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Sport tunisien : Faire émerger une nouvelle génération de champions

Derrière chaque médaille, il y a un travail de fond, un encadrement solide, une vision claire. Si la Tunisie veut enfin faire émerger un sport de haut niveau, elle doit cesser de sous-estimer le rôle crucial des entraîneurs et des équipes techniques. L’excellence ne se bricole pas, elle se recrute, se forme, se paie.

La Presse — Dimanche 3 août 2025, à Singapour, le nageur tunisien Ahmed Jaouadi a offert à la Tunisie une double consécration. Déjà vainqueur du 800 mètres nage libre quelques jours plus tôt, il s’est imposé sur le 1.500 mètres avec un chrono exceptionnel de 14 minutes 34 secondes et 41 centièmes. Deux médailles d’or aux Championnats du monde de natation. Deux moments de fierté nationale. Et derrière ces victoires, un homme. Un athlète. Mais aussi un entraîneur : Philippe Lucas.

Depuis trois ans, Jaouadi s’entraîne à Martigues, en France, avec l’un des plus grands noms de la natation. Ce n’est pas un détail. C’est une clé. Le talent seul ne suffit pas. Il faut un environnement structuré, exigeant, professionnel. C’est ce que Jaouadi est allé chercher ailleurs. Parce qu’en Tunisie, trop souvent, l’encadrement manque de méthode, de rigueur, ou simplement de moyens.

Le drapeau ne suffit pas

La Tunisie a des champions. Des talents. Des histoires de courage individuel et de dépassement. Et pourtant, notre sport national continue de piétiner. Il brille parfois, le temps d’un podium ou d’une compétition. Puis retombe, faute de souffle, de vision. Tant que nous continuerons à miser sur le hasard, le système D et le copinage, nous resterons loin des sommets.

Ce n’est pas une fatalité. C’est un choix. Et il est temps de changer. Et il est temps de le dire sans faux-semblants : ce n’est pas parce qu’un entraîneur est tunisien qu’il doit nécessairement être recruté. Ce n’est pas une question d’identité, mais de compétence. L’excellence ne connaît pas de frontières. Ce qui compte, ce n’est ni la nationalité, ni les relations personnelles, ni l’ancienneté dans le système. Ce qui compte, c’est le résultat, la capacité à faire progresser un athlète, à structurer un collectif, à insuffler une dynamique gagnante. 

Dans un pays où l’on confond encore trop souvent patriotisme et protectionnisme, ce discours dérange. Il dérange parce qu’il remet en cause des habitudes bien ancrées, notamment dans le sport; le copinage, le recyclage des mêmes profils, la promotion de la loyauté au détriment de la compétence, pourtant vitale, si l’on veut hisser notre sport au niveau qu’il mérite.

Et, la compétence n’est pas une trahison. Engager un entraîneur étranger performant n’est pas un reniement de soi, pas plus qu’écarter un Tunisien incompétent n’est un acte antipatriotique. C’est, au contraire, une preuve de lucidité et d’exigence. Car derrière chaque grand athlète, il y a un encadrement rigoureux, une méthode, une vision.

Ce sont ces fondations invisibles qui forgent les victoires. Tant que nous continuerons à confier nos équipes à des techniciens choisis par réseau, par piston ou par défaut, nous n’avancerons pas. Ou alors, par éclairs, par miracle, par exception. Mais jamais avec constance, jamais avec ambition véritable.

Le sport de haut niveau a ses exigences

Regardons de l’autre côté de la frontière. Le 30 juillet 2025, l’équipe nationale féminine marocaine de football a tenu tête aux meilleures équipes du continent, faisant preuve d’une combativité et d’un niveau de jeu salués bien au-delà de l’Afrique. Cette montée en puissance n’est pas un hasard. Elle s’explique aussi par la qualité de l’encadrement.

À leur tête, Jorge Vilda Rodríguez, ancien sélectionneur de l’équipe d’Espagne, avec laquelle il a remporté la Coupe du monde en 2023. Son expérience, sa rigueur tactique et sa connaissance du haut niveau ont profondément transformé l’équipe marocaine, lui inculquant une nouvelle culture de la performance. Et les résultats sont palpables ; progression spectaculaire, respect international, et surtout, une cohérence stratégique du banc au terrain.

La Tunisie, elle, continue d’encourager mais sans structurer. Elle espère sans planifier. Et chaque échec devient l’affaire du hasard ou d’un arbitrage défavorable. Il est temps de sortir de cette logique défaitiste, et de comprendre que dans le sport de haut niveau, les résultats se préparent, ils ne s’improvisent pas.

Une politique nationale du sport, ou rien

Promouvoir le sport tunisien, ce n’est pas empiler les médailles sur une étagère, le temps d’un communiqué triomphal. C’est construire une vision. Déployer une stratégie nationale cohérente. Former et accompagner dès le plus jeune âge. Créer des passerelles entre les clubs, les fédérations et les écoles. Exiger de la transparence, de la gouvernance. Investir dans les infrastructures, mais aussi dans les ressources humaines, les bonnes. Celles qui savent, qui font, qui élèvent.

Le sport est une nécessité sociale, éducative, sanitaire. C’est un levier d’inclusion, d’ascension, de cohésion et de rayonnement international. Et à l’heure où la jeunesse tunisienne cherche des modèles, des repères et des raisons d’y croire, il serait irrationnel de ne pas en faire une priorité nationale.

Ce que Jaouadi nous rappelle

Ce que mérite notre jeunesse sportive, ce ne sont donc pas des discours vides sur la «fierté nationale». Ce sont des moyens, des plans de carrière, des entraîneurs d’élite, capables de détecter, d’encadrer, de faire éclore les talents. L’heure n’est plus aux compromis. Il est temps de choisir l’excellence, coûte que coûte, même si elle vient d’ailleurs.

La réussite d’Ahmed Jaouadi nous rend fiers, bien sûr. Mais elle nous oblige surtout. Elle nous montre ce que la Tunisie est capable d’accomplir quand elle mise sur l’exigence, sur le travail bien encadré, sur la compétence réelle. Ce n’est pas un miracle, c’est le fruit d’un choix : celui de viser haut. Si nous voulons voir éclore d’autres Jaouadi, si nous voulons que nos stades, nos bassins, nos salles résonnent de victoires, alors il faut changer de cap.

Avoir le courage de sortir du bricolage, de refuser la complaisance, d’investir là où ça compte; dans la formation, dans l’encadrement, dans une vision à long terme. Le sport tunisien n’a pas besoin qu’on le félicite à chaque sursaut. Il a besoin qu’on le construise. Et cela commence dès aujourd’hui.

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