
Avec La voix de Hind Rajab, Kaouther Ben Henia signe un huis clos bouleversant et grimpe un palier au-dessus dans le registre du docu-fiction.
La Presse — Lion d’Argent à la prestigieuse Mostra de Venise et acclamé durant 24 minutes, sans compter les six prix parallèles, La voix de Hind Rajab, proposé pour représenter la Tunisie aux Oscars 2026, est sans conteste le film de l’année. Dès sa consécration à Venise, le film sort actuellement dans les salles tunisiennes.
Il raconte l’histoire vraie d’une fillette palestinienne de 6 ans coincée dans une voiture avec sa famille, prise pour cible à Gaza par l’armée sioniste, le 29 janvier 2024. Six membres de sa famille meurent. Hind Rajab reste coincée avec sa cousine à l’intérieur de la voiture. Elles essaient de joindre le Croissant-Rouge palestinien. L’enfant a passé plusieurs heures au téléphone avec les secours du Croissant-Rouge avant d’être à son tour abattue.
Deux ans après Les filles d’Olfa (2023), la réalisatrice poursuit son aventure cinématographique entre documentaire et fiction dans un film choc en plein cœur de l’actualité. Se saisissant de cet événement qui a bouleversé le monde, Kaouther Ben Henia obtient l’enregistrement de la discussion relayé sur les réseaux sociaux par le Croissant-Rouge et le place au centre de son dispositif pour réaliser une fiction où la voix de Hind Rajab Hamada est de nouveau présente.
« Lorsque j’ai entendu pour la première fois la voix de Hind Rajab, il y avait quelque chose de plus que sa voix. C’était la voix de Gaza qui appelait à l’aide et personne ne pouvait entrer », déclare Kaouther Ben Henia.
La voix de Hind représente celle des milliers d’enfants tués par les raids israéliens. Durant 1h30, les opérateurs du centrale d’appels d’urgence de l’organisation du Croissant-Rouge palestinien sont sous pression continue. Ils doivent signaler au ministère de la Santé et à la Croix-Rouge des appels d’urgence de personnes ayant échappé aux bombardements sionistes et sont encore en vie. Omar (Moâtaz Malhees) reçoit l’appel de Hind Rajab, seule survivante dans une voiture bombardée. Avec sa collègue Rana (Saja Kilani), il met tout en œuvre pour la sauver.
Les deux opérateurs doivent maintenir la discussion avec la fillette jusqu’à ce que les secours arrivent.
Or, sans autorisation de passage de l’armée sioniste, les secouristes risquent d’être attaqués et tués. Mehdi (Amer Hlehel), le chef du centre d’appels, est le seul à pouvoir communiquer et coordonner avec les autorités, ce qui n’est pas évident compte tenu des rouages administratifs. La tension monte entre les collègues. Les nerfs sont à bout. Mehdi tient à suivre les instructions pour préserver la vie des ambulanciers, tandis qu’Omar cherche, coûte que coûte, à sauver la vie de la petite.
Au-delà du fait divers, sur le plan cinématographique, Kaouther Ben Henia réussit une grande prouesse en relatant avec une caméra portée et des plans rapprochés l’intérieur du centre d’appels d’urgence équipé de matériel moderne et même d’une unité psychologique prête à prendre en charge les opérateurs psychologiquement fragiles.
Le film donne à voir le travail harassant des opérateurs chargés de rassurer les victimes en attendant que les secours arrivent, leur détermination, leurs moments d’hésitation et de désespoir, d’empathie, leurs faiblesses et leur incapacité face au désastre extérieur. Outre les dialogues qui sont d’une rare véracité, les moments de silence donnent une forte charge à certaines scènes. Quant aux acteurs, ils ont tout juste excellé dans leur rôle. Le rythme est assez enlevé malgré l’ambiance lourde dans laquelle se déroulent les événements.
Plus qu’un témoignage, c’est un travail de mémoire, une œuvre puissante que signe l’auteur des Filles d’Olfa. Pour rappel, le film a obtenu le soutien de plusieurs stars hollywoodiennes qui sont contre la barbarie sioniste. Brad Pitt, Joaquim Phoenix et Rooney Mara, ainsi que d’autres cinéastes comme Alfonso Cuaron et Jonathan Glazer, sont les producteurs exécutifs du film.