Drame de Amdoun │ Saida Ounissi: «nous avons obtenu des documents par le biais de fonctionnaires anonymes »

La commission d’enquête parlementaire sur l’accident de Amdoun se réunit aujourd’hui même pour voter la version finale du rapport qui sera ensuite discuté et voté par l’ARP. Dans cet entretien, Saida Ounissi revient sur les difficultés rencontré lors de cette mission d’enquête et évoque parfois même le refus de certaines administrations de coopérer avec la commission. « La commission a fait de son mieux avec les moyens mis à sa disposition », nous dit-elle.

« Devant l’opacité de certaines administrations, nous avons obtenu des documents par le biais de fonctionnaires anonymes »


Le rapport final de la commission d’enquête parlementaire était prévu pour le 17 mars, entre temps, il y a eu la décision du confinement général, est ce que ce la veut dire que la commission n’a pas encore terminé ses travaux ?

La commission a organisé une vingtaine de réunions depuis la fin décembre, au moment de sa formation. Il y a eu des visites de terrains, à Béja, à Jendouba mais également dans plusieurs institutions hospitalières à Tunis pour retracer le parcours du drame, de l’accident vers la prise en charge des victimes. Nous avons également procédé à une quinzaine d’auditions pour tenter de définir les responsabilités de part et d’autre, mais également de donner la parole aux familles des victimes et aux survivants. Le rapport est prêt dans sa globalité, nous sommes en ce moment même en train de nous entendre sur les dernières corrections qui concernent à la fois la syntaxe, le style du rapport mais aussi la méthodologie d’exposition des faits. En effet, ce travail est nouveau pour les députés. L’exercice du pouvoir de contrôle parlementaire et la méthodologie de rédaction des rapports d’enquête parlementaire est peu commun au sein de l’ARP. 9 ans après la révolution, nous n’avons toujours pas eu de commission d’enquête en mesure de publier son rapport. Nous allons convoquer le vendredi 22 Mai, pour voter la version définitive du rapport et demander officiellement la tenue d’une assemblée générale autour du sujet.

Estimez vous que la commission a eu suffisamment d’éléments pour pouvoir présenter un rapport clair, détaillé et probant à l’opinion publique, aux victimes et à leurs familles ? 

La commission a fait de son mieux avec les moyens mis à sa disposition. Il y a une dissonance importante entre ce qui est attendu de la part d’un tel organisme et entre les moyens de travail que nous pouvons mobiliser. Je ne parle pas seulement des moyens matériels. Une commission de ce genre ne dispose que d’un seul assistant, Si Arbi Dhieb, qui a fait un effort exceptionnel en jouant tout à la fois le rôle de secrétaire, d’assistant, de conseiller et d’organisateur. Il n’y a évidemment aucun budget permettant de rémunérer des experts indépendants qui pourraient apporter des éléments essentiels à l’enquête ou remettre en question la parole officielle émanant des institutions publiques ou de l’exécutif. Nous avons pu compter sur le bénévolat et l’engagement de plusieurs experts en sécurité routière, en génie civile, en voiries parce qu’ils considéraient que le travail de la commission était important et qu’ils avaient un rôle à jouer en tant que citoyens.

Il y a un grand paradoxe entre les pouvoirs octroyés par la constitution aux commissions d’enquête et la perception qu’en ont la majorité des organes et acteurs qui doivent interagir avec elle. L’article 59 de la constitution est très clair sur la possibilité pour les commissions d’enquête de convoquer, rencontrer, entendre qui elle souhaite. Il énonce, sans équivoque possible, le pouvoir d’obtention de documents, de déplacement et de visite de la part de la commission d’enquête. Or, il apparaît que la majorité des administrations, des ministères, des institutions judiciaires refusent de s’adonner à l’exercice. Je peux témoigner ainsi que les membres de la commission des restrictions d’accès auxquelles nous avons fait face, au manque de considération de trop nombreuses administrations, des courriers restés lettres mortes et de l’absence de réponses de la part des ministères de la justice et de l’intérieur par exemple. Nous avons demandé des dossiers à certains ministères qui nous ont envoyé des choses qui n’avaient absolument rien à voir avec les documents obtenus par le biais de fonctionnaires anonymes venus présenter de leur propre gré des éléments de réponse à la commission.

Le paradoxe tient au fait que ceux qui refusent de donner aux commissions d’enquête les prérogatives qui sont les leurs invoquent le manque de clarté du règlement intérieur de l’assemblée des représentants du peuple. Mais invoquer un texte dont la légitimité juridique (et politique) est bien moindre que le texte constitutionnel me paraît de mauvaise foi.

En réalité, ce à quoi a fait face la commission, c’est le déni du pouvoir parlementaire par l’exécutif et le judiciaire. Une vieille bataille institutionnelle qui porte préjudice aux intérêts des citoyens, puisque sans contrôle, sans enquête, sans contre-pouvoirs à l’intérieur de l’Etat, il n’est pas possible de défendre les droits des uns et des autres.

L’une des initiatives que nous préparons aujourd’hui à l’issue de ce travail est une proposition de loi émanant des députés visant à réguler les prérogatives des commissions d’enquête. Nous espérons que cela permettra de fluidifier l’action des prochaines commissions d’enquête.

