivent mobiliser toutes les forces productives, impliquer chaque citoyen et intégrer la diaspora comme partenaire à part entière. Le financement des projets stratégiques passera nécessairement par de nouveaux partenariats internationaux, mais aussi par une meilleure mobilisation des ressources locales ».
Pour conclure, l’universitaire insiste : ce n’est qu’en repensant les stratégies de développement régional, en diversifiant les structures productives, en plaçant le capital humain au centre et en fondant une gouvernance inclusive que la Tunisie pourra sortir durablement du piège du revenu intermédiaire et entrer dans une nouvelle ère de progrès partagé.