L’espace de liberté créé par la révolution de 2011 ne suffit plus pour la nouvelle jeunesse. Il devient tout au plus un socle basique pour réclamer de nouvelles libertés.
Il est temps de donner la parole aux sociologues qui ont travaillé sur des thématiques aussi diverses que la sexualité chez les jeunes, la dynamique des supporters de football et la sociologie urbaine.

Dans son ouvrage paru en 1934, le philosophe Alain écrivait que « tout peuple qui s’endort en liberté se réveillera en servitude ». Si l’on arrive à saisir le sens de cette phrase, il sera plus facile pour nous de comprendre et de nous rendre compte de cet formidable élan libertaire d’une jeunesse nouvelle, souvent provocatrice, qu’on envie, qu’on déteste et qu’on méprise souvent.

Un doigt d’honneur éhonté, un long baiser amoureux en pleine manifestation, des jets de peinture sur des policiers stoïques, et parfois, parfois seulement, un petit coup sur un agent antiémeute suréquipé suffisent à « choquer » et à provoquer une levée de boucliers tous azimuts de la Tunisie bien pensante, des journalistes et des chroniqueurs qui se désolidarisent immédiatement de ces « débordements ». Pour cette Tunisie en rupture avec une jeunesse bouillonnante, les auteurs de ces actes dépassent « les règles de bienséance » des manifestations. Ils n’hésitent pas à faire l’éloge d’une police qui « fait preuve de retenue » envers les manifestants. Comme si le passage à tabac des protestataires était la règle et le respect de manifester était l’exception. Cette Tunisie rappelle à qui veut bien l’entendre, qu’il ne faudrait pas « abuser » de la liberté « principal acquis de la révolution ». 

Seulement voilà, lorsqu’on raisonne de cette manière, on oublie forcément un détail de taille. Nous raisonnons conformément à notre propre vécu, considérant que nous nageons dans un océan sans fin de liberté, en comparaison avec ce que nous avons vécu sous le joug de la dictature de Ben Ali, il y a 10 ans.

« Il existe une génération qui a connu la liberté beaucoup trop tard et certains sont nostalgiques d’une certaine tyrannie, mais ceux qui ont grandit avec la liberté n’accepteront jamais de la céder », écrit la militante et ex-députée Bochra Belhaj Hamida. Ces jeunes qui manifestent n’ont jamais connu la dictature, ils ont toujours connu une certaine liberté de ton. Ce que nous ressentons comme une grande liberté d’expression est, pour eux, parfaitement « normale ». Il est même probable que ce que nous considérons comme « liberté de ton » sur les colonnes de nos journaux et sur les plateaux de télévision soient pour eux le « conservatisme » incarné par une « génération réactionnaire ». Cet espace de liberté créé par la révolution de 2011 ne suffit plus pour cette nouvelle jeunesse. Il devient tout au plus un socle basique pour réclamer de nouvelles libertés.

Que nous soyons ou non d’accord avec elle, cette génération réclame sans rougir la légalisation du cannabis, davantage de libertés sexuelles, la possibilité de disposer de son corps sans devoir rendre de comptes ni à la police ni à la société, ou encore d’être jugée par rapport à ce qu’elle vaut réellement, et non par rapport à la condition socioéconomique. 

La « wrong generation » (la mauvaise génération) s’assume aujourd’hui parfaitement. Elle n’entend plus se conformer aux « limites » fixés par des adultes, qui, eux, ne s’assument plus vraiment.

Pour pouvoir concevoir des politiques publiques cohérentes dédiées à cette jeunesse, il est temps de donner la parole aux sociologues qui ont travaillé sur des thématiques aussi diverses que la sexualité, chez les jeunes, la dynamique des supporters de football et la sociologie urbaine.

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