
L’Organisation mondiale de la santé a recommandé, une fois que toute la planète était entrée en période de confinement «pour préserver sa santé, de maintenir une activité physique, de prendre soin de sa santé mentale, de renoncer au tabac et d’avoir une alimentation saine». Quatre recommandations qui valent leur pesant d’or, étant donné les conditions tout à fait nouvelles qui allaient fondre, sans annonce préalable, sur ces populations habituées à des rythmes frénétiques et dont une bonne partie s’adonnait à des dépassements insensés.
Il y a bien sûr ceux qui se sont rebellés, et nous connaissons la suite de cette rébellion : des centaines de milliers de morts, des millions de contaminés et l’ardoise ne s’arrêtera pas là.
Cette pandémie, qui a frappé la planète entière en cette première décade du vingt et unième siècle, sera un des points marquants de l’humanité.
Nous avons lu tellement de choses à propos des épidémies qui ont secoué, massacré, anéanti une bonne partie de nos ancêtres tout au long de l’histoire,mais «vivre» une pandémie, en subir les conséquences et, surtout, se trouver sous le joug de nouvelles obligations auxquelles personne ne s’attendait a tout d’abord surpris, puis convaincu les plus récalcitrants.
Ce Covid-19 a refaçonné le monde. Sur tous les continents, on s’est mis à apprendre comment vivre avec, comment s’en protéger, dans la mesure du possible, surtout que remède et vaccin se font attendre.
Les plus nantis ont plié
Comment ont fait ceux qui, des siècles auparavant, n’avaient ni infrastructures sanitaires, ni antibiotiques, ni médecins, ni chercheurs? Alors que les pays les plus nantis ont plié sous la poussée de ce maudit virus,l’homme s’est résigné, mais s’est efforcé de s’adapter à cette nouvelle vie de confinement, de couvre-feu, de distanciation sociale et de précautions pour s’éviter la contagion et les problèmes qui en découlent.
En attendant, la réalité est là. La liste des personnes décédées s’allonge. On enterre ses morts avec résignation et on évite d’en parler, par… peur de devenir infréquentable.
Les familles les plus unies se retrouvent séparées, dans l’obligation de se voir de moins en moins. Heureusement que le téléphone portable est là pour transmettre image et son des voix, de plus en plus incertaines du lendemain.
Le Covid-19 joue les prolongations en dépit des informations sporadiques qui parviennent de Russie ou de Chine qui, eux, ont commencé à vacciner leurs populations…
L’espoir est là
Les promesses d’être parmi les premiers à en bénéficier commencent à faire rêver et redonnent espoir.
Mais… en attendant, que ferons-nous des nouvelles conditions de vie auxquelles nous nous sommes astreints depuis presque deux ans ? Cette pandémie laissera des traces. De bonnes comme de mauvaises.
Deux ans, c’est long. Pour ceux qui n’ont rien à faire, mais c’est assez pour se transformer en fin cuisinier, bricoleur de génie, mécanicien, apprenti bâtisseur, informaticien de fortune, et bien autre chose encore, car le temps, ce temps, qui manquait souvent, est à disposition. Pire, on commence à ne plus le trouver si long pour ceux qui ont trouvé l’astuce pour s’occuper.
S’occuper utilement, bien entendu, car il ne s’agit pas de se transformer en «maître de céans qui exige que tous se plient à ses désirs».
Cette réaction a été à l’origine de bien des frictions entre les époux. Certains sont actuellement en instance de divorce, à cause de ces comportements agressifs qui ont mis les relations conjugales sens dessus-dessous.
Il se mêlait de tout
«Je n’en pouvais plus. Il se mêlait de tout. Il voulait tout faire et à sa manière. Les enfants ont souffert de cet autoritarisme qui a disloqué la famille. Il était habitué à aller au café pour passer quelques heures avec ses amis, le temps que le dîner soit prêt.
J’ai constaté qu’un homme qui n’a rien à faire, c’est horrible de le voir se transformer en une personne qui a le don d’ubiquité», nous confie une dame qui nous implore d’en parler «dans le journal» pour prévenir celles qui subissent peut-être le même sort. «Il veut faire la cuisine, mélange tout, il a abîmé le jardin en voulant changer les plantes de place en hors saison, cassé deux vitres en voulant les nettoyer, et la liste est longue.
Le jour où il a osé lever la main sur moi, j’ai pris ce qui m’est nécessaire et je suis allée chez mes parents. Je ne sais pas encore ce qui va advenir de notre couple».
Heureusement que ces comportements ne sont pas l’apanage de tous les époux. D’après les statistiques, qui ont été données un peu partout dans le monde, les violences conjugales se sont multipliées à l’occasion de ces confinements et couvre-feux.
