
À seulement 22 ans, Yasmine Khmiri s’est imposée dans un univers peu conventionnel. Forte de cinq années d’expérience, elle cumule déjà de prestigieuses collaborations au sein de la société américano-australienne « Glits Production ». Sa voix a donné vie à une multitude de personnages dans des productions internationales telles que « The Amazing Digital Circus » sur Netflix, « Murder Drones » sur Amazon Prime ainsi que d’autres projets pour des chaînes étrangères de dessins animés. Dans cet entretien, elle lève le voile sur les coulisses de ce métier hors normes. Elle nous ouvre les portes de son univers.
La Presse — Est-ce qu’il y a un diplôme requis pour devenir doubleur de voix?
Il n’existe aucune formation académique spécifique pour accéder à ce métier. Personnellement, je suis encore étudiante en arts plastiques. C’est un talent qui peut se développer en autodidacte avec de la pratique et de la curiosité. Bien que certaines agences en Tunisie proposent des cycles de formation, honnêtement, je ne les recommande pas. La plupart sont des arnaques.
Elles ne transmettent ni les bases essentielles du doublage ni les vraies techniques du métier. De plus, on n’a même pas besoin de matériel sophistiqué pour commencer. Moi-même, j’ai fait mes débuts avec un simple téléphone portable et j’ai mis du temps avant de pouvoir investir dans un équipement professionnel.
Comment trouvez-vous des offres d’emploi ?
C’est un peu comme dans le monde du cinéma : on peut décrocher un rôle suite à une annonce, ou simplement grâce au bouche-à-oreille. Une fois qu’on commence à se faire un nom, les recommandations suivent. Il y a des castings qui demandent souvent des échantillons de voix. Ces enregistrements doivent être bruts sans musique de fond, sans effets spéciaux et surtout non modifiés par des logiciels d’intelligence artificielle pour altérer la tonalité.
L’objectif est simple : vérifier que la voix est bien authentique. Si elle correspond à ce qu’ils recherchent pour un personnage, le profil est retenu. Le mieux, c’est de constituer un bon CV vocal avec plusieurs extraits d’enregistrements, puis de l’envoyer aux grands studios de doublage, notamment en Égypte, au Liban ou en Jordanie. De cette manière, ils nous contactent directement lorsqu’ils ont besoin de doubleurs de voix professionnels. Un souci majeur persiste. Les étrangers ne sont pas toujours acceptés.
Selon quels critères font-ils la sélection ? Est-ce qu’il faut un style particulier de voix ? Un timbre bien précis ?
Toutes les voix du monde peuvent se prêter au doublage. Il n’y a pas de bonne et de mauvaise voix. Des règles s’imposent pour les voix off qui commentent les documentaires et les publicités. Il faut une voix forte, imposante avec une prononciation bien particulière qui attire le public cible. Pour le doublage, aucun critère. C’est un jeu de rôle en fin de compte.
Quand on pense à de grands noms du domaine à l’échelle arabe comme Fatma Saad ou Amal Houija, qu’est-ce qu’elles ont de particulier pour être sollicitées autant ?
Elles sont très demandées grâce à leur grande expérience. Ce sont de vraies références. Cela fait des décennies qu’elles évoluent dans ce milieu, et c’est ce niveau de maîtrise qu’on rêve tous un jour d’atteindre.
Après avoir été acceptée pour un rôle, est-ce qu’on vous envoie un scénario comme pour les acteurs ?
Si la série n’est pas totalement prête, nous travaillons épisode par épisode. Dans d’autres cas, nous recevons le script complet. Nous connaissons donc l’intrigue du début à la fin bien avant la diffusion. Évidemment, nous sommes tenus au secret professionnel. Il est alors strictement interdit de divulguer le moindre détail sur le projet.
Un délai précis nous est donné pour finaliser l’enregistrement. Durant cette période, nous devons rester pleinement disponibles car les studios peuvent nous contacter à tout moment pour nous communiquer des consignes ou des ajustements. Ce sont de grosses productions et le niveau d’exigence et de perfectionnisme est forcément très élevé.
Quand vous collaborez avec des plateformes étrangères, est-ce que vous faites le voyage pour retrouver vos collègues et échanger les répliques en direct ?
Tout le travail se fait à distance. Pour le projet avec Netflix, par exemple, notre équipe regroupe des personnes originaires de plus de sept pays différents. Je n’ai jamais rencontré la plupart de mes collègues en vrai et certains d’entre nous ne se connaissent même pas. Comme les dialogues ne nécessitent pas une interaction en temps réel entre les comédiens, la proximité physique n’est pas indispensable.
Chacun enregistre son rôle depuis son propre pays, puis une équipe technique, dirigée par le réalisateur, se charge du montage final. Sur le plan technique, il faut généralement louer un studio pour assurer une qualité sonore optimale. Une fois l’épisode terminé, je l’envoie directement au réalisateur. Le directeur artistique nous contacte pour nous faire ses retours.
Il nous guide sur l’interprétation du personnage, les émotions à transmettre ou les erreurs de prononciation à corriger. Il joue ainsi le rôle du médiateur entre tous les membres du projet. On travaille également avec des vérificateurs linguistiques. Et, quand une réplique pose problème, inutile de tout reprendre. Je réenregistre simplement la partie concernée.
Le doublage peut-il offrir une stabilité financière ?
La réponse est non. Le doublage reste une activité complémentaire plutôt qu’un métier à temps plein garanti. Le rythme de travail est souvent irrégulier, à l’image de celui des acteurs. Il n’existe aucune certitude de recevoir des offres de manière continue et les périodes creuses sont fréquentes.
Est-ce que tous les acteurs peuvent faire du doublage ? Et, l’inverse, un doubleur peut-il devenir acteur ?
Ce sont deux métiers distincts et chacun a ses propres difficultés. Un acteur peut se lancer dans le doublage mais il doit savoir que ça demande un autre niveau de maîtrise. S’il est habitué à jouer sur scène ou à l’écran avec tout son corps, ce qui peut être plus naturel, il doit suivre pour le doublage les gestes et le rythme d’un autre personnage.
Le problème se pose essentiellement pour le lip sync. La synchronisation labiale avec les mouvements de la bouche du personnage n’est pas aussi simple que ça en a l’air. De plus, il faut maîtriser parfaitement la langue. De l’autre côté, pour un doubleur, dont l’outil principal est la voix, gérer les mouvements corporels n’est pas forcément évident non plus. Au final, ce sont deux mondes à part.
Est-ce que vous vous voyez passer au métier d’actrice ?
Le doublage est ma véritable passion. Mais, plus tard, si je reçois des offres intéressantes, je pourrai les accepter.