
Pour Anis Ben Saïd, conseiller fiscal agréé et expert judiciaire, une réforme en profondeur de la fiscalité tunisienne est non seulement nécessaire, mais possible. Transparence accrue, répartition plus équitable de la charge fiscale, simplification des procédures, création d’un médiateur indépendant… L’expert propose une série de leviers concrets pour reconstruire la confiance, moderniser la gouvernance fiscale et replacer le citoyen au cœur du système.
La Presse — En Tunisie, la fiscalité continue de susciter des points d’interrogations. Entre opacité perçue, sentiment d’injustice fiscale et complexité des mécanismes de prélèvement, le lien de confiance entre l’administration fiscale et les citoyens semble fragilisé. Face à cette réalité, la question d’une réforme en profondeur du système fiscal se pose avec acuité.
Anis Ben Saïd, conseiller fiscal agréé et expert judiciaire, dresse un diagnostic sans concession des failles actuelles et propose des pistes pour rétablir la confiance et moderniser la gouvernance fiscale en Tunisie. Anis Ben Saïd a déclaré que la fiscalité tunisienne est souvent perçue comme inéquitable, ce qui nourrit une méfiance persistante des citoyens envers l’impôt.
Il a expliqué que cette relation est complexe, marquée par un climat de défiance, de non-transparence et d’équité perçue, freinant ainsi l’adhésion volontaire des contribuables. Il est à préciser que l’administration fiscale, de son côté, invoque souvent le manque de ressources humaines et techniques, ainsi que la difficulté structurelle à intégrer l’économie informelle, qui échappe en grande partie aux mécanismes classiques de recouvrement.
Un déficit de confiance entre l’Etat et les contribuables
Il a souligné que ce constat s’articule autour de plusieurs axes, à commencer par un déficit de confiance entre l’Etat et les contribuables. Ben Saïd a affirmé que de nombreux Tunisiens perçoivent l’impôt comme injuste, en raison notamment de l’inégale répartition de l’assiette fiscale entre les salariés du secteur formel, fortement imposés, et d’autres acteurs économiques, tels que les professions libérales ou les opérateurs du secteur informel.
L’expert a mentionné que « le manque de transparence aggrave ce sentiment, car les citoyens ne perçoivent pas clairement la finalité de leurs contributions fiscales, le lien entre impôt payé et services publics étant faible voire inexistant ». Il a également rappelé que, dans un contexte de gouvernance encore perfectible, la perception de corruption et d’une mauvaise allocation des ressources publiques contribue à renforcer la défiance, notamment lorsque les citoyens ne voient pas de contrepartie visible à leur effort fiscal.
Anis Ben Saïd a aussi observé que la pression fiscale est mal répartie, soulignant que les salariés du secteur formel supportent une charge disproportionnée, tandis qu’une large partie des professions libérales ou des commerçants déclare peu ou pas d’impôts. Il a ajouté que : « L’économie informelle, qui représente plus de 40 % de l’activité, échappe largement au contrôle fiscal, alimentant ainsi un fort sentiment d’injustice ».
Il a précisé que la complexité et l’opacité du système fiscal, nourries par la multiplicité des régimes réel, forfaitaire, micro-entreprises, exonérations sectorielles ainsi que par des procédures complexes, participent à entretenir la confusion et favorisent les abus. Et d’ajouter : «L’absence d’éducation fiscale constitue un autre facteur clé», en expliquant que le système éducatif tunisien reste peu enclin à sensibiliser les jeunes générations à la citoyenneté fiscale. Il a aussi regretté le manque d’efforts de communication de l’administration pour vulgariser l’utilité de l’impôt et valoriser les contribuables.
Il a insisté sur le rôle de l’administration fiscale, jugeant que celle-ci privilégie une approche répressive plutôt que pédagogique, avec des moyens limités pour le contrôle et le recouvrement. « Cette relation conflictuelle contribue à la crise de légitimité autour de l’impôt, souvent perçu comme une charge injuste plutôt qu’un devoir citoyen ».
Ce qu’il faut faire !
