Lutte contre la corruption à l’ère de la révolution numérique : Le chemin est encore long

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«Entre le coronavirus et la corruption, il y a des similitudes, les deux sont dangereux, se diffusent très vite et ne reconnaissent ni géographie, ni religion, ni sexe ni opinion politique». Le tout nouveau président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, Imed Boukhris, tient à imprimer son empreinte dans son discours liminaire lors de l’ouverture du cinquième congrès national sur la lutte contre la corruption organisé par l’Inlucc avec le soutien du Programme d’appui aux instances indépendantes en Tunisie financé par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe et placé sous le thème de « La lutte contre la corruption à l’ère de la révolution numérique : enjeux et défis».

A plusieurs reprises, le premier responsable de l’instance chargée de la lutte anticorruption affirme que la corruption, qui gangrène le pays et empoisonne toute tentative de réforme, est bel et bien une pandémie. Selon lui, c’est elle qui, in fine, pousse notamment les jeunes à quitter le pays dans des embarcations de fortune.

«La corruption est  aujourd’hui une association de malfaiteurs transnationale, qui se renforce en s’appuyant de plus en plus sur les nouvelles technologies de l’information», met en garde Imed Boukhris.

Il appelle en effet les gouvernants à faire preuve d’une ferme volonté politique pour poursuivre les barons de la corruption qui anéantissent tout espoir de réforme. Il rappelle à cet effet que l’Inlucc œuvre pour atteindre cet objectif en prenant en considérations les nouveaux outils des corrompus. L’instance s’est engagée depuis sa création à renforcer sa coopération avec les organisations nationales et internationales. A ce titre, la société civile est l’une chevilles ouvrière de ce processus. Bien implantés dans les différentes régions de la République, ils permettent, grâce à une implication dans le dispositif national anticorruption, de resserrer l’étau autour de ceux qui continuent à penser que le pays est un paradis pour toutes sortes d’entourloupes et de magouilles. En tout état de cause, le président de l’Inlucc fait une promesse : «Nous ne laisserons pas la corruption détruire le pays».

Revenant à la métaphore de la pandémie, Imed Boukhris insiste que sur le fait que le vaccin le plus efficace contre la corruption reste la diffusion de la culture anticorruption et la sensibilisation du Tunisien.

Sur ce point, ce n’est certainement pas Nejib Ketari, le président de la Cour des comptes, qui le contredira. Par une onomatopée d’un geste de la main, il explique que tout se passe dans les mentalités, et qu’il est grand temps que les choses changent.

D’ailleurs, le président de la Cour des comptes exhorte les participants à ne pas chercher à proposer de nouveaux textes anti-corruption. Selon lui, les dispositifs actuels sont suffisants, encore faut-il tout mettre en œuvre pour les appliquer. «Il faut consolider les lois que nous avons actuellement», a-t-il dit. Avant d’ajouter : «Parfois, on avance ici et là des chiffres sur l’ampleur de la corruption, mais en réalité, Dieu seul sait à combien s’élève le coût de la corruption en Tunisie».

Mais lorsqu’il évoque la question de la menace venue  des nouvelles technologies de l’information, Nejib Ketari se montre très  critique à l’égard des organismes publics. «Rien qu’à la Cour des comptes, nous recevons des milliards de documents sous forme de papiers, alors qu’on ne cesse de parler de digitalisation. N’est ce pas là une forme de gaspillage de l’argent public ?», lance-t-il à l’Assemblée. De son côté, Maher Gaida, vice-président de l’Ordre des experts-comptables, met en garde contre le fait que la Tunisie rate la révolution digitale, comme elle  a pu rater d’autres révolutions technologiques. «Internet, dit-il, tel que vous le voyez n’est que la face émergée de l’iceberg, il existe le darkweb», où tout se vend et s’achète. Pour lui, la Tunisie accuse un grand retard. D’ailleurs, il estime que les jeunes ne font pas assez de coding et ne sont pas suffisamment imprégnés des nouvelles technologies de l’information, ce qui est, selon lui, une forme de corruption.

Lotfi Hachicha secrétaire général de la Commission tunisienne d’analyses financières, qui transmet une lettre du gouverneur de la Banque centrale, Marouene Abbassi, précise que la Tunisie s’est inscrite dés le départ dans le  combat international contre la corruption financière. La Ctaf, créée en 2003, est d’ailleurs l’émanation de cette collaboration internationale. La commission a pu ainsi analyser des centaines d’opérations financières dont plusieurs ont été transférées à la justice.

«Les personnes politiquement exposées ont été particulièrement ciblées», rappelle le gouverneur de la Banque centrale.

Sur des questions plus concrètes, et suite aux mises en garde d’Interpol quant aux risques d’un trafic international illégal lié à la distribution du vaccin contre le Covid, le président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption a assuré que son institution veillera à mettre à nu les éventuels crimes liés  à cette question. En raison de quantités limitées disponibles pendant la première phase de distribution, il risque d’y avoir des spéculateurs sur le marché international qui feront grimper les prix.

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