Habib Bouattay, DG de la Société tunisienne d’entreprises de télécommunications (SOTETEL), à La Presse: «La relance ne suffira pas sans réformes structurelles»

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Comme la plupart des entreprises, la Sotetel se prépare à une phase de réforme imposée par les difficultés financières et les mutations de l’environnement socioéconomique national et international. Et la crise sanitaire liée à la Covid-19 ne fait qu’accélérer et renforcer cette modernisation nécessaire et remettre cet axe en haut des priorités pour faire face aux défis colossaux qui se posent à tous les acteurs intervenant dans cet écosystème afin d’en tirer les leçons qu’il faut, préserver les acquis et développer les stratégies de digitalisation tous azimuts. Habib Bouattay nous en dit plus dans cet entretien qu’il accorde à La Presse.

La Sotetel était, depuis un bon moment, en plein chantier pour son plan de restructuration. Où en êtes-vous aujourd’hui ?


Fidèle à son métier de souverain, celui d’être et de rester le bâtisseur des réseaux et des services de télécommunications, la Sotetel est en train de préparer son plan de restructuration pour garder sa place de leader dans cet élan d’innovation et de digitalisation du pays. Pour ce faire, on a élaboré un plan de restructuration interne portant sur le moyen terme et externe visant un saut technologique différenciateur.

En interne, nous venons de lancer notre plan stratégique 2020-2022 qui va être décalé de quelques mois à cause de la crise sanitaire liée à la Covid-19, tout en gardant les mêmes objectifs. Nous sommes sur le point de lancer notre premier ‘’centre de compétences’’ qui va assurer la formation sur les métiers de pointe (de la fibre optique notamment). Il est important ici de souligner que nous avons constaté une forte demande de notre expertise, à l’échelle nationale mais aussi internationale. On parle de plus de 2.000 demandes de formation et certification de techniciens en fibre optique pour le compte d’entreprises étrangères. Actuellement, nous sommes en contact avec l’Aneti (Agence nationale pour l’emploi et le travail indépendant) et le Cnfcpp (Centre national de formation continue et de promotion professionnelle) pour signer un partenariat dans ce cadre-là. Les négociations seront reprises très bientôt vu qu’elles ont été suspendues à cause de la crise sanitaire. C’est un partenariat de complémentarité ; la Sotetel a le savoir-faire nécessaire pour la fibre optique et ces deux entités ont leur base de données des demandeurs d’emploi et ils peuvent, donc, identifier les profils qui s’adaptent le mieux pour ce métier. On attend beaucoup de cette coopération et notre centre de compétences sera lancé avant la fin de cette année.

Sur un autre plan, de nombreux défis préoccupent les ressources humaines. Pour cela, on procédera à une mise à niveau et/ou mise à jour des certifications des techniciens et ingénieurs pour répondre au besoin de l’export (développement à l’international) et pour assurer le rajeunissement de nos équipes pour faire face à la demande croissante en Tunisie en termes d’installation de réseaux d’accès que ce soit en fibre optique, en cuivre ou sans fil. A cet égard, et avec un savoir-faire reconnu, ce challenge de rajeunissement sera accompagné par l’exportation de notre expertise à l’international. Parmi les autres points du plan de restructuration, on a un projet de filialisation de nos services convergents qui englobe à la fois les services d’intégration IT ainsi que le développement de nouvelles solutions de type «Smart city» qui est un nouveau concept de développement urbain. Le dernier point de ce plan, c’est l’ouverture à l’international, une dimension qui gagne de plus en plus en importance dans notre domaine. Pour ce faire, nous sommes en train de tisser un large réseau à l’international pour devenir une vraie multinationale.

Pouvez-vous développer davantage ce dernier point ?

Aujourd’hui, la Sotetel vise encore plus loin et plus haut, car on peut toujours aller de l’avant. Nous voulons exporter notre expertise et notre savoir-faire et il y a tous les ingrédients pour que ce soit une référence en la matière. Donc, rien ne nous empêche d’aller vers l’Europe. On a déjà un pied à Malte qui marche très bien. Cette réussite nous a donné un coup de pouce immense et ce n’est pas exclu de voir la Sotetel en Europe, puisque cela fait partie de notre plan de développement sur le court terme. D’ailleurs, d’ici la fin de cette année, nous serons implantés en France avec l’ouverture de notre première succursale. Selon l’évolution de la situation, d’autres ouvertures seraient à prévoir dans les mois qui viennent. Aujourd’hui, on est sûr d’une chose : avec le potentiel qui existe et la demande qu’on a pu enregistrer, cette implantation sera un pas de géant vers l’ouverture sur le monde.