Pour rétablir la confiance, il a recommandé de réformer le système fiscal en profondeur, le rendant plus équitable, transparent et moderne, tout en instaurant un véritable contrat fiscal fondé sur la réciprocité : le citoyen paie, l’Etat garantit des services publics de qualité. Par la suite, il a estimé que la méfiance des citoyens tunisiens envers l’impôt résulte autant du manque de transparence que du sentiment d’un poids fiscal excessif ou mal réparti.
Il a ainsi analysé le manque de transparence comme un facteur central de la défiance, en rappelant que l’Etat communique peu sur l’usage des recettes fiscales, ce qui empêche les citoyens d’en percevoir les retombées. Il a signalé que la corruption et la mauvaise gouvernance accentuent ce ressenti, d’autant plus que les mécanismes de redevabilité restent quasi inexistants.
En conséquence, il a constaté que le citoyen n’a aucune visibilité sur l’impact réel de son effort fiscal, ce qui affaiblit son adhésion volontaire. La pression fiscale, bien que comparable à celle de certains pays émergents, est ressentie comme injuste en raison de son inégale répartition. Il a précisé que les salariés du secteur formel paient « au centime près », tandis que d’autres échappent au contrôle, notamment les professions libérales ou les commerçants.
La fiscalité peut se révéler régressive, de nombreux impôts indirects touchant davantage les classes moyennes et pauvres, et que certaines niches fiscales profitent aux catégories favorisées. La double pression qui pèse sur certains ménages, contraints de financer eux-mêmes santé, transport et éducation, en plus de l’impôt.
Anis Ben Saïd a conclu que le problème ne tient pas tant au niveau d’imposition qu’à son injustice perçue et à son inefficacité apparente, en jugeant que la transparence défaillante renforce le rejet d’une pression fiscale mal vécue.
Des moyens de contrôle faibles
S’agissant des prélèvements bancaires inexpliqués, le fiscaliste a observé que ceux-ci nourrissent un profond mécontentement, révélateur de dysfonctionnements entre gouvernance fiscale et bancaire. Il a noté que le manque d’informations claires et la multiplication des retenues fiscales automatiques aggravent le malaise, alors même que les moyens de contrôle ou de réclamation sont faibles. Ces prélèvements sont encadrés par la loi, mais le manque de pédagogie et d’information les rend opaques aux yeux des usagers.
Il a recommandé des réformes prioritaires autour de la transparence, de la justice fiscale, de la simplification et de la protection des droits du contribuable. Parmi les mesures proposées, il a insisté sur l’affichage clair des prélèvements, la création d’un portail public de simulation et la mise en place d’un historique fiscal accessible. Il a plaidé pour un rééquilibrage de la charge fiscale, la révision des exonérations injustifiées, la simplification des prélèvements bancaires et l’adoption d’un code de la fiscalité bancaire clair et accessible.
Il a aussi proposé la création d’un médiateur fiscal et bancaire indépendant, ainsi que l’instauration d’un délai légal de contestation. Ben Saïd a suggéré la mise en place d’un observatoire de la fiscalité bancaire chargé de suivre l’évolution des prélèvements et d’en évaluer l’impact. Il a résumé sa position en affirmant qu’une fiscalité bancaire équitable repose sur la transparence, la justice et la protection des contribuables.
Le spécialiste a déclaré que, pour défendre leurs droits, les citoyens doivent adopter une attitude proactive, en s’informant sur leurs droits et devoirs, en exigeant la transparence, en utilisant les voies de recours et en participant activement à la vie citoyenne.
Il a conseillé aux citoyens de vérifier systématiquement les prélèvements, de réclamer des justificatifs, de contester les irrégularités et de conserver toute documentation utile. Les procédures fiscales garantissent ces droits, tout comme la réglementation bancaire.
Il a également recommandé de recourir à des experts pour les situations complexes et de renforcer la pression citoyenne en rejoignant des collectifs ou en participant aux consultations publiques. En rappelant que l’accès à l’information, l’organisation administrative et la solidarité citoyenne constituent les piliers essentiels pour défendre efficacement ses droits dans un système perçu comme opaque.