
L’avenir du pays repose sur sa capacité à faire converger la lutte contre le changement climatique et l’inclusion financière afin de transformer les vulnérabilités sociales et environnementales en véritables opportunités de croissance durable. Au cœur des échanges, la question du financement vert et de la résilience climatique a suscité un vif intérêt.
L’experte en finance durable et inclusive, Hedia Mraihi, a souligné que ces deux dynamiques, inclusion financière et action climatique, constituent désormais des leviers indissociables du développement économique en Tunisie.
La Presse — La deuxième édition du salon dédié à l’entrepreneuriat féminin, à l’inclusion financière et à l’économie durable s’est tenue les 16 et 17 octobre 2025 à Tunis, offrant une nouvelle expérience placée sous le thème «Entrepreneuriat féminin, inclusion financière et économie durable en Tunisie». Cette édition a pour objectif de: promouvoir une économie plus verte et inclusive, encourager l’autonomisation des femmes entrepreneures et valoriser les solutions durables et innovantes au service du développement.
Pour une résilience socioéconomique forte
Prenant la parole lors du panel consacré à «l’entrepreneuriat féminin et la durabilité en Tunisie», Hedia Mraihi, experte senior en finance durable, inclusive et verte, a déclaré : «Nous vivons une période où le changement climatique n’est plus une menace lointaine : il façonne déjà notre quotidien, notre économie et nos perspectives de développement».
Elle a mentionné qu’«un constat s’impose: l’inclusion financière et la finance climatique ne sont pas deux agendas séparés, mais bien deux leviers d’une même résilience nationale». Mraihi a expliqué lors de sa présentation qu’en Tunisie, ces deux dimensions peuvent converger pour transformer nos vulnérabilités en véritables opportunités de développement durable.
Elle a ajouté : «La finance n’est pas seulement un moteur de croissance économique. Elle peut devenir un véritable levier pour lutter contre le changement climatique et promouvoir l’inclusion. En Tunisie, ces deux piliers, inclusion et climat, doivent converger pour construire une résilience socioéconomique forte, une résilience qui protège mais qui donne aussi les moyens d’agir».
L’experte a rappelé que 85 % des communes tunisiennes sont exposées à des risques climatiques majeurs. Les ressources en eau ont déjà diminué de près de 28 %, et une part importante des zones côtières a été perdue. Elle a précisé que l’agriculture, qui représente 10 % du PIB, a subi une baisse de 12 % des cultures céréalières en 2025.
«Ces chiffres ne sont pas abstraits, a-t-elle averti, ils annoncent une augmentation du taux de pauvreté qui pourrait atteindre 22 %, d’ici 2030, si nous n’agissons pas. Les régions les plus touchées par le changement climatique sont aussi celles où la pauvreté, le chômage et l’exclusion financière sont les plus élevés. Autrement dit, c’est un cercle vicieux : le climat aggrave l’exclusion, et l’exclusion freine la capacité à s’adapter au climat. Notre réponse doit donc être intégrée, inclusive et stratégique».
L’inclusion financière n’est pas un luxe !
Mraihi a insisté sur le fait que «moins de 40 % des adultes tunisiens disposent d’un compte bancaire. Derrière ce chiffre, il y a des millions de personnes sans accès à l’épargne, au crédit ou à l’assurance. Ce sont elles qui subissent de plein fouet les sécheresses, les inondations ou les pertes de récoltes, sans outils pour se relever.
L’inclusion financière n’est pas un luxe, c’est un impératif pour la résilience de notre pays». Elle a également mis en lumière les fortes disparités régionales : «67 % des agences bancaires se concentrent dans le Grand Tunis et sur le littoral, alors que les régions intérieures les plus exposées aux sécheresses restent marginalisées.
Et parmi les exclus, les femmes : seules 20,7 % des femmes adultes ont un compte bancaire formel. Pourtant, elles jouent un rôle central dans l’agriculture et la gestion des ressources, souvent garantes de la survie du foyer. Inclure les femmes et les zones rurales, c’est investir dans la première ligne de défense face au changement climatique».
Sur le plan économique, Mraihi a rappelé que «la croissance est restée faible en 2025, à 2,1 %, avec une inflation persistante autour de 5 %. Chaque année, la sécheresse nous coûte plus de 500 millions de dinars dans le secteur agricole. C’est un cercle vicieux : faible croissance, vulnérabilité climatique, exclusion financière. Nous devons le briser».
Elle a précisé que «sans inclusion financière, chaque choc climatique devient une crise sociale et budgétaire. L’équation est claire: moins d’inclusion, c’est plus de vulnérabilité». Pour elle, «inclusion et climat sont indissociables, deux faces d’une même médaille. Sans inclusion financière, la transition verte sera manquée.
L’inclusion donne aux ménages et aux PME les moyens d’investir dans l’adaptation, tandis que la finance climatique canalise les ressources vers ces acteurs pour accélérer la transition. Cette vulnérabilité peut devenir un moteur d’innovation, vecteur de prospérité partagée et durable».
Ces freins qui persistent
L’experte a estimé que «la bonne nouvelle, c’est que 90 % des Tunisiens ont accès à un téléphone mobile et que les transactions électroniques ont augmenté de 26 % en 2025. Les portefeuilles digitaux peuvent devenir la porte d’entrée pour bancariser les zones rurales et distribuer des assurances climatiques.
La technologie transforme le risque en opportunité». Elle a précisé que « pour atteindre ses objectifs climatiques, la Tunisie a besoin d’environ 1,7 milliard USD par an, alors qu’elle n’en couvre actuellement que 48 %. L’inclusion financière peut aider à combler ce déficit en mobilisant l’épargne locale et en créant des produits verts accessibles à tous».
Mraihi a insisté : «Il est crucial d’identifier les secteurs clés où investir : agriculture résiliente, gestion de l’eau, énergie verte, infrastructures durables. Ces investissements sont essentiels pour bâtir une croissance inclusive et résiliente». Elle a ajouté que plusieurs freins persistent : produits financiers inadaptés, perception élevée du risque de crédit, coordination insuffisante entre bailleurs et compétences ESG limitées.
«Surmonter ces obstacles est essentiel pour transformer les financements en impacts concrets sur le terrain». Enfin, elle a plaidé pour la création d’un Fonds de garantie climatique national, couvrant jusqu’à 70 % du risque sur les prêts verts. Ce dernier servira également pour le cofinancement public-privé et la mobilisation de l’épargne locale via des obligations vertes.
Elle conclut : «Au-delà des chiffres, il s’agit de changer la vie des gens : 670.000 bénéficiaires, des femmes autonomes, des communautés résilientes. Investir aujourd’hui, c’est assurer un avenir plus sûr et inclusif pour la Tunisie».