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Kairouan : Entre légendes et réalités

Dotée d’un passé riche, la ville des Aghlabides gagnerait à être davantage valorisée.

Kairouan, une ville célèbre par son passé glorieux et son présent au cachet illustre et typique, ne dévoilera jamais ses secrets à la même personne. C’est pourquoi elle continue de susciter l’intérêt des historiens et des chercheurs qui constatent que, dans cette cité, le moderne et le traditionnel cohabitent en une merveilleuse harmonie. En fait, la capitale des Aghlabides n’est ni légende ni réalité. Elle est les deux ou plutôt entre les deux. Ainsi, plusieurs mythes se sont greffés à l’histoire de Kairouan et demeurent ancrés dans l’esprit. A cet effet, la tradition dit que sept visites à Kairouan équivalent à un pèlerinage à la Mecque. La légende nous apprend, d’autre part, que Abdallah (alias Abou Zamaâ) El Balaoui, originaire de la péninsule arabique et compagnon du Prophète, a eu, lors du sermon d’adieu de ce dernier, trois poils de sa barbe qu’il a mis dans son avant-bras. On raconte qu’il a demandé de son vivant, qu’on les inhume avec lui, un sur la langue et les deux autres sur les yeux, ce qui fut fait…

Autre fait, autre légende, sur ordre de son médecin, en 876, le monarque aghlabide Ibrahim II a fait une marche à pied afin d’être guéri de l’insomnie. En arrivant à un certain endroit, appelé depuis lors «Raqqada» «L’endormeuse», il eut envie de dormir. Depuis ce moment-là, ce site est devenu  la demeure préférée des monarques en quête de repos.

Au milieu d’exubérants jardins, les souverains avaient fait ériger des palais, des souks, des hammams et une grande mosquée. Délaissée au temps des Fatimides, puis sous les Zirides, la ville de «Rakkada», située à une douzaine de kms du centre-ville, était peut-être encore en partie habitée, lorsqu’elle fut entièrement dévastée par les Hilaliens. Des fouilles conduites dans les années 1960 ont permis de relever  l’emplacement de certains édifices, palais ou bassins de décantation et de distribution de l’eau, mais le temps leur a été fatal vu leur construction en briques.

En 1970, on y a construit une résidence présidentielle destinée au Président Habib Bourguiba, et devenue le Musée national des Arts Islamiques qui se trouve en lisière des ruines d’autres palais plus anciens de 1.000 ans que les Fatimides construisirent au IXe siècle. Aujourd’hui, les salles de ce musée, agréablement aménagées, rendent compte du brillant passé de Kairouan et de ses villes princières annexes, exposant céramiques, monnaies ou encore vénérables pages du Coran.

Par ailleurs, Rakkada abrite, depuis les années 80, la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, puis, plus tard, l’Iset et plusieurs foyers universitaires, outre la création récente d’une commune qui va, sans aucun doute, créer une nouvelle dynamique de développement.

Vers l’édification d’une vaste cité socio-médicale à Rakkada

Dans une interview accordée à la chaîne publique Watania 1, le 2 février dernier, le président de la République, Kaïs Saïed, a annoncé qu’il envisage la création d’un grand pôle médical à Rakkada qui devrait s’étendre sur 300 ha et comprendra plusieurs hôpitaux dans diverses spécialités, des complexes résidentiels consacrés aux cadres médicaux et paramédicaux, un complexe culturel et touristique, des écoles, des jardins d’enfants, des espaces commerciaux et de loisirs.

En fait, le président de la République a précisé que cet important projet permettra d’assurer des services sanitaires adéquats aux habitants des gouvernorats du Sud, du Centre-Ouest, ainsi qu’aux touristes algériens et libyens.

Notons que ce projet de pôle médical ne s’inscrit pas dans le projet de l’hôpital universitaire du Roi Salman Ibn Abdelaziz à Kairouan annoncé en 2016 et dont les études ont beaucoup tardé!

Beaucoup de polémiques inutiles…

La plupart des habitants des gouvernorats limitrophes et tous les Kairouanais ont accueilli avec beaucoup de satisfaction cette initiative d’un président  près du peuple et qui a affirmé qu’il serait engagé à former un comité de suivi pour assurer la bonne gestion des fonds alloués à la réalisation de cette cité médicale et qu’il pourra compter sur des financements provenant de l’OMS qui a déjà contribué à la création de plusieurs cités médicales à travers le monde.

Mme Wided Amara, professeur de français au lycée Okba, nous confie dans ce contexte : «J’ai été très heureuse d’apprendre cette excellente nouvelle d’autant plus que notre gouvernorat fait partie de plusieurs autres régions marginalisées pendant des décennies et appauvries, qui souffre de la précarité, d’une infrastructure défaillante, d’un faible taux de scolarisation, d’un accès difficile aux soins et de l’exclusion socioéconomique. C’est pourquoi en écoutant les promesses de notre président dont la voix est rassurante, un bonheur indicible m’a submergé».

