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La Tunisie, ou l’art d’exister sans dominer

La Presse — En ces jours de fête et de célébration de l’Aïd El-Kébir, les traditions de chaque région tunisienne se révèlent avec éclat. Que de spécialités culinaires, de gestes transmis, de coutumes partagées, qui différencient les territoires tout en tissant un lien fort entre les Tunisiens. Cette diversité, loin de diviser, compose une richesse vivante, ancrée dans le quotidien. C’est elle qui nous unit, discrètement mais solidement, dans un sentiment d’appartenance profonde.

Il y a des pays qui s’imposent par la force ou le bruit, mais la Tunisie a toujours choisi une voie différente ; celle d’exister pleinement sans chercher à dominer. Cette différence, profonde et rare, est à la fois une force et une fragilité. Car exister sans écraser ni crier, dans un monde où la puissance se mesure souvent à l’aune du décibel ou du rapport de forces, c’est un défi permanent.

Pourtant, c’est précisément cette manière d’être, cette souveraineté douce, qui fait toute la singularité tunisienne. Une souveraineté qui ne se montre pas à grand renfort d’uniformes ou de postures martiales, mais qui s’enracine dans la culture, dans la constance d’une histoire marquée par le respect de soi et des autres. Cette façon de tenir sa place sans l’imposer est dérangeante pour ceux qui confondent légitimité et domination, qui pensent qu’être fort c’est écraser l’autre.

Depuis toujours, la Tunisie fait preuve d’une lucidité sans illusion. Elle connaît ses limites, elle observe les rapports de force régionaux sans se laisser aveugler par les illusions de grandeur ni par le désespoir. Cette lucidité, loin d’être une capitulation, est une intelligence stratégique. Elle permet d’agir sans bruit, de choisir l’intelligence comme levier plutôt que l’arrogance comme façade. Ainsi, à travers les soubresauts de l’histoire, la Tunisie reste debout, fidèle à elle-même. Cette identité discrète s’exprime dans les gestes, les accents, la cuisine, les costumes et par les récits et les valeurs. 

La Tunisie est un pays d’équilibres : entre l’Europe et l’Afrique, entre tradition et modernité, entre pluralité et cohérence. Certains voient dans ces équilibres une faiblesse ou une hésitation, mais ils sont en réalité le ciment de notre résilience. Dans un contexte régional souvent marqué par des identités figées et des tensions exacerbées, la Tunisie continue d’incarner une autre voie, celle du dialogue et de la nuance. Ce n’est pas une posture choisie à la légère, mais le fruit d’une histoire et d’une société profondément ancrées dans le compromis et l’ouverture.

Nous ne cédons pas à la tentation de la provocation, nous ne répondons pas à la brutalité par la brutalité. Mais nous savons dire non, avec calme, avec fermeté, en nous appuyant sur cette énergie collective qui, depuis peu, a rassemblé les Tunisiens autour de leur patrimoine, de leur langue et de leur mode de vie. Nous ne clamons pas notre souveraineté, nous la vivons. Et nous savons pourquoi nous tenons à la préserver, dans un monde où les tentatives d’effacement ou d’appropriation se multiplient.

Et pourtant, il serait malhonnête de nier que cette souveraineté douce se heurte parfois à l’amertume. Voir sa culture mal comprise, déformée, récupérée peut blesser profondément. Cette colère et cette frustration sont non seulement légitimes, elles traduisent un attachement profond à notre identité. Mais cette énergie ne doit pas seulement nous unir dans la défense, elle doit aussi devenir le moteur d’une dynamique collective, porteuse de projets et d’initiatives concrètes.

Il s’agit de créer des mouvements pour défendre la culture, multiplier les manifestations artistiques, développer notre artisanat, et affirmer la présence de la Tunisie sur la scène internationale. Il faut que notre pays ne soit pas seulement reconnu, mais qu’il rayonne pleinement, que ce soit dans les événements culturels, économiques ou politiques mondiaux. C’est en canalisant cette passion vers l’action et la visibilité que nous pourrons véritablement affirmer notre souveraineté et la singularité de notre héritage. 

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