
Un film sombre, mais non sans ironie qui peut alors s’inscrire dans la catégorie du cinéma d’auteur. Il semble ainsi un pari risqué sur le fond comme sur la forme, mais remarquablement tenu.
La Presse — Le réalisateur égyptien Muhammed Hamdy est actuellement en Tunisie pour la projection de son premier long métrage qu’il a écrit lui-même « Perfumed with mint » (Moattar bi nanaa). Une série de dates a été prévue en présence du metteur en scène et du producteur tunisien Fares Ladjimi au théâtre Alhamra, à la Cité de la Culture ainsi qu’au Rio.
Un scénario novateur qui bouscule les conventions
Avec « Perfumed with mint », Muhammed Hamdy propose un univers visuel singulier porté par un récit résolument novateur. Bahaa, jeune médecin, et ses amis Mahdy et Abdo sont pris dans une spirale de dépendance où le haschisch devient à la fois refuge et prison. Entretemps, un phénomène étrange a lieu.
De la menthe pousse sur les corps des jeunes en proie à cette addiction. Le scénario retrace alors leur quotidien entre errance, amitiés fragiles et quête de sens. Dans une existence qui gravite autour des joints qu’on les voit rouler tout au long du film, un portrait lucide d’une jeunesse en rupture est ainsi dressé. Les personnages principaux sont campés par Aladdin Hamada dans le rôle de Bahaa avec Mahdy Abo Bahat et Abdo Zine El Din qui jouent sous leurs véritables prénoms, dans une forme de continuité entre leurs identités réelles et leurs rôles fictionnels.
Ce choix renforce l’illusion d’une histoire ancrée dans l’intime et l’authentique, brouillant ainsi les frontières entre fiction et réalité. Pour la question du médecin sur ce qui déclenche cette poussée de menthe qui envahit sa chevelure, « c’est quand je suis effrayé ou tendu », répond Mahdi. « Travailler, souffrir, patienter », telle pourrait être la devise qui résume l’existence de ces personnages puant la menthe. Enfermés dans une boucle sans fin, ils cherchent une issue à ce cauchemar, constamment pourchassés et se cachant dans les rues où ils vivaient autrefois en paix. Loin des sentiers battus, ce film qui bouscule les codes narratifs mêle poésie, absurde et satire sociale.
Malgré sa bizarrerie apparente, il révèle une profonde cohérence artistique et n’hésite pas à explorer des zones troubles et à poser des interrogations sociales et humaines essentielles. La crise de logement, les soulèvements populaires, la mémoire des victimes blessées par balles, les problèmes de cœur…
De multiples questions épineuses sont évoquées en suivant les protagonistes roulant et en se partageant des joints. Le metteur en scène, Muhammed Hamdy, a indiqué, à la fin de la première projection de son long métrage au théâtre Alhamra, que cette idée qui suscite curiosité et réflexion est née d’une scène vécue dans un village au sud de l’Egypte.
Le Cheikh venait de mourir et, lors de ses funérailles, chaque fois qu’il est évoqué, l’expression « parfumé à la menthe » a été adjointe à son nom et une senteur de menthe se répandait dans l’air. Il a donc eu l’idée d’écrire un long métrage en écho à cette expression, où la mémoire olfactive revêt une importance capitale. Il n’y a pas de cadre temporel ni spatial précis, selon le réalisateur, qui a quand même tenu à incorporer dans son film un texte du poète Amal Donkol, toujours valable 60 ans après sa parution.
« L’imaginaire est le refuge des vaincus lors les conflits », souligne Muhammed Hamdy au final pour légitimer l’idée de son film à la croisée de l’absurde et du génie créatif.
Une esthétique de la laideur
Dans « Perfumed with mint », le réalisateur fait le pari audacieux d’imposer une opposition totale aux normes conventionnelles de la beauté. La lumière, volontairement tamisée même dans les scènes tournées le jour, crée une atmosphère pesante. Les personnages affichent des visages abimés. Avec des regards éteints, des yeux cernés et des peaux fatiguées, ils s’écartent des standards esthétiques habituels et reflètent l’épuisement intérieur qui les ronge. La réalité montrée sans fards se révèle également dans les décors. Murs délabrés, meubles fortement usés, sanitaires sales…
Le tout participe à la création d’une atmosphère de déchéance ambiante chargée de tensions à plusieurs niveaux. Certaines scènes inconfortables suscitent une réaction physique immédiate allant jusqu’au dégoût. En effet, la puissance de « Perfumed with mint » réside dans ce langage visuel où les images ne cherchent pas à séduire le spectateur, mais à imposer un regard frontal brut et dérangeant.
La laideur devient ainsi un dispositif artistique assumé pour transposer la brutalité du quotidien des personnages marginalisés. Bien que l’usage de la musique soit limité, privilégiant ainsi le silence et les sons naturels, la bande-son installe au début du film une ambiance angoissante où chaque note exacerbe la tension et l’atmosphère énigmatique.
Ce film sombre, mais non sans ironie, peut alors s’inscrire dans la catégorie du cinéma d’auteur. Il semble ainsi un pari risqué sur le fond comme sur la forme, mais remarquablement tenu. D’ailleurs, il a fait partie de la sélection officielle du Festival international du film de Venise en 2024 et a été projeté à la semaine de la critique Settimana Internazionale della Critica. Encore un succès qui s’ajoute au répertoire de Muhammed Hamdy, déjà lauréat d’un Emmy Award. D’ailleurs, le réalisateur a collaboré à de nombreux films primés à l’échelle internationale dont le long métrage documentaire « The Square » nommé aux Oscars.
« Perfumed with mint » sera bientôt à l’affiche dans les salles. Reste à savoir si cette œuvre atypique saura trouver son public et séduire au-delà des cercles cinéphiles.