
La Presse — Ma chronique, la semaine dernière, a dû en étonner plus d’un. Quel rapport pouvait-il y avoir entre Byrsa, un quartier de Carthage, et Althiburos, dans la délégation de Dahmani, pour m’être permis de me projeter ainsi de manière assez inconsidérée dans l’espace et d’atterrir dans une contrée aussi lointaine, alors que, d’habitude, je me cantonnais dans mon coin ou, tout au plus, dans ses environs immédiats ? Je dois une explication.
Je vais faire simple pour faire vite. Lorsque les Romains annexaient des terres à leur empire, ils s’empressaient d’en établir le plan cadastral, question d’organiser le territoire en lots pouvant faire l’objet d’aménagements divers (cités, zones industrielles, parcelles agricoles, etc.) Ils traçaient sur plan deux lignes en croix à angles droits orientés est-ouest et nord-sud qu’ils dénommèrent respectivement kardo maximus et decumanus maximus.
Ils obtenaient ainsi quatre quadrilatères qu’ils divisaient à leur tour sur la base du même principe jusqu’à obtenir des carrés de 700 mètres de côté, unités de base des lots appelés à être aménagés. Oui, mais cette opération de cadastration ne s’effectuait pas au pifomètre. Elle obéissait à des règles très strictes. Lorsqu’ils conquirent le pays ultérieurement appelé Africa, les Romains ont dû trouver un point fixe à partir duquel ils devaient effectuer le traçage requis.
Allez savoir pourquoi, ils choisirent le sommet du jebel Boulahnèche, dans les environs de la localité de Thala, pour servir de point de départ aux deux axes. Et cela pour toute l’Afrique romaine, y compris la prestigieuse Carthage, située tout au bout du kardo maximus, le prolongement, du côté opposé, se trouvant en Algérie en passant par nombre de cités d’importance majeure dans l’Antiquité, telle, précisément, Althiburos.
Aurait-on retrouvé le « Greenwich » de l’Africa romaine ?
Ces derniers temps, soudainement pris d’une vive nostalgie pour mes archives que la poussière du temps commence à recouvrir d’une épaisse couche d’insouciance, j’y ai replongé pour, ô paradoxe, y puiser quelque fraîcheur sous cellophane. Et ne voilà-t-il pas que je tombe sur un document publié par le Cnes (Centre national –français- d’études spatiales) soi-même, publié il y a trente ans presque jour pour jour sous le titre « Aurait-on retrouvé le « Greenwich » de l’Africa romaine ? ».
Dans cet article, l’auteur rappelle que le « point gromatique », c’est-à-dire là où les ingénieurs romains avaient installé leurs instruments afin de déterminer les axes de référence pour tracer kardo et décumanus, se situait bien au sommet de jebel Boulahnèche, à 1.229 d’altitude. Soit dit en passant, Boulahnèche ne désigne pas ici les reptiliens, mais une espèce d’aigles qui habitent ces sommets et qui se repaissent de serpents ! Cette montagne émerge au milieu d’une plaine plate comme la paume de la main.
Cette redécouverte m’a incité à étudier de plus près le tracé du kardo maximus. Et j’ai « découvert » que mon bastion byrsien se trouve aligné sur le site d’Althiburos sur cet axe. Alors, j’en déduis que je suis autorisé à considérer la cité antique comme « voisine de palier » et à y effectuer un saut de temps à autre. Et à y convier mes concitoyens carthaginois — et même les autres — pour des incursions qui leur feront beaucoup de bien ! Bientôt, n’challah.