Plus de 76% des consommateurs des produits de la mode dans le monde accordent un intérêt particulier à l’empreinte environnementale du vêtement acheté. Pour s’approprier les nouvelles exigences et orientations écologiques du marché mondial du textile, la Fédération tunisienne du textile et de l’habillement (Ftth) redouble d’efforts pour intégrer le modèle de chaînes de valeur circulaires pour basculer vers une industrie durable qui respecte l’environnement.
Encore une fois, l’industrie nationale du textile et de l’habillement se veut une industrie pionnière et leader. D’ailleurs, comme elle l’a toujours été, depuis l’entrée en vigueur de la fameuse loi d’investissement connue sous le nom « loi 72 » grâce à laquelle (mais aussi grâce aux mémorables efforts des pères fondateurs de l’un des fleurons de l’économie nationale), le made in Tunisia s’est bâti une réputation d’excellence sur le marché mondial. Des champions nationaux du textile et de l’habillement ont vu le jour.
Les temps changent. Cette fois-ci, c’est la responsabilité sociétale et environnementale qui est dans le viseur des professionnels. Un objectif qui n’est guère facile à atteindre, compte tenu des nouvelles orientations et exigences imposées par le marché international du textile, une des industries les plus polluantes et consommatrices de ressources naturelles de tous les temps.
Les professionnels admettent que la responsabilité environnementale s’impose naturellement en tant qu’élément essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Mais les industriels tunisiens veillent, également, à la pérennité du secteur. Aujourd’hui 76% des consommateurs dans le monde se décident sur l’achat d’un produit d’habillement en prenant en considération, le niveau de la responsabilité sociétale ou environnementale dans le process de sa fabrication. Plus de 56% des marques européennes ou installées en Europe, le marché qui se taille plus que la moitié des exportations tunisiennes du textile, prennent en considération la responsabilité environnementale de leurs fournisseurs. Il y a deux ans, ce taux se situait à seulement 10% !
«Si l’industriel n’en tient pas compte, il disparaîtra d’ici cinq ans. Pour garantir sa pérennité, le secteur du textile doit s’approprier ces nouvelles tendances. C’est une réalité économique qui est devenue une contrainte Business à laquelle il faut s’adapter», a affirmé le président de la Fédération tunisienne du textile et de l’habillement (Ftth), Hosni Boufaden, dans une déclaration à La Presse, en marge de la conférence de presse sur l’économie circulaire appliquée au secteur du textile et de l’habillement tenue récemment.
Du linéaire au circulaire
Au mois de juin 2019, la Ftth a lancé le label « Tunisia Sustainable Fashion », censé être octroyé aux industriels du secteur en se basant sur un indice qui mesure l’empreinte écologique du vêtement produit. Cette nouvelle étape a été engagée par la fédération dans le cadre du projet Med Test II qui a succédé à Med Test I, une série de projets élaborés et mis en place par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) depuis 2015. Leur objectif est de développer les capacités des industriels de la rive Sud de la Méditerranée, d’optimiser l’usage des ressources naturelles et de fournir des produits ayant une meilleure empreinte écologique.
Pour mieux expliquer la gravité de l’impact environnemental de la production textile dans son modèle « linéaire », Boufaden essaye d’étaler le cycle de vie d’un T-shirt. Né dans les champs de coton ou dans les usines de raffinement de pétrole, un T-shirt se confectionne à partir des fibres en coton ou synthétiques. La production du coton consomme à elle seule respectivement, 25% des insecticides et 10% des herbicides utilisés dans le monde. Une fois produits, ces fibres vont générer du fil qui sera tissé pour devenir un tissu. Les divers traitements qu’il subit nécessitent une quantité très importante d’eau utilisée entre teinture, lavage, rinçage… etc. Les tissus sont ensuite découpés et assemblés pour fabriquer le Tshirt, générant, de facto, des chutes. Après sa confection, l’article parcourt souvent plusieurs kilomètres pour atterrir dans un point de vente, engendrant une empreinte carbone due aux effets du transport. Usé, il finit par être jeté.
