Patrimoine : Boutbila, un héritage de père en fils

Chose promise, chose due. N’ayant pas assez parlé de Boutbila dans notre récent papier, l’homme bien mystérieux pour nos jeunes générations, nous nous sommes promis d’en reparler pour le faire mieux connaître par ceux qui ne l’ont jamais connu. Et aussi, éveiller la nostalgie de ceux qui l’ont bien connu et couru derrière lui, chantant et dansant joyeusement au rythme de son fameux tambourin…

Boutbila est un homme comme vous et moi. D’habitude, il a un métier ordinaire : maçon, forgeron, menuisier, puisatier, etc. En ouvrant les yeux, il aurait vu son père tambouriner allègrement pour se faire des sous supplémentaires à une époque où le sou était un sou.
C’est, somme toute, un «métier» occasionnel et secondaire, hérité du père et du grand-père. Tout comme le gène et le chromosome de la franche gaïté et la communicative jovialité, qualités sine qua non du traditionnel petit «métier»…

Ça fait «boum!» autrement
Si , aujourd’hui, la célèbre bombe dit boum de moins en moins (annonçant la rupture du jeûne), pour mettre à table les citadins, Boutbila, lui aussi, hélas ! Tambourine de moins en moins, avant la pointe de l’aurore (l’«imsak»), pour réveiller les dormeurs et les remettre à table. Deux belles traditions en voie de disparition! Aux mille regrets des nostalgiques du bon vieux temps…
Au mois saint, le sympathique maître du tambourin, prend congé de son métier initial, pour ajouter du charme au parfum de Ramadan, et mettre la joie et la gaïté aux cœurs des adultes et des enfants.

Heureux comme un poisson dans l’eau !
C’est un personnage toujours heureux et joyeux comme un bel oiseau dans un ciel radieux, généralement drapé de sa tenue traditionnelle : une djebba «sakrouda» ou «swaki» en été et, un «kadroune» ou une «kachabia» en hiver. Il arpente les quartiers et bat le pavé, en tambourinant allégrement, accompagné souvent, d’une ribambelle d’enfants, ravis et séduits par les chansonnettes poussées par l’homme, vif à merveille et actif comme une abeille, toujours pressé de faire le tour de tous les quartiers. D’une condition physique remarquable et d’un souffle inépuisable, le bonhomme parcourt chaque nuit, à une allure inouie, des kilomètres et des kilomètres sans répit. Pour s’arrêter de temps en temps devant les portes de certaines maisons, et réveiller leurs occupants, les appelant souvent, particulièrement, chantant et tambourinant par leur prénoms et surnoms.

La juste récompense
Le jour de la fête, l’homme vedette, du mois saint, reprend du service de bon matin, après la sacrée prière de l’Aïd. Il effectue son ultime tournée pour dire, tout sourire, à l’ensemble de ses fans, au revoir et merci, avec le grand plaisir du devoir accompli… L’occasion est alors propice pour Boutbila et ses «clients» d’échanger les meilleurs vœux. Les embrassades et les congratulations.
Et aussi pour le brave serviteur pour se faire récompenser immédiatement, pour services rendus ponctuellement. Les plus généreux sont évidemment ceux qui auraient été chouchoutés et privilégiés par un service personnalisé. Et appelés, à chaque fois, spécialement par leurs petits noms et tirés d’un sommeil de plomb.

«Le promeneur solitaire»
Aujourd’hui, l’angélique Boutbila n’est plus entouré d’enfants ravis et aux anges. De moins en moins connu, il traîne sa carcasse, en «promeneur solitaire». Parce qu’on n’a fait aucun effort pour le connaître et le reconnaître. Et aussi, parce que les mineurs d’hier, adultes et vieillards d’aujourd’hui, n’ont, eux aussi, malgré leur mélancolique nostalgie, rien fait pour lui. Pour pérenniser et redorer le blason de si belles traditions. Et diantre! nos messieurs es-qualités et «es-patrimoine», où est-ce qu’ils sont? Dans la lune probablement !

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