Et qu’en est-il de l’Afrique ?

Le continent africain est aussi dans notre viseur. Il est vrai que nous ne sommes pas implantés actuellement en Afrique subsaharienne, mais nous avons déjà une filiale en Algérie et une succursale en Libye. Dès que les choses s’arrangeront dans ces deux pays, nous sommes déjà prêts puisque nous avons maintenu notre présence dans ces deux pays voisins. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que le développement de notre activité a été freiné en Libye à cause de la guerre civile et en Algérie à cause de la pandémie.

Une fois la situation sécuritaire et sanitaire améliorée, nous serons prêts pour la reprise de nos activités compte tenu du potentiel de développement très prometteur.

Pour l’Afrique subsaharienne, les enjeux ne manquent pas et nous visons essentiellement les pays francophones. Actuellement, nous participons à certains appels d’offres et nous n’avons pas encore réellement une stratégie d’implantation en fonction du contexte économique actuel pour plusieurs raisons ; nous n’avons pas suffisamment de ressources humaines et nous n’allons pas nous disperser, puisqu’en Europe c’est beaucoup plus facile de s’implanter. Notre expertise est fortement sollicitée et donc la demande ne manque pas.

Donc, en somme, notre plan de restructuration regroupe quatre axes majeurs, à savoir le développement à l’international, le centre de compétences, la filialisation et la réorganisation… et sans réformes structurelles, un simple plan de relance ne suffira pas pour répondre aux exigences d’aujourd’hui. C’est pourquoi il nous faut réfléchir dès maintenant à un grand plan de transformation de notre société. Ce chantier sera accompagné par notre plan de transformation digitale qui est en cours, avec des outils qui vont nous permettre d’améliorer la productivité et l’efficacité de nos équipes. Ces dernières seront dotées de moyens digitaux pour reporter les travaux en temps réel, dans le but d’améliorer la qualité des services fournis à nos clients, qui deviennent de plus en plus exigeants, ce qui va nous permettre de gagner en termes de rentabilité, d’efficacité et d’efficience.

Mais cela n’exclut pas que la Sotetel a connu pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19 des difficultés. Est-ce que vous pouvez préciser la nature de ces difficultés et quelles sont les actions que vous avez lancées depuis le déclenchement de cette pandémie ?

Tout au long de cette crise sanitaire, notre travail était de maintenir et de venir au secours des infrastructures sollicitées ; nous avons accompagné notre partenaire Tunisie Telecom dans l’installation du numéro d’appel d’urgence d’aide médicale (le 190 pour appeler les équipes d’aide médicale). Nous avons aussi assuré les nouvelles installations demandées par les hôpitaux pendant cette crise pour maintenir la connexion Internet…Notre principal souci était d’assurer la connexion et la maintenance de toutes ces infrastructures. Ici, vous pouvez imaginer l’importance de l’Internet pendant la période de confinement !

S’agissant des difficultés, le plan de digitalisation que nous avons entamé depuis 2018 nous a permis de travailler d’une manière productive (en télétravail), différente et professionnelle. Nous avons, donc, réussi à gérer cette crise sans précédent et grâce à ce plan de transformation digitale, nous avons pu maintenir pas mal d’activités ; en termes de production, nous avons continué à travailler auprès de 50% de nos clients, le télétravail a bien marché…

Parlons chiffres, la crise aura un impact sur les deux premiers trimestres 2020, puisque nous sommes dans un business où le mois de mars est capital pour notre activité. Globalement, un retard d’un trimestre est prévu mais nous allons nous rattraper et le développement à l’international va alléger cette situation.

Mais on constate aussi un ralentissement de l’activité de votre succursale à Malte ?

Oui. Selon les indicateurs d’activité du 1er trimestre 2020, le chiffre d’affaires à l’export a enregistré une baisse de 45,7% par rapport au premier trimestre 2019. Donc, le chiffre d’affaires de la société a été impacté par un ralentissement de l’activité de sa succursale à Malte pour des raisons liées à la pandémie du Coronavirus. A un certain moment, nous avons craint la fermeture de notre succursale, puisque nos partenaires ont voulu suspendre le contrat, pour laisser la priorité à leurs sous-traitants nationaux.

Heureusement que nous avons dépassé cet obstacle. C’était une période difficile que nous avons gérée au jour le jour en mettant en place une cellule de crise interne. Aujourd’hui, nous continuons à assurer la maintenance et la reprise des projets se fait progressivement.

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