
Questionner le passé pour mieux appréhender le présent et trouver le salut dans une vie paisible.
La Presse — « Hamlet » le chef-d’œuvre de William Shakespeare disparaît littéralement dans « Call Center Tragedy » d’Abdelhalim Messaoudi qui en fait un drame bourgeois. Cette nouvelle création de Nizar Saïdi a été présentée, samedi dernier au 4e Art, devant tout le gratin des amateurs de théâtre : artistes, journalistes et public. « Hamlet » a fait l’objet de plusieurs adaptations et réinterprétations. Pourquoi Messaoudi et Saïdi n’ont pas annoncé ouvertement qu’il s’agit d’une adaptation de « Hamlet » ? Pourtant, tout indique dans cette nouvelle création produite par « Le Jeune Théâtral national » qu’il est question de l’œuvre de Shakespeare ?
Pourquoi vouloir s’attaquer à ce monument aujourd’hui ? Selon les auteurs, la pièce s’interroge sur les relations qu’entretiennent les êtres humains entre passé et présent. Questionner le passé pour mieux appréhender le présent et trouver le salut dans une vie paisible. Un riche propriétaire d’un centre d’appels meurt dans des circonstances douteuses, sa femme désigne son beau-frère pour gérer l’entreprise familiale. Son fils, amateur de théâtre, de retour de l’étranger, soupçonne une liaison entre sa mère et son oncle et tente de venger son père en mettant à nu toutes leurs manigances.
Pour rappel, dans la pièce de Shakespeare, le prince Hamlet, de retour du Danemark, apprend la mort de son père et trouve le trône usurpé par son oncle. Le spectre du souverain apparaît à Hamlet pour lui révéler qu’il a été empoisonné. Hamlet promet de venger ce crime. Mais au bord du gouffre, il hésite « Etre ou ne pas être telle est la question ».
Durant deux heures, « Jacaranda » nous plonge de façon élaborée dans cette tragédie familiale. Elle s’ouvre sur la présentation des personnages, dont la bouche de chacun dégouline de sang. Le ton est donc annoncé. Il est question de vengeance et de règlement de compte avec un passé douloureux. Le décor sobre (une grande cabine et deux bancs) permet de prendre connaissance des personnages sans toutefois les identifier au départ. De la révélation du prochain successeur au règlement de compte final entre le fils avec sa mère et son oncle en passant par la confrontation avec sa bien-aimée, les scènes s’attachent à dévoiler les destins des personnages, leur doute, leur naïveté et leur revanche dans cette œuvre qui essaie de surmonter la fatalité.
Jaouida, la mère, possessive, superficielle et outrageusement ambitieuse, se plaît de vivre dans un monde qu’elle croit dominer. Son fils est un jeune «déséquilibré» qui veut en finir avec les trahisons de sa mère et son oncle et cherche non seulement à les démasquer mais à se venger.
Olfa, sa bien-aimée, qui a pris conscience de la réalité, refuse de rester enfermée dans une image sclérosée d’une fille, fragile et crédule et décide de cracher tout ce qu’elle a sur le cœur au cours d’un affrontement avec son amant. Glaï, l’oncle véreux, coureur de jupons, a causé plein de dégâts dans son entourage. Tous ces personnages et d’autres s’insultent sans relâche, créant une ambiance asphyxiante où le passé vient envenimer le présent. Des ressentiments et des rancœurs empoisonnent les relations entre les personnages.
Sur le plan esthétique, le spectacle tient la route même si certaines scènes tirent en longueur et gagneraient à être plus ramassées. Le noir domine expliquant l’ambiance tragique sauf pour une seule scène de fête où les costumes prennent des couleurs et le jeu des comédiens plus festif. Par ailleurs, certains dialogues suscitent le rire des spectateurs, éloignant de la sorte l’œuvre de sa noirceur originale sans doute pour la désamorcer.
Mais dans l’ensemble, les dialogues sont riches en métaphores et assez poignants. A la fin du désastre qui a gagné tous les personnages, l’image finale est celle d’une femme qui agonise sous une pluie de fleurs mauves du jacaranda qui rappellent sans doute le présent chargé de doutes. L’interprétation de Hamouda Ben Hassine est bluffante. Il s’est donné corps et âme dans ce rôle de monstre bestial qui exige une grande capacité de concentration et d’énergie forçant l’admiration. Son personnage est la dynamo de la pièce. Il représente le manipulateur qui dérègle le monde qui l’entoure. Le reste du casting remplit avec adresse son contrat : Assala Kouass, Anis Kamoun, Helmi Khalifi, Meriem Toumi, Mohamed Arafet Guizani, Hasna Ghanem et Thweb Idoudi. Toutefois, un bémol, certaines actrices sont inaudibles.