Accueil Actualités Sommet arabe de la famille : Famille arabe, un slogan pour quelle réalité ?

Sommet arabe de la famille : Famille arabe, un slogan pour quelle réalité ?

Alors que l’Organisation arabe de la famille prépare une conférence internationale sur les défis auxquels fait face la «famille arabe», une question de fond s’impose : de quelle famille parle-t-on réellement ? Derrière les ambitions affichées et les déclarations officielles, le concept même de «famille arabe» mérite d’être interrogé. Quelle place pour les diversités culturelles, linguistiques et religieuses au sein de ces sociétés ? Et surtout, ces valeurs dites «arabes» diffèrent-elles vraiment des valeurs universelles que partagent les familles du monde entier ?

La Presse —L’Organisation arabe de la famille et du développement social prévoit d’organiser prochainement une conférence régionale internationale consacrée aux défis auxquels est confrontée la famille arabe. Cette rencontre sera l’occasion de tracer les grandes lignes du programme futur de l’organisation, a annoncé jeudi 19 juin Wafa Kilani, présidente de l’organisation et ministre des Affaires sociales du Gouvernement d’unité nationale libyen.

S’exprimant en marge d’une réunion extraordinaire de l’organisation, tenue à Tunis au siège du ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Personnes âgées, Kilani a précisé que cette conférence devrait aboutir à un ensemble de recommandations visant à renforcer le rôle de la famille arabe dans les sociétés de la région. Ces propositions seront soumises à un sommet arabe consacré à la famille, qui verra notamment la participation de plusieurs premières dames de pays arabes.

Renforcer les partenariats pour la cohésion familiale

L’Organisation arabe de la famille entend par ailleurs concrétiser de nombreux accords de partenariat déjà signés avec des pays et organisations arabes, tout en poursuivant ses efforts pour en conclure de nouveaux. Cette dynamique devrait permettre de mieux coordonner les politiques et initiatives en faveur de la cellule familiale dans le monde arabe.

Kilani a rappelé que l’organisation a récemment obtenu le statut de membre observateur auprès des réunions de la Ligue des États arabes consacrées à la famille et aux affaires sociales, renforçant ainsi son influence et sa capacité d’action à l’échelle régionale.

Un engagement constant de la Tunisie

Présente à cette réunion, la ministre de la Femme, de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées, Asma Jebri, a salué cette initiative. Elle a souligné que cette rencontre constitue une opportunité d’échange d’expériences et d’expertises entre pays arabes autour de la question de la famille, perçue comme le socle fondamental d’une société équilibrée et cohérente.

La ministre a également exprimé sa satisfaction quant au maintien du siège du secrétariat général de l’organisation en Tunisie, une responsabilité assumée par le pays depuis 1977.

Réaffirmant l’engagement de la Tunisie en faveur des politiques sociales inclusives, Asma Jebri a rappelé l’importance d’une approche globale de protection et de préservation de la famille face aux risques susceptibles de fragiliser ses fondements.

Défis universels, valeurs communes

Reste une question essentielle, souvent évacuée des débats officiels : qu’entend-on précisément par «famille arabe» ? Derrière cette appellation, se dissimule une diversité humaine, culturelle, linguistique et religieuse bien plus complexe. Berbères, Amazighs, Coptes, Druzes, Kurdes, Assyriens, Africains, minorités chrétiennes ou juives : les sociétés dites «arabes» sont en réalité des mosaïques plurielles, dont certaines composantes ne se reconnaissent pas nécessairement dans cette appellation unique.

S’agit-il d’une catégorie culturelle, linguistique, religieuse ? Est-ce «arabe» par opposition à quoi ? À l’«africain», alors même que plusieurs pays arabes sont africains ? Au «musulman», alors que la majorité des «Arabes» sont eux-mêmes musulmans, mais partagent leurs sociétés avec des chrétiens — Coptes d’Égypte, Chrétiens de Syrie, Maronites du Liban — ou d’autres confessions ? Quelle place est faite, dans cette vision, aux minorités ou aux populations arabophones mais non arabes d’origine ? Derrière les slogans et l’apparente unité, la notion même de «famille arabe» mérite d’être interrogée.