Ce cycle de vie du T-shirt, qui n’est qu’un exemple de la multitude des marchandises de la mode, trace les étapes de l’économie dite linéaire qui a démontré ses limites à tous les niveaux. « Cette économie linéaire est devenue problématique parce que son coût dépasse à présent ses bénéfices. L’économie circulaire appliquée à l’industrie textile, constitue une alternative crédible. La Ftth a inscrit la problématique environnementale au cœur de ses préoccupations. Une première parmi les fédérations tunisiennes où les adhérents consacrent les principes du développement durable. L’économie circulaire a de quoi séduire, dès lors que la valeur des produits, des matières et des ressources est maintenue dans l’économie aussi longtemps que possible et la production des déchets est réduite au minimum », a expliqué le président de la Ftth.
Transmission du savoir-faire et des technologies de recyclage
Une fois les deux projets Med Test I et II finalisés, la fédération s’est penchée sur le troisième projet Med Test III. Cette série d’initiatives pilotes a été lancée depuis 2015 par l’Onudi en collaboration avec l’Union européenne, en vue d’aider 27 entreprises opérant dans cinq industries différentes, à savoir le textile et habillement, l’industrie mécanique et l’électronique, l’agroalimentaire, l’industrie chimique et les cuirs et chaussures (avec l’accent mis sur le secteur du textile), à acquérir un savoir-faire d’industrie durable.
Les résultats du programme Test Med II sont estimés considérables. Les 27 entreprises concernées ont pu économiser, à elles seules, environ 448 mille m3 cube d’eau et 111 Giga watts d’énergies par an. La réduction de l’émission du CO2 est évaluée à environ 35 mille tonnes par an. Le projet Med test III est actuellement en cours d’élaboration. Il a pour objectif de mettre l’accent sur les chaines d’approvisionnement de l’industrie textile, en misant sur une approche d’économie circulaire adossée à la valorisation des déchets textiles postindustriels et pré-consommation, en l’occurrence principalement les techniques du recyclage. « Dans le domaine du textile et d’habillement, de plus en plus de marques internationales ont mis en place des filières et des collectes de recyclage des vêtements usagés. Il n’y a pas de contradiction entre pérennité de l’entreprise et l’adoption de valeur pour préserver notre environnement. Une enseigne internationale comme Levis s’est associée à une start-up qui produit un jean à partir de cinq T-shirt en coton recyclés. Des techniques de recyclage permettant de produire le nylon recyclé avec une qualité similaire à celle du nylon vierge sont désormais appliquées un peu partout dans le monde », a souligné Boufaden.
Le projet Test Med III, qui a été lancé le 26 novembre dernier, s’articule autour de deux principaux axes d’intervention, à savoir le développement des chaines de valeur circulaires pour la valorisation des déchets textiles en fils et tissus recyclés à travers des techniques de recyclage mécanique et chimique et la divulgation d’une utilisation plus sûre des produits chimiques dans la fabrication du textile conformément aux protocoles internationaux (ZDHC). « Ce qui est nouveau pour Med Test III, c’est que la fédération va contribuer à l’élaboration du plan d’action en donnant sa propre vision de la responsabilité environnementale du secteur à au niveau local. La Ftth va suggérer des propositions concrètes, chiffres à l’appui, notamment en matière de lignes de financement requises », a expliqué Boufaden. Afin d’atteindre les résultats escomptés, Med Test III trace 5 étapes primordiales, à savoir l’élaboration d’une cartographie de déchets textiles et de l’écosystème local du textile, l’analyse des différents scénarios et la définition de modèles de gestion, le lancement des actions et des formations pilotes dans le domaine de l’industrie textile, la conclusion de partenariats commerciaux pour l’adoption de solutions technologiques circulaires et finalement l’élaboration d’une feuille de route nationale pour la valorisation des déchets textiles.