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Enseignement supérieur : L’université tunisienne entre promesses et responsabilités

Réformer l’université est une ambition affirmée par les autorités, qui misent sur la restructuration et la modernisation. Mais derrière les annonces, la réalité reste plus complexe. L’enjeu ne se limite pas à la gestion des étudiants, il engage la formation de citoyens libres et la construction du futur national.

La Presse — Lors d’une séance plénière à l’Assemblée des représentants du peuple, tenue lundi 7 juillet, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Mondher Belaïd, a annoncé une augmentation de 30 % du nombre d’étudiants affectés aux facultés de médecine. Une décision prise en coordination avec le ministère de la Santé, afin de répondre aux besoins pressants en cadres médicaux, notamment dans les régions intérieures.

Cette mesure s’inscrit dans une réforme du système d’orientation universitaire qui se veut plus vaste, selon le ministre, qui a également fait état d’un recul notable du nombre de bacheliers en section mathématiques. Une réflexion conjointe avec le ministère de l’Éducation est en cours pour y remédier.

Relance de la recherche scientifique et soutien aux régions

Le ministre a affirmé que les compétences existent au sein des établissements d’enseignement supérieur, comme en témoigneraient les publications scientifiques et la progression des classements universitaires. Une nouvelle stratégie nationale de recherche a ainsi été lancée, avec l’appui de l’Institut national de la statistique.

Parmi les axes annoncés : une révision de la carte nationale de la recherche, une priorisation des jeunes universités marginalisées (comme Gafsa et Jendouba), et un soutien renforcé aux projets liés aux grands enjeux régionaux (énergie, eau, environnement, santé). Le ministère promet également une meilleure gouvernance des laboratoires de recherche et l’intégration de jeunes docteurs, notamment dans les universités de l’intérieur.

Bourses, hébergement, restauration 

Plusieurs mesures ont été présentées pour améliorer le quotidien des étudiants : révision du décret encadrant la vie universitaire, rehaussement du plafond de revenus pour accéder aux bourses, allongement de la durée d’hébergement et ouverture accrue à l’investissement privé dans les foyers universitaires.

Concernant la restauration, 14 millions de repas ont été servis cette année, et un processus de numérisation est en cours pour limiter le gaspillage. Une plateforme numérique permet également un accès à distance à des psychologues, dont ont bénéficié 2 000 étudiants.

Digitalisation et ouverture internationale

Le ministre a mis en avant le développement d’un projet de suivi numérique du parcours étudiant, via un cloud national mis en œuvre par le Centre de calcul El Khawarizmi. Grâce à un partenariat avec la Chine, un centre de calcul haute performance — le deuxième en Afrique — est désormais disponible pour les chercheurs tunisiens. Par ailleurs, un cadre juridique est en cours d’élaboration pour encadrer les établissements à caractère économique et technologique, et toutes les universités tunisiennes sont appelées à s’intégrer dans les systèmes d’accréditation nationaux et internationaux.

Belaïd a souligné, en outre, que 165 commissions, regroupant plus de 800 enseignants-chercheurs, ont assuré le bon déroulement des concours de recrutement. Moins de 40 recours ont été enregistrés, tous examinés au cas par cas, ce qui serait, selon lui, un signe de transparence et de respect des règles de mérite.

Mais les vrais défis restent intacts

Ainsi, augmenter de 30 % les effectifs en faculté de médecine peut sembler une réponse logique à la pénurie de médecins, notamment face à leur exode massif. Mais cette approche quantitative risque d’affaiblir les exigences académiques qui ont fait la réputation des médecins tunisiens à l’international. La solution ne réside pas dans l’élargissement des promotions, mais dans une politique cohérente de fidélisation, de valorisation et de répartition des compétences sur le territoire.

Le système LMD, de son côté, a montré ses limites. Trop de titulaires de doctorat se retrouvent sans emploi, formés pour des carrières universitaires qui n’existent pas. Ce désajustement entre l’offre de formation et les réalités socioéconomiques est devenu structurel. Une réforme en profondeur s’impose. Elle doit reposer sur l’employabilité, les partenariats avec les secteurs productifs, et une révision ambitieuse des contenus pédagogiques.

Le niveau des étudiants inquiète, surtout en langues

L’effondrement du niveau des étudiants, notamment en langues – arabe, français et anglais – est un obstacle majeur à leur insertion professionnelle, aussi bien locale qu’internationale. Cette question centrale, pourtant cruciale pour une université ouverte sur le monde, a été complètement éludée.

La dégradation du niveau pédagogique de certains jeunes enseignants, souvent livrés à eux-mêmes, pose un réel problème de qualité. Le système d’agrégation ne suffit plus à assurer un encadrement solide. Des dispositifs de formation continue, de mentorat pédagogique et d’évaluation régulière doivent être mis en place pour accompagner ces nouvelles générations.

Un programme ambitieux

Le ministre a présenté un programme dense, structuré et visiblement soucieux de performance. Mais derrière cette technicité rassurante, les questions fondamentales restent sans réponse: à quoi prépare-t-on les étudiants dans l’université tunisienne aujourd’hui ? Avec quels objectifs, quelles valeurs, quelle vision pour le pays ? L’enseignement universitaire, comme l’éducation dans son ensemble, ne peut être réduit à une affaire de chiffres, d’infrastructures ou de classements.

Il s’agit d’un pilier fondamental de la nation tunisienne, d’un vecteur d’égalité, de progrès, de dignité. L’université n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, elle est une fabrique de citoyens, un levier de justice sociale, un moteur de réflexion critique. Elle a, dans l’histoire moderne du pays, contribué à faire émerger des générations éclairées, souvent en avance sur leur temps.

L’éducation est au cœur de notre identité collective. Elle est l’un des rares héritages que la Tunisie a su préserver comme un bien commun, un espace de mobilité sociale et d’émancipation. On ne peut ni la brader sur l’autel de la rentabilité, ni la traiter comme une simple variable d’ajustement budgétaire.

C’est une question de souveraineté intellectuelle, de cohésion nationale et de vision civilisationnelle. Réformer l’université, c’est décider du type de société que nous voulons bâtir : une société du savoir ou une société de la survie ? Une jeunesse éclairée ou une jeunesse bercée par un passé qui freine le progrès ?  Une Tunisie qui pense, qui invente, qui rayonne, ou une Tunisie résignée, qui délègue son avenir aux autres ?

Tant que cette réflexion de fond ne sera pas menée, tant que la politique universitaire se limitera à des ajustements techniques, les annonces resteront des rustines sur un système en crise. Pourtant, malgré ses défis, l’université tunisienne conserve un rôle central et porte en elle les espoirs toujours vifs d’un pays en quête de sens, de cohésion et de développement, aussi bien sociétal qu’économique.

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