Kairouan, la ville oubliée

Tous les indicateurs sont au rouge d’autant plus que plusieurs projets programmés depuis 2009 n’ont toujours pas été mis en œuvre .
Kairouan a joué depuis sa création un rôle de relais. La réputation de ses oulémas et de ses hommes de lettres lui a valu une forte fréquentation de ses cercles d’enseignement par des disciples arabes mais aussi de la région européenne. En effet, Kairouan fut à son heure de gloire une capitale du savoir vers laquelle se tournaient les savants de tout le Maghreb et même du Machreq.
Dans les domaines très divers de l’activité de l’esprit comme la philosophie, la poésie mais aussi les mathématiques ainsi que la médecine, Kairouan était un lieu de rayonnement.
Malheureusement, de nos jours, la ville sainte aux multiples facettes détient les records les plus élevés en matière de suicide, d’analphabétisme, d’abandon scolaire, de chômage des jeunes, de mauvaises prestations sanitaires, et de dégradation de ses monuments.
Ignorée pendant des décennies par les décideurs politiques à cause du caractère pacifique de ses habitants, Kairouan semble aujourd’hui défigurée.
Et même si quelques projets ont été réalisés, ils tombent vite dans le laisser-aller et le manque de suivi et d’entretien. On citerait, à titre d’exemple, le projet de réhabilitation de la Médina, financé par l’Etat tunisien, l’AFD (Agence française de développement) et l’Union européenne, ayant débuté en 2014 pour s’achever en 2017, et qui a concerné d’importants travaux d’infrastructure sur 21 hectares au profit de 7.500 habitants pour un coût de 4,8 MD.
Or, aujourd’hui, ce circuit touristique est enlaidi par les poubelles, les restes des matériaux de construction, les étalages anarchiques, les maisons en ruine envahies par les scorpions et les détritus, les murs défigurés par les graffitis et l’état de délabrement de beaucoup de petites mosquées de quartier qui risquent de s’écrouler à tout moment.
En outre, les travaux de pavage en pierre taillée des rues et ruelles de la médina n’ont pas été bien faits puisqu’ils sont plus élevés que le niveau des maisons, ce qui fait que dès qu’il pleut, les maisons et les boutiques sont envahies par les eaux.
Enfin, la vieille ville est en train de perdre certaines de ses composantes architecturales, à l’exemple des portes cloutées, des encadrements sculptés et des fenêtres de type zlabia.

Le don saoudien donnera-t-il un nouveau souffle à l’activité socioéconomique ?
La veille du Sommet arabe à Tunis, le 29 mars dernier, le président Caïd-Essebsi et le roi Salman Ibn Abdelaziz ont posé la première pierre de l’hôpital universitaire du roi Salman Ibn Abdelaziz à Kairouan (85 millions de dollars) et procédé au lancement du projet de restauration de la mosquée Okba Ibn-Nafaâ et de la Médina de Kairouan (15 millions de dollars). Ces projets financés par le Fonds saoudien de développement ont été très bien accueillis par les citoyens qui espèrent que ce don, destiné à redynamiser l’activité économique, touristique et sanitaire, embellira les circuits de la médina et l’habitat traditionnel, ce qui contribuera à perpétuer des traditions ancestrales et à promouvoir les richesses décoratives des maisons kairouanaises.
M. Moadh Mahdaoui nous confie ses impressions : «Le gouvernorat de Kairouan enregistre depuis plusieurs années une régression de son processus de développement et tous les indicateurs sont au rouge d’autant plus que beaucoup de projets programmés lors du CMR (2009, 2012, 2015 et 2017) n’ont pas été mis en œuvre à cause de la complexité des procédures administratives, de l’indifférence des décideurs, de l’instabilité politique (de 2011 jusqu’à aujourd’hui, il y a eu 6 gouverneurs), de problèmes fonciers et de pratiques dépassées au sein de l’administration. En ce qui concerne le don saoudien, on ne peut que s’en réjouir. D’abord, en ce qui concerne le gigantesque projet du CHU qui a été maintes fois reporté à cause de beaucoup d’obstacles et de contraintes, et dont le démarrage des travaux est prévu, finalement pour 2019, c’est une excellente initiative qui mettra fin aux souffrances des Kairouanais obligés souvent de faire des déplacements coûteux vers d’autres villes tunisiennes pour se faire soigner. En effet, l’hôpital Ibn El-Jazzar, construit en 1900, est sollicité par les Kairouanais, mais aussi par des citoyens provenant des gouvernorats limitrophes. D’où des problèmes d’encombrement et d’engorgement au sein de ses 19 services qui manquent de spécialistes, de cadres médicaux et paramédicaux, de médicaments, d’équipements, d’hygiène et de budget suffisants. Je vous citerai à titre d’exemple, le service de cardiologie dont la salle de cathétérisme ne fonctionne plus depuis plusieurs mois, ce qui nécessite des transferts urgents et risqués vers les hôpitaux de Sousse avec tous les risques des déplacements car chaque minute compte pour un patient. Ensuite, en ce qui concerne la restauration de la grande mosquée Okba, une référence dans le monde arabo-musulman et l’un des plus beaux monuments du monde islamique, j’espère qu’on refera la couche d’étanchéité des terrasses qui couvrent une superficie de 4.000 m2 et qui sont menacées par les infiltrations d’eau de pluie au niveau des joints de dilatation des dalles. En outre, on devrait procéder à la consolidation des contreforts hafsides, au colmatage des fissures apparentes au niveau de la coupole du minaret, au remplacement des briques altérées, des pavements extérieurs et à la réfection de l’enduit de certaines parties du mur sud-est de la salle de prière…».

80 hospitalisations au mois de février
Dr Essia Sboui, exerçant au sein du service de pédiatrie de l’hôpital Ibn El Jazzar, espère, pour sa part, l’accélération des travaux de construction du CHU Salman Ibn Abdelaziz sur une superficie de 17 hectares et qui devra comprendre toutes les spécialités médicales, y compris celle des grands brûlés : «Ce gigantesque projet va soulager tous les citoyens ainsi que les médecins, les infirmiers, les techniciens et les ouvriers qui souffrent énormément à cause du manque de moyens, de ressources humaines et d’équipements. Et effet, dans un service comme le nôtre, il n’y a que 3 médecins alors qu’il y a 8 ans, il y en avait une dizaine. Et malgré notre fatigue, nous prodiguons beaucoup de tendresse à tous les patients, et ce, même si les familles ne cessent de nous menacer et de nous insulter, sans peur d’être réprimandés. Puis, comme nous recevons les malades de Kairouan, mais aussi de Zaghouan, de Mahdia et de Kasserine, il arrive que, par manque d’équipements, deux patients occupent le même lit. Rien qu’au mois de février 2019, on a enregistré 480 hospitalisations cela sans compter les prématurés. En effet, comme le complexe de maternité ne dispose pas de service de néonatologie, le médecin se trouve dans l’obligation de porter le bébé prématuré dans ses bras, sous la pluie ou sous un soleil ardent, et de traverser un vaste terrain où les chiens errants font la loi pour arriver à notre service où nous disposons de locaux de néonatologie. Est-il normal que des enfants ayant différentes infections et des prématurés fragiles cohabitent dans un même service même s’ils sont séparés ?»

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