Conversion heureuse
«J’ai compris qu’il fallait mettre en place une règle du jeu», nous confie cette fonctionnaire habituée au commandement et qui dirige une direction dans un grand ministère. «Mon mari, habituellement discret, s’est transformé en maître queue. Il voulait tout faire, surtout à la cuisine. Le meilleur moyen de le contrôler sans lui donner des ordres pour ne pas le vexer était de lui apprendre à cuisiner. Lui, qui n’a jamais allumé un feu de cuisinière, est devenu un passionné de la cuisine. Il a appris à faire du couscous, des pâtes, des omelettes et bien d’autres choses.
Habituellement, ils attendaient tous mon retour à la maison pour préparer à manger, si je n’ai pas pris la précaution de tout faire la veille. Maintenant je suis tranquille. Il est capable de me donner un coup de main, le temps que j’arrive. Le Covid-19 a au moins servi à quelque chose».
Le premier cas est un cas désespéré. Le second, c’est la face positive de ce confinement.
Tout dévalisé
Mais il n’y a pas que cela. Un des chefs de rayon d’une grande surface, spécialisée dans la vente des articles de bricolage, nous a assuré que «personne ne s’attendait à voir des centaines de personnes se précipiter pour acheter de tout : marteau, tournevis, perceuse, meule à disque,raboteuse électrique, scie sauteuse, bien sûr des clous, et j’en oublie, bref, tout ce qu’il fallait pour le parfait bricoleur.
C’est simple, nous avons été en rupture de stock en ce qui concerne les boîtes à outil. Et ce qui nous a fait beaucoup plus plaisir, c’est que nous revoyons de manière régulière ces clients.
Les uns viennent avec un petit pansement au doigt, d’autres ont le dos en charpie, parce qu’ils ne savent pas doser leurs efforts et prendre les bonnes positions pour faire ceci ou cela, mais ils demeurent pleins de bonne volonté.
Ils sont devenus accros au bricolage et nous racontent que leurs épouses sont bien contentes du travail qu’ils font. Voyez ce monsieur, il vient presque tous les jours. Avec son masque, il fait le tour du magasin, grimpe à l’étage, touche les appareils, il semble les caresser, pose des questions. Il vient par plaisir et parfois n’achète rien. Ce Covid-19 nous a fourni l’occasion de nous faire une nouvelle clientèle. L’un d’eux a décidé de construire une… piscine ! Je vais vous donner son numéro de téléphone. Il nous contacte pour avoir quelques précisions».
Quelle volonté !
S.D. a tout de suite répondu au téléphone. «Oui, c’est vrai,je suis en train de construire une piscine. Mes deux fils m’aident. Nous avons creusé la fosse. Une fois qu’elle sera bien propre, nous commencerons à poser le ferraillage. J’ai trouvé beaucoup d’informations sur Google. Mais quand même, je ferai appel à un ferrailleur spécialisé pour parfaire le travail. L’essentiel pour moi, c’est d’avoir entamé ce qui n’était qu’un rêve. J’ai un grand jardin et cette piscine l’a complètement transformé. Je construirai après,un abri pour les outils». Sans le confinement, je n’aurais jamais osé donner le premier coup de pioche».
Malgré notre insistance, il a refusé gentiment de nous permettre de nous rendre sur place pour photographier son œuvre, mais il a promis de nous contacter une fois qu’elle sera terminée.
Cette volonté de se dépasser ou plus exactement de se découvrir des dons insoupçonnés a été exprimée par des milliers de personnes qui ont tout fait pour s’occuper de manière utile.
Un potager…
Ali M. habite du côté de Ksar Saïd. Il a complètement transformé son grand jardin. «Je suis allé spécialement à la pépinière et j’ai acheté des graines et des plants que j’ai semés et plantés. Je me lève tous les matins pour aller les voir. Ils poussent. C’est miraculeux. Je suis heureux devoir ce petit potager. J’attends encore ma première salade. Ce sera la fête à la maison. C’est que tout est symbolique. Une salade cela ne coûte rien, mais celle que je cueillerai n’aura ni le prix ni le goût de celles que j’achèterai».
… Et des gâteaux
La fille aînée a, elle, jeté son dévolu sur la pâtisserie. Elle compulse sur Internet les recettes. «Je suis maintenant en mesure de réussir de belles choses. Sans cette histoire de Covid-19, je n’aurais jamais osé. Je n’aimais pas la cuisine. Cela a été pour moi une vraie découverte. Je me sens… fière lorsque l’on apprécie mes gâteaux».
Voilà la «génération Covid-19» à l’œuvre ! Qui a dit que cette pandémie est une catastrophe ? Ce virus, tout le monde voudrait s’en débarrasser, mais ce confinement n’a pas eu que du négatif : il a resserré les liens familiaux, fait émerger des vocations, donner de nouvelles idées constructives et bien d’autres choses encore, dont on se souviendra encore longtemps.