Quels sont les premiers éléments du rapport que vous pouvez nous révéler en exclusivité ?  

Loin de faire du sensationnalisme et des révélations exclusives, ce que nous avons d’abord voulu pour cette commission, c’est d’éviter ce qui se passe toujours dans notre pays. C’est à dire qu’une fois le feu de l’actualité passé et l’incendie des réactions passionnées éteint, il y a un oubli complet des drames que nous traversons. Pas de remises en cause des politiques publiques, pas de détermination de responsabilités, pas de sanctions, pas de réponses sur le long terme, pas d’initiative de réforme pour éviter que cela se reproduise. Lorsque nous avons dit « plus jamais ça », il était important de retracer d’abord ce qui c’était passé. De présenter une version claire, juste, loin des rumeurs des premiers jours. De retracer les événements à la lumière de la parole des parents des victimes et des survivants. D’entendre les différentes institutions publiques nous expliquer là où elles avaient failli et pourquoi. Nous avions également besoin de dire aux familles des victimes que leurs enfants n’étaient pas morts pour rien.

Il y a plusieurs jours, 7 ouvrières agricoles ont été blessées dans un accident de la route, dans quel mesure pensez vous que le travail de la commission d’enquête pourrait permettre d’éviter des drames de l’ampleur de l’accident de Amdoun ? 

Le but ultime de la commission de Amdoun est d’établir les conditions d’un débat national sur la sécurité routière. Malheureusement, nous continuons à considérer ce sujet comme accessoire. D’ailleurs, il suffit de voir l’état de l’observatoire national de la sécurité routière, sans pouvoirs ni budget pour comprendre à quel point le terrorisme des routes n’importent pas ou peu les institutions sécuritaires dans notre pays. Il n’y a toujours pas de stratégie nationale en matière de sécurité routière. Celle-ci pâti des divisions entre le ministère des transports, le ministère de l’équipement et le ministère de l’intérieur. Or il est essentiel de déterminer qui fait quoi pour s’assurer que les conditions de sécurité sont réunies sur nos routes, mais également que les comportements à risque soient correctement appréhendés. Il est nécessaire d’avoir une solidarité gouvernementale et une symbiose entre administrations et corps sécuritaires pour que cela soit le cas. Il est important d’avoir un président de la république ou un chef du gouvernement qui consacre une partie de son discours politique à la question. Que l’une des deux têtes de l’exécutif nous disent, 2021 sera l’année de la sécurité routière. Nous allons en faire une cause nationale, nous allons massivement investir dans la sensibilisation, dans la formation et dans les contrôles. Nous allons faire en sorte que la lutte contre la mortalité sur les routes soit de même importance que la lutte contre le terrorisme, car chaque année, plus de 2000 personnes y laissent la vie, de manière directe ou indirecte. Nous allons émettre dans le rapport des propositions concrètes allant dans ce sens.

3 Commentaires

  1. Liberte

    22/05/2020 à 16:52

    Que voulez vous de l’enquête administrative ? On essaye de se laver les mains pour arriver à inculper les morts et que les parents payent les dégâts. Vous connaissez un fonctionnaire intègre en Tunisie ?

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  2. Maghzaoui

    22/05/2020 à 19:54

    Que vient- elle faire l’assemblée nationale dans un accident de la route ? C’est le rôle de la garde nationale et de la justice. Mais quant une députée se vante que son comité a pu obtenir des documents  » top secret » par l’intermédiaire de fonctionnaires anonymes, vous trouvez que votre méthode d’agissement est symbole de démocratie Madame Ounisis Saïda ? Le peuple Tunisiens n’est pas encore mûr de vivre dans une république démocratique, très sincèrement.

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  3. KORBI Rafik

    23/05/2020 à 03:54

    Article intéressant cependant trop long avec manque de propostions concrètes. Espérons qu’à part les actions relatif au secteur routier, qui devraient être proposées dans le rapport si attendu de la Commission, la question du retard de développement dans le secteur ferroviaire, soit traitée. Sans un développement réel de ce secteur, le pays et le peuple Tunisien vont continuer à souffrir dans les problèmes de sécurités de transport, de coût excessif de déplacement de biens et des personnes, de coût élevé de production avec répercussion négative sur l’économie nationale, de pollution et de santé, d’encombrement routier et de stess, de consommation excessive d’énergie, de besoin excessif de devise pour importer aussi bien les véhicules routiers que les pièces de rechange que les médicaments, sans oublier les besoins couteux en augmentation rapides et sans cesse de développement de l’infrastructure routiére qui en plus des lourds budgets et endettement exigés, consomme et nous prive donc de terrains agricoles dont notre  » petit pays  » a tant besoin. La comparaison avec un pays comme celui du Maroc, permet de se rendre compte de l’importance du dit retard cumulé mais aussi de remarquer que le développement du chemin de fer électrifié au Maroc et le développement de l’énergie solaire dans ce pays lui constitue une grande préparation à la transition énergétique.
    Malgré le grand retard cumulé depuis des dizaines d’années dans le secteur ferroviaire en Tunisie, les solution existent cependant il faut une grande volonté et réunir sur table les compétances nationales en particulier ceux qui avaient commencé depuis les années 80 à introduire l’électrification visant les objectifs sus rappelés.

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