«C’est bizarre, je me sens comme une enfant, tout me semble réel. Cette belle annonce présidentielle me fait l’impression d’un beau rêve dont on ne souhaite pas la fin… un rêve rêvé par quelqu’un d’autre… Mais je suis convaincue que ce projet de ville médicale constitue un pas sur la voie de la promotion du secteur de la santé dans les régions défavorisées de l’intérieur…».

Par contre, certains internautes et chroniqueurs n’ont pas manqué de critiquer cette décision présidentielle,sous prétexte qu’il y a d’autres régions plus meurtries et plus isolées et qui ont subi, depuis longtemps l’exclusion et la marginalisation.

Des moyens inadaptés aux besoins

Dans le gouvernorat de Kairouan, les établissements hospitaliers se vident petit à petit de leurs compétences à cause de nombreuses défaillances et carences surtout en ce qui concerne les équipements de pointe, le staff médical et para-médical, les médicaments et les soins adéquats.

En fait, l’hôpital Ibn El Jazzar, les 9 hôpitaux locaux et les 136 centres de soins de santé de base doivent faire face à une demande de soins plus élevée en nombre, plus exigeante en qualité et à des coûts très élevés, et ce, afin d’atténuer les vives tensions sur le plan relationnel et les scènes d’agression et de violence physique et verbale. Si on prend l’exemple de l’hôpital Ibn El Jazzar, avec son unité chirurgicale «Les Aghlabides» entrée en service en 1997, on constate qu’il connaît une grande affluence de toutes les délégations du gouvernorat de Kairouan mais aussi de Mahdia (Aouled Chamekh, Souassi, Hbira), Zaghouan (Ennadhour), Siliana (Kessra), Sousse (Sidi El Heni), Gafsa et de Kasserine.

D’ailleurs, le service des urgences, qui reçoit 6.000 patients par mois, est exigü et en permanence surchargé. A titre d’exemple, du 31 janvier 2020 au 1er février, ce service à reçu 256 patients en 24h qui ont été examinés par uniquement 2 médecins et 5 infirmiers! Cela crée beaucoup de chaos d’autant plus qu’il n’y a pas de salle de tri pour répertorier les cas, suivant les différentes spécialités  et pathologies.

Un jeune médecin interne nous confie dans contexte: «On est presque quotidiennement agressés par les accompagnateurs des patients qui perturbent notre boulot et qui n’hésitent pas à briser les vitres et à tout casser surtout le soir où il n’y a aucun agent de sécurité. Personnellement, il m’arrive de travailler de 7h00 à 18h00, sans même avoir une petite pause pour aller aux toilettes ni pour un sandwich…».

Certains patients meurent avant leur rendez-vous

Au service de consultation externe qui reçoit en moyenne 150 patients par jour souffrant de différents maux (pneumo, cardio, stomato, etc.), on passe de longues heures pour se faire ausculter et se faire prescrire des médicaments que le patient doit acheter à l’extérieur vu le manque au sein de la pharmacie de l’hôpital. D’où le désarroi et l’agression de beaucoup de patients qui n’ont pas les moyens de se faire soigner dans le privé. En outre, les rendez-vous qu’on fixe aux patients ayant besoin d’un scanner ou d’une IRM varient de 2 à 8 mois d’attente, ce qui représente un grand risque pour leur santé. D’ailleurs des patients ont trouvé la mort avant ce rendez-vous trop lointain.

En fait, tous les services sont saturés et il arrive que deux malades occupent le même lit, cela sans oublier les scènes de maltraitance qui créent un sentiment de peur et de frustration auprès des patients et du corps médical et para-médical.

A titre d’exemple, un technicien radio, Mourad, est intervenu récemment sur les ondes de sabra FM pour parler du harcèlement dont il a été victime au travail : «L’après-midi de 22 janvier 2020, j’ai été chargé de passer un malade au scanner. Il s’est avéré qu’il souffrait d’un ACS hémorragique et malgré mes supplications, la résidente de garde n’a pas voulu venir pour faire son rapport afin qu’on lui donne les médicaments indispensables. Hélas, le patient est décédé le soir même , une dispute a éclaté entre la résidente et moi-même. Le lendemain, j’ai été convoqué au poste de police pour outrage à un fonctionnaire pendant l’exercice de son travail, vous vous rendez compte ! D’où la colère de tout le personnel qui m’a soutenu et un sit-in de protestation a été organisé…».

Quant au directeur de l’hôpital Ibn El Jazzar qui est intervenu sur cette même radio, il a dit regretter ce genre d’incident et il aurait aimé que les deux protagonistes aient informé l’administration et le syndicat avant de porter l’affaire devant la justice.

Aïcha, Jaballah, 42 ans, originaire d’El Ala, récemment hospitalisée à Kairouan, nous confie dans ce contexte : «Mon vœu le plus cher est le fait de constater que, dorénavant, tous les malades pourraient être pris en charge totalement dans les structures de santé des localités rurales sans qu’on ait à les transférer dans les grands hôpitaux régionaux»…

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