Accueil A la une Cyberdissidence │ Le 4 juin 2002, « Ettounsi » fut fauché à Fochville* !

Cyberdissidence │ Le 4 juin 2002, « Ettounsi » fut fauché à Fochville* !

Crédit photo: © Yamen – Creative Commons (CC)


Le samedi 12 mars 2011, à 11h00 du matin, des internautes tunisiens ont pu enfin commémorer publiquement et pour la première fois, devant le Théâtre municipal de Tunis, la mort de Zouhair Yahyaoui, alias « Ettounsi » (un pseudonyme qui signifie « Le Tunisien », en français), un Cyberdissident actif en faveur de la liberté d’expression, décédé le 13 mars 2005 à l’âge de 37 ans. Flash-back sur un pionnier du « Net-activisme »  sous nos cieux : un blogueur pas comme les autres.


Par Abdel Aziz HALI

Feu Zouhair Yahyaoui (1967-2005). Pour plusieurs, ce nom ne dit rien, mais les blogueurs et les libres penseurs ainsi que les acteurs de la cyberdissidence le connaissent amplement et le considèrent comme étant le pionnier de l’Internet libre en Tunisie, le martyr de la liberté d’expression et l’une des rares plumes satiriques ayant critiqué le pouvoir déchu dans nos contrées.

Tout commence un certain juillet 2001, quand Zouhair créa TUNeZINE.com, un forum-site, devenu de plus en plus populaire au fil du temps. Dans cette plateforme clandestine, « Ettounsi » (pseudonyme de Zouhair) dénonça les abus du pouvoir et révéla les faces cachées de la dictature de Ben Ali et son pouvoir tyrannique, qui se servaient principalement de trois armes redoutables : la propagande via un parti de masse, le « R.C.D. » [1], la censure par la voie de (l’« A.T.I. » [2] et l’« A.T.C.E. » [3]) et l’oppression des voix libres à travers le rouleau compresseur d’une répression policière ciblant tous les opposants qui osaient contester le régime, dit « Système ».

 

Mardi noir

 

Le mardi 4 juin 2002, il fut arrêté, aux environs de 19h00, par six policiers en civil dans un publinet — son Q.G. (quartier général), où il avait créé et géré son site « TUNeZINE » — à Ben Arous.

Il fut condamné, le mercredi 10 juillet par la quatrième chambre de la Cour d’appel de Tunis, à une peine de deux ans de prison ferme pour « propagation de fausses nouvelles, dans le but de faire croire à un attentat contre les personnes et contre les biens » et « vol par utilisation frauduleuse de moyens de communication »: un procès « expéditif » qui, malheureusement, ne semblait pas remplir les conditions d’un procès équitable.

 

Zouhair Yahyaoui, à Paris, dans les locaux de « Reporters sans frontières ». (Crédit photo: © EPA/LAURENT GILLIERON)

 

Zouhair devint alors le symbole de la chape de plomb qui pesait sur l’information en Tunisie. Il passa un an et demi à la prison de Borj El Amri où il subit torture et humiliations et entreprend plusieurs grèves de la faim pour protester contre sa détention.

Privé de courrier, de lecture, de colis, de nourriture et même de son journal intime, « Ettounsi » attrapa un abcès dentaire mais ne pourra consulter un dentiste qu’après des mois de souffrance.

 

Pressions internationales…

 

Le jeudi 19 juin 2003, l’organisation non gouvernementale internationale « Reporters sans frontières » rendit hommage au combat de Zouhair Yahyaoui, en lui décernant le 1er Prix Cyberliberté de Reporters s@ns frontières- Globenet.

Et le mardi 18 novembre 2003, il bénéficia d’une liberté conditionnelle grâce à des pressions internationales.

D’autre part, le mardi 13 mars 2012, plus d’un an après le soulèvement populaire ayant chassé le président feu Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir, le chef de l’État provisoire Mohamed Moncef Marzouki rendit hommage à Zouhair Yahyaoui, en s’étant recueillie sur sa tombe en compagnie de sa famille.

Par ailleurs, à cette occasion, au Palais présidentiel de Carthage, il remit à sa mère les insignes du Grand officier de l’Ordre de la République décernés à titre posthume.

Il est à rappeler que le jour de l’anniversaire de son décès — le 13 mars —  fut décrété par la Présidence de la République Journée nationale pour la liberté d’Internet.

Last but not least, le lundi 13 mars 2017, La Poste tunisienne lança un timbre à l’effigie de Zouhair Yahyaoui, symbole du militantisme 2.0, et qui a donné sa vie pour la liberté d’expression.

 

Timbre en hommage au cyberdissident, Zouhair Yahyaoui

 

En contrepartie, quand on parle de la presse satirique en Tunisie, on ne peut passer sous silence la chronique « Proxy » de Zouhair Yahyaoui publiée sur son « Webzine » (Web Magazine, dit « e-Mag »), TUNeZINE.com.

Assurément, à chaque fois que vous allez vous connecter sur internet pour y naviguer tranquillement et librement entre Facebook — à condition que le géant américain de Menlo Park (Comté de San Mateo, Californie) ne désactive « brutalement » vos comptes personnels —, Google et YouTube; rappelez-vous que des gens comme feu Zouhair Yahayoui ont sacrifié leurs vies pour que vous jouissiez, aujourd’hui, d’une telle liberté.

Enfin, « Il n’y a qu’une liberté, et son nom sera toujours écrit avec les lettres du sacrifice et du deuil. », dixit le romancier français Hafid Aggoune. Après tout, la liberté des internautes tunisiens ne peut porter en filigrane qu’un grain de sens commun et unanime : la passion du regretté Zouhair Yahyaoui, alias « Ettounsi ».

Que la terre lui soit légère… Paix à son âme.

A.A.H.


Glossaire :

 

* Fochville : après la Première Guerre mondiale jusqu’au 19 janvier 1957, la ville de Ben Arous — dans sa partie haute colline au sud-ouest de la voie ferrée Tunis-Bir Kassaâ — a porté le nom de Fochville (une appellation en l’honneur du maréchal Ferdinand Foch (1851-1929), commandant en chef des forces alliées en France durant la Grande Guerre-Ndlr).

[1]: le Rassemblement constitutionnel démocratique (R.C.D.) est un parti politique tunisien de masses fondé le samedi 27 février 1988 par le président déchu Zine El Abidine Ben Ali et dissous par décision judiciaire en première instance le mercredi 9 mars 2011.

[2]: l’Agence tunisienne d’Internet (A.T.I.) qui a été créée le mardi 12 mars 1996 comme étant le principal fournisseur d’accès à Internet public de Tunisie et devenue par la suite comme outil de censure sous Ben Ali à travers le mythe de « Ammar 404 ».

[3]: l’Agence tunisienne de communication extérieure (A.T.C.E.) qui a été créée en 1990, détournée pour servir les intérêts du clan Ben Ali, érigée en symbole de la propagande et de censure, utilisée comme outil de répression contre les journalistes et dissoute le mardi 18 décembre 2012.


 

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