
Par S.E. M. Philemon Yang, Président de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations unies
Il y a quatre-vingts ans ce mois-ci, la Charte des Nations unies était signée à San Francisco, tournant ainsi la page des décennies de guerre et ouvrant une ère nouvelle, fondée sur l’espoir d’un avenir plus pacifique. Depuis quatre-vingts ans, l’Organisation des Nations unies incarne la plus haute expression de notre aspiration à la coopération internationale, et la réalisation la plus aboutie de notre désir de mettre un terme au «fléau de la guerre». Même dans un monde prédominé par le cynisme, ce jalon mérite d’être salué.
Les Nations unies demeurent la seule organisation en son genre — et la seule à avoir perduré aussi longtemps. Cette longévité est d’autant plus remarquable lorsqu’on considère les circonstances de sa création : une institution née des décombres de, non pas une, mais de deux catastrophes mondiales. Sa prédécesseuse, la Société des Nations (SDN), était tombée dans le discrédit.
Aucune organisation n’est parfaite ; mais pour reprendre les mots de son deuxième Secrétaire général, Dag Hammarskjöld : les Nations unies n’ont pas été créées pour emmener l’humanité au paradis, mais pour l’empêcher de sombrer en enfer. À cet égard, elles n’ont pas failli.
Nous continuons d’être témoins de scènes de guerre déchirantes — à Gaza, au Soudan, en Ukraine, et ailleurs. La récente escalade entre l’Iran et l’entité sioniste nous rappelle crûment à quel point la paix demeure fragile, en particulier au Moyen-Orient, si prompt à la tension.
Et pourtant, au milieu de cette violence, nous avons réussi à éviter une troisième guerre mondiale. À l’ère nucléaire, c’est là un exploit que nous ne devons jamais considérer comme acquis. C’est un bien précieux qu’il nous faut préserver avec toute notre volonté.
Au cours des huit dernières décennies, une grande partie des avancées humaines porte aussi l’empreinte directe des Nations unies. Rappelons le succès des Objectifs du Millénaire pour le développement, adoptés en 2000 par 189 États membres et plus de vingt organisations internationales, qui ont offert au monde une feuille de route commune.
En 2015, par rapport à 1990, l’extrême pauvreté avait été réduite de plus de la moitié. La mortalité infantile avait baissé de près de 50 %. Et des millions d’enfants — notamment des filles à qui ce droit avait si souvent été refusé— avaient franchi les portes de l’école pour la toute première fois.
À présent, dans notre effort pour réaliser les Objectifs de développement durable (ODD), nous devons nous appuyer sur cet héritage de progrès. Nous devons redoubler d’efforts pour éradiquer la pauvreté et la faim, garantir une couverture santé universelle et produire et consommer de manière durable.
Il est une autre avancée, souvent négligée : le démantèlement des empires coloniaux. Il y a quatre-vingts ans, le colonialisme projetait encore son ombre sur une grande partie du globe. Aujourd’hui, plus de quatre-vingts anciennes colonies d’Asie, d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ont accédé à l’indépendance et ont rejoint l’Organisation des Nations unies. Cette transition, soutenue et légitimée par l’Organisation, a redéfini l’ordre mondial. Elle fut un triomphe du droit à l’autodétermination, et une affirmation profonde du principe fondateur de la Charte : l’égalité souveraine de tous les États.
Évoluer pour l’avenir
Le monde a profondément changé depuis 1945. Aujourd’hui, l’Organisation est confrontée à une crise de liquidités qui s’aggrave. Malgré la promesse de l’Agenda 2030 pour le développement durable, les progrès sont inégaux. L’égalité des genres continue de nous échapper. Notre engagement à limiter la hausse des températures et à protéger notre planète semble s’éloigner.
Ces reculs ne doivent pas nous inciter à baisser nos ambitions, mais à renforcer notre détermination. L’Organisation des Nations unies a toujours prouvé sa valeur dans les moments de crise. Ses fondateurs avaient vu le visage le plus hideux de l’humanité et avaient répondu non par le désespoir, mais par l’audace. Nous devons puiser dans cet héritage.
L’esprit de San Francisco n’était pas utopique. Il reposait sur une compréhension lucide des enjeux. Il affirmait que, même dans un contexte de profondes divisions, les nations pouvaient choisir la coopération plutôt que le conflit, l’action plutôt que l’apathie.
Nous avons vu cet esprit à l’œuvre en septembre dernier, lorsque les dirigeants du monde se sont réunis à New York pour le Sommet de l’avenir. Au terme de négociations ardues, ils ont adopté, par consensus, le Pacte pour l’avenir et ses annexes — la Déclaration sur les générations futures et le Pacte numérique mondial. Ce faisant, ils se sont engagés à revitaliser le multilatéralisme pour un monde plus complexe, interconnecté et fragile que celui imaginé en 1945.
Cet esprit demeure. Il vit dans la détermination des 193 États membres, dans l’intégrité des fonctionnaires internationaux, et dans la conviction tranquille de ceux qui croient fermement en la promesse de la Charte. Il est porté par l’initiative ONU80 du Secrétaire général, qui nous exhorte à mieux répondre aux besoins de l’humanité, et à envisager l’avenir avec souplesse et espoir.
En célébrant cet anniversaire, nous devons raviver l’appel à l’unité et à la solidarité qui s’éleva de San Francisco il y a quatre-vingts ans.
Nous avons su bâtir un ordre mondial sur les ruines de la guerre. Nous l’avons fait avec vision et urgence. Aujourd’hui encore, nous sommes à un moment décisif. Les risques sont immenses. Mais notre capacité d’agir l’est tout autant.
P.Y.