Au-delà des considérations identitaires, il convient aussi de s’interroger sur les valeurs que cette «famille arabe» est censée incarner. Sont-elles si différentes des valeurs universelles qui fondent aujourd’hui les chartes internationales des droits humains, de dignité, d’égalité entre les sexes, de liberté de choix individuel et collectif ? Quelle est la limite entre ce qui relève réellement d’une spécificité culturelle “arabe” et ce qui sert d’alibi à des atteintes aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux, notamment ceux des femmes et des enfants ?

Les minorités, premières victimes d’une définition exclusive 

Autre problème avec cette définition exclusive de la «famille arabe» : elle participe à un mécanisme d’exclusion symbolique, lourd de conséquences. À chaque crise économique ou politique qui secoue ces sociétés dites «arabes», les premières victimes sont souvent ces minorités considérées comme étrangères ou extérieures au corps social, alors même qu’elles en sont historiquement constitutives. Pire encore : beaucoup de ces populations étaient présentes bien avant l’arabisation de ces territoires.

Les exemples abondent : en Irak, les Assyriens — chrétiens de langue araméenne — ont été les premières cibles de discriminations et de violences après 2003, malgré leur enracinement plurimillénaire en Mésopotamie. En Syrie, les Kurdes ont longtemps été privés de droits fondamentaux, tels que la nationalité.

En Égypte, les Coptes, présents depuis les origines mêmes du christianisme, ont été particulièrement visés lors de la prise de pouvoir des Frères musulmans les dernières années, plusieurs églises ayant fait l’objet d’attaques et d’actes de violence ciblés. Au Liban, les tensions communautaires récurrentes rappellent combien l’exclusion, même symbolique, alimente la fragmentation des sociétés.

En fermant le cercle autour d’une « famille arabe » supposée homogène, on contribue à délégitimer la présence même de ceux qui ne s’y reconnaissent pas ou qui en sont exclus, malgré leur appartenance historique, culturelle et citoyenne à ces sociétés. Une vision inclusive, au contraire, reconnaîtrait que la pluralité est constitutive, et non périphérique, de ces nations.

Certains pourraient objecter que l’usage du terme “arabe” dans des institutions régionales n’est pas nouveau. La Ligue arabe existe, tout comme des organisations panarabes économiques ou culturelles. Mais il y a une différence majeure. Ici, il ne s’agit pas seulement d’un cadre diplomatique ou institutionnel entre États. Il est question de la famille, cellule première de toute société, là où se transmettent les valeurs, les identités, les appartenances.

Réduire cette réalité à une “famille arabe”, c’est exclure symboliquement — et parfois politiquement — ceux qui n’entrent pas dans cette définition étroite. C’est non seulement inexact historiquement, mais porteur de tensions et de divisions. 

Des réponses à la hauteur de l’universalité

Les défis auxquels fait face la famille dans le monde arabe — pauvreté, violences domestiques, discriminations, crise de l’éducation, bouleversements économiques — sont pour la plupart partagés par les familles partout ailleurs dans le monde. Les réponses doivent être à la hauteur de cette universalité.

S’enfermer dans une vision homogène et figée de la «famille arabe» risque, à terme, de masquer les véritables enjeux sociaux, économiques et politiques, et d’exclure de facto d’autres composantes pleinement intégrées à ces sociétés mais qui ne se définissent pas comme arabes. Qu’ils soient berbères, amazighs, kurdes, coptes, assyriens ou autres, ces groupes participent eux aussi à la vie familiale, sociale et économique des pays dits arabes. Une approche inclusive devrait reconnaître cette diversité comme une richesse plutôt que comme une exception.

Derrière les discours consensuels, il devient nécessaire d’ouvrir un véritable débat sur ce que signifie, concrètement, soutenir la «famille arabe» au XXIe siècle. Cela suppose de dépasser les slogans figés, les références convenues à des valeurs prétendument homogènes, pour assumer pleinement la diversité réelle de ces sociétés arabes.

Il ne s’agit pas de préserver un modèle idéalisé du passé, mais de construire un projet collectif profondément humain, enraciné dans les réalités vécues par toutes les composantes de ces sociétés. Un projet qui affirme que les valeurs fondamentales, dignité, justice, égalité, liberté, ne sont pas étrangères aux peuples arabes, mais en sont le prolongement naturel.

C’est à cette condition — inclusion sincère, justice sociale réelle, reconnaissance entière de la pluralité — que ces sociétés pourront bâtir un projet commun à la fois politique et humain, capable de répondre aux défis du siècle avec dignité et confiance.

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