
Dans un contexte où l’investissement en Tunisie marque le pas, plusieurs voix appellent à une modernisation du cadre économique et fiscal. Mohamed Salah Ayari, conseiller fiscal et membre du Conseil national de la fiscalité, plaide pour une approche globale fondée sur la libéralisation de l’initiative privée, la simplification des procédures et la consolidation d’un climat favorable aux affaires.
La Presse —L’économie tunisienne traverse une période d’adaptation face aux crises successives, et le pays doit définir un nouveau cap. Dans ce contexte, Mohamed Salah Ayari, conseiller fiscal, estime qu’« une approche globale est nécessaire pour relancer l’investissement. Cette dernière est censée encourager l’initiative privée et améliorer le climat des affaires.
Cela permettrait à l’investissement public de jouer pleinement son rôle de levier pour le privé. Cette démarche pourrait accélérer la croissance économique. L’expérience du secteur touristique en témoigne», fait-il savoir.
Il explique que dans les années 1960, l’Etat a fortement investi, ouvrant la voie au secteur privé. La loi d’avril 1972 a favorisé la diversification, notamment dans l’exportation et l’industrie. Elle a introduit des avantages pour le développement régional. Ayari révèle qu’en 1994, le Code d’incitation aux Investissements a simplifié les procédures.
Il a regroupé les textes juridiques et élargi les incitations fiscales et financières à plusieurs secteurs. Mais cette dynamique s’est essoufflée. «La nouvelle loi sur l’investissement de 2016 et celle sur les avantages fiscaux de 2017 ont ralenti le rythme. Deux raisons principales expliquent ce frein: la suppression du dégrèvement fiscal sur les bénéfices réinvestis et la dispersion des avantages fiscaux dans différents textes comme ceux de l’Irpp, l’IS, la TVA ou encore les droits d’enregistrement».
Pour lui, d’autres facteurs ont aggravé la situation, à savoir l’absence d’une vision claire de développement et l’affaiblissement de l’Etat après la révolution de 2011, l’instabilité politique… Tout cela a découragé les investisseurs. Il relève par ailleurs que le climat des affaires s’est dégradé, «la corruption et la recherche de profits faciles se sont enracinées.
La crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont encore affaibli l’économie. Pour y remédier, des réformes de fond s’imposent. Il faut cibler les secteurs à forte valeur ajoutée et réviser les lois bloquantes. Par exemple, le Code des changes, qui date de 1976, doit être modernisé. Il faut faciliter les démarches bancaires, notamment pour les jeunes dans le secteur du freelance».
Revoir le cadre du Partenariat Public-Privé
Il mentionne d’autre part qu’il est aussi urgent de supprimer les autorisations inutiles et les cahiers des charges complexes. « On pourrait les remplacer par une liste restreinte d’activités sensibles. La digitalisation des démarches administratives est un levier clé. Elle réduirait la corruption et faciliterait la création d’entreprises.
Il faut aussi revoir le cadre du Partenariat Public-Privé, régi par la loi de 2015. Cela ouvrirait la voie à de grands projets structurants. Ces réformes rendraient la Tunisie plus attractive. Les chiffres de la Fipa le confirment. Durant les neuf premiers mois de 2024, les IDE ont atteint 2.910,2 millions de dinars. Il s’agit d’une hausse de 21,5 % par rapport à la même période en 2023».
Les prévisions pour 2025 visent 3.400 millions de dinars, selon Ayari qui assure que la relance de l’investissement passe aussi par le renforcement des ressources propres de l’État.D’après le fiscaliste, il est important de lutter contre l’évasion fiscale. Il faut intégrer l’économie parallèle et diversifier les sources de financement du budget. «Malgré une fraude fiscale élevée et un secteur informel important, les recettes fiscales ont progressé.
Elles devraient atteindre 45.200 millions de dinars en 2025. Mais la fraude reste préoccupante : elle représenterait 50 % des recettes fiscales. En cause, un taux élevé de non-dépôt des déclarations fiscales, entre 50 % et 60 %. Le secteur parallèle, lui, représenterait 35 % du PIB selon l’INS, soit 166.000 millions de dinars en 2024 et 183.000 en 2025» confirme Ayari.
Et de poursuivre; «L’Institut tunisien des études stratégiques l’évalue même à 40 % du PIB. Il est donc crucial de mener une réforme fiscale en profondeur. Elle doit simplifier les procédures et élargir l’assiette fiscale à toutes les catégories. Il faut aussi renforcer le contrôle fiscal. Cela nécessite plus de moyens humains, des outils performants et une digitalisation étendue.
L’administration fiscale devrait avoir accès à toutes les données sur les contribuables. En parallèle, les services publics doivent être améliorés, notamment la santé, l’éducation et le transport. Des mesures audacieuses sont nécessaires pour freiner l’économie parallèle dont il faut favoriser le décashing, réduire les taux d’imposition, renforcer les contrôles douaniers, créer des zones franches aux frontières avec l’Algérie et la Libye et envisager, à terme, un changement de monnaie».
Selon lui, pour préparer ces réformes, la loi de finances 2026 pourrait inclure des mesures incitatives et un dégrèvement fiscal physique pour encourager les entreprises à réinvestir dans leurs activités. «La restitution du crédit d’impôt sans avance, sous réserve d’un rapport sans réserve du commissaire aux comptes plus d’un contrôle fiscal a posteriori avec pénalités en cas d’abus.
Des incitations pourraient aussi viser l’investissement dans la construction écologique. Les sommes réinvesties seraient déductibles de l’assiette fiscale. Les contrats dans ce domaine bénéficient d’un droit fixe de 30 dinars par page, dans la limite de 700.000 dinars pour le logement et de 1.000.000 pour les bâtiments sanitaires, éducatifs ou sportifs. Enfin, rattacher les services de légalisation des signatures aux services fiscaux permettrait de créer une base de données utile aux vérifications », conclut Mohamed Salah Ayari.