Accueil A la une Saison agricole 2025-2026 : L’État en mode alerte pour une moisson réussie

Saison agricole 2025-2026 : L’État en mode alerte pour une moisson réussie

Alors que la nouvelle saison agricole s’annonce prometteuse, l’État met en place une stratégie rigoureuse pour accompagner les agriculteurs. Engrais, sécurité, logistique, chaque maillon est scruté de près. Un test grandeur nature pour l’appareil public.

La Presse — La Tunisie se prépare à une nouvelle saison agricole aux enjeux cruciaux. Un Conseil ministériel restreint (CMR) tenu mardi 3 juin au Palais du gouvernement de La Kasbah a posé les jalons d’une stratégie nationale pour accompagner les agriculteurs et garantir la réussite de la campagne 2025/2026. Sous la présidence de la Cheffe du gouvernement, Sara Zaafrani Zenzri, plusieurs mesures ont été décidées, mettant l’accent sur la sécurisation des intrants agricoles, la transparence du marché et le soutien logistique et financier au secteur. Ce dispositif s’inscrit dans un contexte prometteur face à des prévisions de récolte en nette amélioration, laissant entrevoir un renouveau après plusieurs saisons difficiles.

Assurer l’approvisionnement en engrais chimiques

Au cœur des décisions du CMR figure l’accélération de la constitution de stocks d’engrais chimiques, notamment l’ammonitrate, le phosphate diammonique, ou encore l’adénosine triphosphate, afin de couvrir l’ensemble des besoins pour la saison agricole 2025/2026. L’objectif est double : maintenir les prix inchangés pour permettre aux agriculteurs un accès abordable aux fertilisants, et maîtriser les coûts de production. Le gouvernement entend ainsi soutenir la rentabilité des exploitations agricoles tout en stabilisant les marchés.

Parmi les principales mesures, figure aussi l’adoption d’une application digitale baptisée «Engrais», destinée à assurer une traçabilité complète de la distribution des fertilisants, depuis le producteur jusqu’au consommateur final. Ce dispositif numérique doit garantir la transparence, prévenir la spéculation et s’assurer du respect des prix fixés. Un suivi rigoureux des quantités distribuées par le Groupe chimique auprès des grossistes et des agriculteurs est prévu. Le Conseil a également décidé de faciliter les mécanismes de financement pour accompagner les agriculteurs et pour améliorer la capacité nationale de stockage des engrais afin d’éviter toute pénurie.

Transport de matières dangereuses, priorité donnée à la sécurité

La question de la sécurité n’a pas été négligée. Une formation destinée aux chauffeurs de camion transportant des matières dangereuses — en particulier l’ammonitrate — sera organisée en juin 2025 par le Centre sectoriel de formation aux métiers du transport et de la logistique de Borj Cedria. Elle visera à leur délivrer un certificat conforme à la loi n° 97-37 du 2 juin 1997, réglementant le transport routier de ces substances à haut risque.

À l’issue du Conseil, la Cheffe du gouvernement a insisté sur la nécessité d’assurer une coordination étroite entre les ministères, les structures régionales et locales, ainsi que les divers acteurs des secteurs agricole et industriel. L’objectif est d’accroître la production nationale, de renforcer les stocks stratégiques en engrais et de garantir des conditions de sécurité optimales, afin d’assurer le bon déroulement d’une saison agricole qui s’annonce sous les meilleurs auspices.

Après les saisons perdues…

Après des années marquées par la sécheresse, des gestions logistiques défaillantes et l’abandon quasi-programmé des campagnes céréalières, face à l’incompréhension et à la révolte de nombreux Tunisiens, témoins de la dilapidation des richesses du pays, la saison 2025/2026 apparaît comme un véritable tournant.

Car trop de moissons ont été laissées aux oiseaux, aux rongeurs, ou brûlées faute d’anticipation. Trop de décisions ont été prises trop tard, ou pas du tout, laissant les agriculteurs livrés à eux-mêmes. Les pertes de récoltes dans notre pays ne relèvent pas seulement du hasard. Chaque année, des centaines d’hectares de cultures céréalières partent en fumée, notamment en raison de l’absence de débroussaillage et du mauvais entretien des pistes rurales. À cela s’ajoute la menace persistante des oiseaux nuisibles, moineaux et étourneaux, dont la prolifération entraîne d’importantes pertes post-récolte, malgré les autorisations de capture délivrées par le ministère de l’Agriculture. Enfin, les équipements de moisson, vétustes et souvent inadaptés aux particularités du relief, causent à eux seuls jusqu’à 12 % de pertes supplémentaires selon certains experts. Autant de signaux d’alerte qui, cumulés, illustrent l’ampleur des négligences dans la gestion de la filière céréalière.

Et ce n’est un secret pour personne. Pendant des années, cette filière a pâti de retards chroniques dans la distribution des semences et des engrais, d’un soutien logistique quasi inexistant au moment des récoltes — entre moissonneuses insuffisantes, silos saturés et coordination absente — ainsi que d’un cruel manque de planification stratégique face aux aléas climatiques et aux besoins de stockage.

Dans ce contexte de fragilité structurelle, les importations massives sont devenues donc la norme, au détriment de la production locale. Or, ce secteur reste l’un des plus opaques et l’un des plus lucratifs pour certains réseaux bien introduits. Circuits parallèles, surcoûts injustifiés, soupçons de commissions, la presse nationale, comme plusieurs rapports de la Cour des comptes, ont déjà pointé les dérives d’un système qui, trop souvent, tourne le dos à l’intérêt national.

Une vigilance de tous les instants

Mais cette année, l’État semble vouloir reprendre la main, en surveillant comme le lait sur le feu la chaîne de production agricole. Il ne s’agira pas seulement de récolter, mais de protéger, stocker, acheminer et valoriser. A ce titre, l’enjeu dépasse la simple saison, il s’agit d’un test grandeur nature sur notre capacité collective à sécuriser notre pain, dans un contexte international incertain et face à des défis climatiques récurrents. Réussir cette moisson, c’est réussir à restaurer la confiance du monde agricole dans les institutions. C’est aussi, pour les décideurs, prouver que les engagements ne sont pas que des annonces. Ce sera un test pour les ministères, les gouvernorats, les sociétés de collecte, les services de transport… et aussi pour nous tous, citoyens, qui avons pris l’habitude de ne plus compter sur la récolte nationale, au prix fort de nos devises.

Si cette saison tient ses promesses, elle pourra bien marquer un nouveau départ. À condition que les promesses soient suivies d’effets, et que les moissons retrouvent leur juste place dans notre souveraineté alimentaire. Car surveiller le pain des Tunisiens, c’est bien plus qu’un impératif technique ou logistique. C’est veiller sur la stabilité sociale, sur la dignité des agriculteurs, sur l’équilibre fragile des territoires et sur la souveraineté alimentaire de la nation. C’est aussi reconnaître que derrière chaque sac de blé, il y a du travail, de l’incertitude, mais aussi de l’espoir. En cette saison décisive, chaque quintal compte, chaque décision engage, chaque retard ou chaque défaillance peut coûter cher. Car en fin de compte, surveiller la moisson, c’est veiller sur le socle même de la stabilité et de l’avenir de la Tunisie tout entière.

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