
L’agriculture et la pêche, deux piliers de l’économie tunisienne, peinent encore à attirer des investissements privés. Plusieurs freins persistent et se transforment parfois en véritables handicaps pour les nouveaux promoteurs, en particulier les jeunes, indique Faouzi Zayani, expert en politique agricole et développement durable.
La Presse — Face à ces défis, l’expert plaide pour une refonte en profondeur des politiques publiques, l’adoption de réformes ciblées et une mobilisation nationale afin de garantir la souveraineté alimentaire et redonner à l’agriculture tunisienne sa place stratégique dans l’économie.
Et d’ajouter que « l’accès au financement constitue l’obstacle majeur de l’agriculture tunisienne. Avec des taux d’intérêt très élevés et des conditions accablantes liées aux garanties, l’investisseur privé se retrouve désabusé et seul face à une machine financière méprisante et indifférente au secteur agricole ». Pour y remédier, « il faut impérativement réduire d’une part le coût du crédit et, d’autre part, simplifier l’ensemble des procédures de financement ».
Fonds national dédié à l’agriculture
Notre interlocuteur précise que l’Etat doit penser à mettre en place un fonds national exclusivement dédié à l’agriculture et à la pêche, tout en encourageant l’innovation et la création de start-up par les jeunes promoteurs.
Sachant que le manque d’infrastructures pénalise également l’investisseur et le décourage, même lorsque certaines régions présentent un fort potentiel. Or, toute activité agricole nécessite un minimum d’infrastructures : routes goudronnées, pistes agricoles aménagées, accès fluide aux ports et aéroports pour l’exportation, ainsi que des zones dédiées au stockage et à la logistique.
L’expert a insisté sur le climat de méfiance lié au stress hydrique que connaît la Tunisie, aggravé par les changements climatiques touchant particulièrement l’Afrique du Nord. Selon ses dires, cette situation inédite impose des réformes profondes de la filière eau, qu’il s’agisse de l’eau potable ou de l’irrigation.
Il plaide par ailleurs pour le développement du traitement des eaux usées et saumâtres, la modernisation du réseau d’irrigation afin de réduire les gaspillages, la récupération massive des eaux de pluie et la promotion de cultures résilientes face au dérèglement climatique.
Concernant le rendement et la rentabilité, l’expert a fait remarquer que certaines filières, comme l’élevage bovin, ovin, caprin ou avicole, sont au bord de la faillite. Le secteur céréalier est également fragilisé, ce qui a entraîné une réduction des superficies cultivées, passées de 1,9 million d’hectares à 1,1 million en 2025. Pour inverser la tendance, a-t-il précisé, il faut s’appuyer sur les nouvelles technologies, les techniques agricoles adaptées et la recherche scientifique, afin de développer la production nationale et soutenir agriculteurs et pêcheurs.
Guichet unique pour accompagner les promoteurs
Il a par ailleurs fait part de la lourdeur de la législation et de la bureaucratie indiquant que « le pays souffre toujours de procédures administratives lentes et incompréhensibles liées à l’investissement ». D’après lui, il est urgent de simplifier et de numériser ces démarches, et de mettre en place un guichet unique capable d’accompagner les promoteurs.
L’investissement, dans les filières agricoles et halieutiques, participe clairement à la modernisation du secteur, en termes de durabilité, de productivité et de compétitivité à l’exportation. Cependant, « la situation exige des efforts nationaux accrus, puisqu’il s’agit de produits de première nécessité et de souveraineté alimentaire », souligne-t-il.
Même si l’investissement étranger peut apporter transfert de technologie, conquête de nouveaux marchés et intégration des énergies renouvelables, l’expert rappelle que les capitaux étrangers recherchent surtout le gain rapide sans se soucier de l’environnement ni du stress hydrique qui frappe la Tunisie.
Il a suggéré que le législateur et le gouvernement adoptent des réformes simples mais stimulantes pour encourager l’investissement tunisien : réformer le code de l’investissement pour rendre les incitations fiscales plus attractives, surtout pour les projets agricoles durables dans les zones intérieures à fort chômage, promouvoir massivement les énergies renouvelables en facilitant les démarches, et permettre aux investisseurs d’accéder à des crédits à taux faibles ne dépassant pas 5 %. Sans cette mesure, « l’agriculture ne pourra pas se développer et de nombreux agriculteurs et pêcheurs risquent d’abandonner leur activité ».
Sécuriser la souveraineté alimentaire
En observant les politiques publiques de ces dernières décennies, « on constate une absence de stratégie claire et de réformes profondes, malgré les bouleversements climatiques et géopolitiques ».
Toutefois, il n’est pas trop tard pour agir. Des réformes durables doivent être menées afin de sécuriser la souveraineté alimentaire et doter le pays de mécanismes de résilience face aux crises climatiques et géopolitiques. Plusieurs pistes sont à baliser, à savoir : considérer l’agriculteur et le pêcheur comme des partenaires essentiels, renforcer la vulgarisation et la formation continue, encourager le regroupement des producteurs, développer le partenariat public-privé, créer une véritable politique de marketing pour conquérir les marchés africains et asiatiques, et soutenir l’innovation (hydroponie, aquaponie). L’expert a même suggéré la création d’une « police agricole » afin de sécuriser les investissements.
Et pour conclure, la Tunisie dispose d’atouts considérables, avec ses 5 millions d’hectares de terres cultivables, dont une partie irriguée et de vastes terres domaniales mal exploitées. Mais une réforme en profondeur s’impose. Il a rappelé que l’État détient de nombreux biens inutilisés dans chaque gouvernorat, coûtant des millions aux contribuables.
Une approche rationnelle consisterait à vendre ces actifs pour financer directement le secteur agricole. Cette stratégie, a-t-il assuré, permettrait d’éviter un recours excessif aux crédits et doterait l’agriculture tunisienne de moyens financiers capables de relever le défi d’une souveraineté alimentaire durable, innovante et résiliente.